La critique du théorème

Ce théorème a été critiqué pour le caractère excessivement restrictif de ses hypothèses, critique d’ailleurs acceptée par les auteurs. Mais la gêne qu’on éprouve en l’examinant ne s’explique pas seulement par la démonstration magistrale ou le manque de réalisme des hypothèses (et donc l’inapplicabilité). La véritable cause en est la nature sophistiquée du raisonnement : brillant, doté d’un très grand pouvoir didactique, mais non naturel et fondamentalement faux.

Ce n’est pas cependant pour combattre des moulins à vent que nous le contesterons, mais parce qu’il est antinomique avec le principe de notre thèse.

Commençons d’abord par une analogie qui nous permettra de déceler la faille du raisonnement : prenons les mêmes hypothèses et considérons deux entreprises ayant chacune un seul actif, de valeurs identiques. Pour la première, il s’agira d’un avion privé pour le dirigeant et, pour la seconde, d’un métier à tisser. Comme l’actionnaire de la première peut acquérir un métier à tisser et celui de la seconde un avion privé, que l’arbitrage est possible et les coûts de transaction inexistants, la valeur économique des deux entreprises serait identique !

Nous avons à dessein caricaturé le raisonnement, mais l’on voit néanmoins par où il pèche : le temps a été exclu de la démonstration. Ex ante, il est évident que deux actifs achetés au même prix ont la même valeur ; ex post, les deux investissements ne donnent pas le même résultat et il est impossible d’arbitrer ex post sur les mêmes bases qu’ex ante.

Il en est de même pour les ressources. Ex ante, emprunter ou augmenter le capital, emprunter à court terme ou à long terme, en euros ou en yens, sont des alternatives possibles qui procurent les mêmes ressources. Mais ex post, le résultat est rarement le même (sauf par accident).

MM méconnaît l’essence de l’entreprise. Elle consiste à combiner des actifs et des ressources. Au départ, plusieurs combinaisons sont possibles, et l’entrepreneur en choisit une seule. Il peut, avec le métier à tisser, ajouter une filature, un crédit à court terme en yens (peut-être auprès d’un fournisseur plutôt qu’auprès d’une banque), un grand capital du fait d’un besoin en fonds de roulement important… L’entrepreneur fait des choix, à la fois pour les emplois et les ressources. Ces choix ne sont pas indépendants car, par exemple, des emplois peu liquides obligent à prendre des ressources dont l’exigibilité n’est pas rapide. L’équivalence des modes de financement et l’inutilité de les considérer avant la décision d’investir sont, tous les jours, démenties par les faits.

En prenant pour hypothèse l’inexistence du risque, MM commet un contresens. L’entreprise et le crédit ont pour cause la gestion du risque, tous trois sont consubstantiels. Vouloir étudier le financement des entreprises en excluant le risque est comme étudier la médecine en prenant pour hypothèse l’inexistence de la maladie.

En négligeant ainsi le risque, MM ne permet ni de justifier la différence de rémunération entre les fonds propres et les fonds empruntés, ni de rendre compte de la différence de valeur économique entre une entreprise très endettée et une autre qui l’est moins (qui s’explique par la théorie des options réelles140). MM ne donne pas non plus la mesure de la richesse pouvant être générée en offrant aux investisseurs le couple risque-rendement désiré.

En réalité, les actifs d’une entreprise définissent un couple risque-rendement. Ce couple ne trouve pas nécessairement un « acquéreur ». Par le mécanisme de l’entreprise et du crédit, en combinant les proportions du capital et les différentes sortes de financement, l’entrepreneur arrive à offrir à ses investisseurs le couple qui leur convient. Ce faisant, il réduit les coûts de financement et parfois tout simplement trouve les ressources qui, autrement, auraient fait défaut.

En conclusion à cette sous-section, nous tenons à affirmer le lien indissoluble entre les emplois et les ressources d’une entreprise141, la position centrale du risque et le fait que l’innovation financière crée de la richesse.

Notes
140.

. Une entreprise qui n’est pas endettée a encore la possibilité de le faire, ce qui lui donne une option sur des opportunités, alors qu’une entreprise qui est endettée n’a pas cette option. La prime théorique de ces options dites réelles constitue la différence entre les deux valeurs économiques. Bien évidemment, la prime augmente lorsque la liquidité diminue ou que l’entreprise endettée a également un risque de faillite.

141.

. Nous en verrons des applications dans les parties suivantes.