Les mécanismes au sein du secteur

L’anti-diversification

A priori, une banque devrait diversifier au maximum ses placements pour maximiser le couple rentabilité-risque. La réalité est quelque peu différente : en présence d’un risque systémique, l’intérêt d’une banque est parfois de diversifier le moins possible.

Imaginons un cas d’école : il existe deux secteurs, A et B, les risques de défaut sont égaux et indépendants (Pa = Pb= P). La banque peut allouer la totalité de ses prêts à l’un des secteurs ou les diviser entre A et B. Supposons également que les fonds propres représentent 20 % des emplois. Il est clair que dans cet exemple la diversification double les risques de la banque.

Les tableaux ci-dessous résument cet exemple :

Tableau 17 : Stratégies de prêt
  Prêter à A Prêter à B Prêter à A et B Probabilité
A fait seul défaut Faillite Survie Faillite P(1-P)
B fait seul défaut Survie Faillite Faillite P(1-P)
A et B font défaut Faillite Faillite Faillite P.P
Aucun ne fait défaut Survie Survie Survie (1-P)(1-P)

Sachant que les probabilités sont indépendantes et donc que P.P = 0

La synthèse donne :

Tableau 18 : Synthèse
  Prêter à A Prêter à B Prêter aux deux
Probabilité de faillite P P 2P- P.P
Probabilité de survie 1-P 1-P (1-P)(1-P)

Lorsque les options de diversification sont limitées, la diversification est contre-productive. On en voit l’illustration dans la stratégie d’une banque libanaise : la BLOM.

La BLOM a choisi de prêter au secteur privé moins de 20 % de son bilan, et au secteur public 60 %. Une crise qui toucherait le secteur privé ne mettrait pas en danger la BLOM, un défaut du secteur public la condamnerait.

À l’inverse de la BLOM, des banques comparables ont alloué 35 % au secteur privé et 40 % au secteur public ; leur plus grande diversification les met dans un danger plus grand.

Ce qui est sans doute de la part de la BLOM une politique délibérée est appliqué spontanément par les banques dans les PED. Compte tenu du risque systémique, les banques tendent à concentrer leurs placements auprès d’un petit nombre de débiteurs. La philosophie sous-jacente est qu’en cas de crise grave, tout le monde fait faillite ; et en cas de crise modérée, ces banques échapperont à la faillite118.

Notre exemple n’est pas une vue irréaliste de l’esprit. Nous verrons dans le deuxième thème et dans la deuxième section comment des défaillances d’entreprises se propagent à travers le tissu économique. Mais en outre, une économie est rarement faite d’entreprises fonctionnant indépendamment les unes des autres et dont aucune ne pèse assez lourd pour influer sur les autres. Les éléments de l’ensemble sont imbriqués les uns dans les autres, certains sont des rouages essentiels et l’État est un acteur dominant. Comme avec les dominos, lorsqu’une entreprise tombe, elle en entraîne un grand nombre dans sa chute119.

De plus, les risques de crédit des entreprises sont indépendants jusqu’à un certain point. Lorsque le système est en crise, les risques ne sont plus indépendants et ne sont plus hiérarchisés. Tous les risques se valent : aucun ne fera défaut ou tous le feront. On voit clairement l’aléa moral en période de crise systémique.

Notes
118.

. On peut rapprocher cette observation du constat de Bernanke : la concentration du crédit bancaire se fait au détriment des emprunteurs les plus dépendants, entraînant des effets réels.

119.

. Il serait peut-être intéressant pour les banques de développer un coefficient d’indépendance S qui refléterait l’autonomie d’une entreprise par rapport à l’État. Une entreprise dont S serait inférieur à 1 ne ferait pas automatiquement défaut en cas de défaillance de l’État ; à l’inverse, S supérieur à 1 signifierait que les problèmes financiers de l’État y seraient amplifiés.