Bâle 2

Le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire (Comité)146 a estimé, vers la fin des années 1990, que l’approche Ratio Cooke était dépassée parce qu’elle ne prenait en compte ni les nouveaux instruments financiers, ni la nature des divers types de risque supportés par la banque ; elle ne donnait aucune considération aux sûretés dont la banque pouvait disposer et elle mettait sur le même plan toutes les entreprises emprunteuses. De plus, elle donnait un traitement trop favorable aux crédits souverains. Enfin, les risques de fonctionnement étaient négligés.

Le nouvel accord qui en est issu repose sur trois piliers :

Les fondations du secteur financier seraient, en quelque sorte, assurées par un engagement plus important des actionnaires, des autorités de tutelle et du marché. Ces trois intervenants disposeraient d’une meilleure information et d’outils relativement standardisés d’analyse du risque, peut-être inspiré, au départ, de la méthode VaR.

Les risques de crédit et de marché sont plus finement analysés. Dans le précédent accord, le risque de crédit (sans garantie) sur une entreprise était évalué à 100 %. Dans le futur accord, il est fonction du « rating » de cette entreprise. L’allocation de capital et donc le coût du crédit sont totalement différents. Par exemple, un prêt à une société de rating AAA était dans l’ancien accord pondéré à 100 %, et dans le nouvel accord à 20 %.

Par conséquent, si l’on considère que le coût d’un crédit se décompose en coût des ressources nécessaires (ce qu’il en coûte à la banque pour s’endetter), en coûts d’exploitation (la commercialisation du crédit, son suivi, son administration) et en coût d’allocation de capital (le montant du capital nécessaire pour ce crédit multiplié par la rémunération minimum à assurer aux actionnaires), le coût des crédits faiblement risqués s’abaisse considérablement. Supposons pour l’illustrer un crédit de cent millions d’euros donné à une société ayant un rating AAA ; admettons que le coût du capital soit de 10 % et que le coût des ressources empruntées soit de 5 %. Dans l’actuel système, la banque devait allouer huit millions d’euros de son capital (le ratio Cooke est de 8 %). Avec un taux de 10 %, le coût du capital serait de 800 000 euros. Le coût total du crédit (hors frais d’exploitation) serait de 5,4 millions d’euros. Dans le futur système, l’allocation est divisée par cinq, ce qui donne un coût du capital de 160 000 euros et un coût total de 4,92 millions d’euros.

La banque, à conditions égales, sera incitée à prêter davantage aux meilleures signatures, ce qui à terme abaissera les conditions d’emprunt des bons risques.

De même, les garanties sont mieux prises en compte. Enfin, les prêts au détail – les prêts standardisés aux PME sont assimilés au « retail lending » – bénéficient d’une pondération de 75 %, pourvu qu’ils répondent à certaines conditions de nature, de granularité et de volume.

Une autre innovation de l’accord est l’introduction du risque opérationnel. Celui-ci est défini comme le risque de pertes résultant de processus internes inadéquats ou défectueux, ou d’événements extérieurs. De la même façon que pour les risques de crédit ou de marché, les banques doivent allouer une part de capital à ce risque147.

Si le nouvel accord apporte des améliorations incontestables au niveau de l’information, des règles prudentielles et de la gestion des risques opérationnels, il comporte néanmoins des inconvénients sérieux s’il est appliqué sans discernement dans les pays émergents. En effet, les banques dans ces pays sont forcément plafonnées dans leurs ratings par le rating souverain. Au niveau des ressources, elles ne pourront donc avoir que des ressources chères, tant au niveau des emprunts (dépôts, obligations, etc.) qu’au niveau des fonds propres, et ce quelle que soit leur politique de placement.

Ce qu’elles placent localement, auprès d’emprunteurs nationaux, sera affecté d’un coefficient de pondération de 150 % au lieu de l’actuel 100 %. À titre d’exemple, considérons une banque dans un pays émergent qui a un portefeuille de crédits locaux de 100 millions d’euros, dont le coût du capital est de 20 % et le coût des ressources empruntées de 7 %. L’application de Bâle 2 ne changera pas les taux des ressources. Mais en revanche, il modifiera substantiellement le coût pondéré. Dans l’ancien système (ratio Cooke 8 % et coefficient 100 %), le coût pondéré était de 7,64 millions d’euros. Dans le système projeté (ratio 8 % et coefficient 150 %), il sera de 8,56 millions. Le surcoût est donc de 9 pour mille de l’ensemble des crédits. Le tableau suivant résume le calcul :

Tableau 20 : Comparaison entre Bâle 1 et Bâle 2
100 millions Capital alloué Coût du capital Coût des dépôts Coût total
Ancien accord 8 millions 1,6 millions 6,44 millions 7,64 millions
Nouvel accord 12 millions 2,4 millions 6,16 millions 8,56 millions

Les résultats de l’accord pour les pays émergents risquent d’être :

Les pays émergents devraient donc appliquer Bâle 2 avec discernement. Notre modèle de la banque comme fonds commun de créances permet d’en dessiner les grandes lignes :

Les investisseurs (déposants et actionnaires) souhaitent prendre un risque (relativement) élevé – si ce n’était pas le cas ils auraient placé à l’extérieur du pays. Les crédits locaux (sans garantie) doivent donc être pondérés au taux antérieur de 100 % et les crédits standardisés à 75 %. Si en revanche la banque prête à un emprunteur étranger disposant d’un rating élevé, la banque appliquera la pondération prévue dans l’accord.

Par cette modification, les PED pourront implémenter plus vite l’accord, les banques commerciales et centrales amélioreront leur gestion en tenant mieux compte des risques, les entreprises locales ne souffriront pas d’un assèchement des crédits disponibles et ainsi, Bâle 2 sera, pour les PED, un événement majeur ayant le potentiel pour révolutionner leurs secteurs bancaires.

Notes
146.

. Le comité de Bâle, créé par les gouverneurs des banques centrales des pays du Groupe des Dix à la fin de 1974, regroupe des banques centrales et des organismes de réglementation et de surveillance bancaires des principaux pays industrialisés (Belgique, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne, Suède, Suisse, Royaume-Uni et États-Unis) dont les représentants se rencontrent à la Banque des règlements internationaux (BRI) à Bâle pour discuter des enjeux liés à la surveillance prudentielle des activités bancaires. Bien que le Comité de Bâle ne dispose d'aucun pouvoir officiel en matière de surveillance ou de juridiction, il établit des normes et des lignes directrices générales et formule des recommandations qui deviennent des standards internationaux. Les recommandations appelées Bâle 1 ou parfois ratio Cooke ont été décidées par le Comité en 1988 et progressivement implémentées par la majorité des autorités de régulation. Il s’agit d’un ratio de solvabilité qui est calculé en prenant au numérateur les fonds propres et au dénominateur les actifs et les engagements (hors bilan) suivant une certaine pondération. Le minimum requis est de 8 %, bien que certains pays exigent un ratio plus important – la Banque du Liban requiert 12 %.

147.

. L’évaluation des différents risques peut se faire suivant des grilles données par les autorités de surveillance ou par une mesure effectuée par les établissements bancaires eux-mêmes.