2. Le crédit interentreprises et le modèle DR-DP

Le crédit interentreprises

Nous allons, ici, montrer la nature globale du crédit en relativisant, en terme de taille, le crédit bancaire. Comme il est pratiquement impossible d’appréhender les montants impliqués dans toutes les sortes de crédit, nous nous sommes focalisés sur le crédit interentreprises (désormais CI) pour lequel nous avons, en France, trouvé des statistiques. Pour autant, bien qu’il soit une préoccupation majeure pour les entreprises, ce n’est qu’un sujet mineur pour les économistes122.

Pour une entreprise débitrice, le CI offre une multitude d’avantages : il est bon marché (il n’y a généralement pas d’intérêts), il est relativement facile à obtenir (le prêteur-fournisseur dispose souvent d’une information privilégiée et son risque de crédit est rémunéré par sa marge brute), c’est un usage bien établi, et enfin il n’affecte pas négativement ses ratios (mieux, il améliore le Besoin en fonds de roulement et le Free Cash Flow 123).

Pour l’entreprise qui prête, il s’agit d’une utilisation de ses ressources qui est plus liquide que d’autres : les clients paient en moyenne dans un délai de 60 jours alors que les stocks (dans les pays émergents) tournent à un rythme plus faible et que les immobilisations ont un délai de récupération beaucoup plus élevé. De plus, les créances clients peuvent être assez aisément escomptées auprès d’une banque.

Souvent, le crédit clientèle est aussi utilisé de manière stratégique : les entreprises dominantes peuvent à moindre frais éliminer leurs concurrents plus petits en allongeant les délais de paiement : le crédit coûte moins cher aux entreprises dominantes et il est disponible ; alors que dans la compétition par les prix, les concurrents plus petits ont des structures plus légères qui leur permettent de tenir plus facilement.

Le crédit fournisseur – qui est l’un des principaux composants du CI – dispose aussi d’un traitement préférentiel par beaucoup de législations : le législateur français, par exemple, a institué la clause de réserve de propriété qui permet au créancier (fournisseur) non payé de récupérer les marchandises vendues et non encore réglées. La clause de réserve de propriété – qui comporte quand même le risque qu’une partie ou la totalité de la marchandise ait été vendue – donne au fournisseur un avantage bien supérieur au gage puisque la marchandise lui appartient toujours.

Nous n’allons pas nous étendre davantage sur les mérites du CI – on peut les retrouver dans un grand nombre d’ouvrages de gestion. Convenons simplement qu’il est, par son importance qualitative, incontournable.

Il ne serait donc pas surprenant qu’il le soit aussi par la masse !

Malheureusement, le CI est peu appréhendé par les statistiques. Alors que l’ensemble des placements et des dépôts bancaires peut être connu au moins annuellement, les crédits interentreprises ne peuvent être mesurés que par des sondages ou avec plusieurs années de retard. Même des pays disposant d’un arsenal statistique efficace et puissant n’ont pas toujours des informations fiables et à jour.

Pour nous permettre de cerner les enjeux, nous avons choisi d’extrapoler à partir des données françaises. Nous supposons qu’au moins dans les grandes lignes, les conclusions sont généralisables à tous les pays124. Ces données d’ailleurs n’ont pas fait l’objet de beaucoup d’études et nous nous sommes appuyé sur une seule source : une étude de la Banque de France de l’année 2003125. La voici :

« Selon la base Suse de l’INSEE fin 2000, […] le volume des créances commerciales a été évalué à 381,3 milliards d’euros, les crédits de trésorerie des établissements de crédit aux entreprises s’élevaient, la même année, à 164,1 milliards d’euros. Les dettes commerciales sont, par nature, d’un montant très proche de celui des créances, la différence étant due aux créances sur les administrations et le reste du monde. C’est en s’attachant au solde des dettes fournisseurs et créances clients par types d’entreprises et par secteurs que l’on peut analyser de façon pertinente le crédit interentreprises. »

On a donc en France, pour l’année 2000, un volume de CI qui est plus de deux fois celui des crédits de trésorerie des établissements de crédit (désormais CB)126.

Une telle masse mérite une attention particulière. Comment expliquer sa taille relative ? Quelle est sa nature ? Comment pèse-t-il sur les décisions des agents ? Quel lien y a-t-il avec le CB ?

Notes
122.

. Les ouvrages d’économie abordent rarement le sujet. Par exemple, chez Mises (1934), il n’est pas fait mention du crédit interentreprises ; pas davantage chez Flouzat (1987). Il est absent aussi chez Walsh (2003). Certes nous n’avons pas fait de recherches extensives dans tous les ouvrages, mais il est certain qu’il ne s’agit pas d’un thème majeur de la littérature.

123.

. Le besoin en fonds de roulement (BFR) est égal à la somme du financement client, des stocks, auxquels on retranche le financement fournisseur. Plus le BFR est important, plus l’entreprise est dépendante de ses actionnaires ou de ses banquiers et sa croissance toujours bridée.

124.

. En réalité, c’est beaucoup une question de coutumes nationales. Le CI est sans doute beaucoup plus développé en France qu’en Allemagne.

125.

. Bardes (2003).

126.

. Également Encyclopædia Universalis sur CD ROM version 9, 2004.