Les limites (relatives) à la politique monétaire sans monnaie nationale

Il est certain que l’absence d’une monnaie nationale introduit un certain nombre de contraintes qui, si elles ne sont pas du strict domaine de la politique monétaire, en relèvent indirectement :

Le prêteur en dernier ressort (PDR)

Il est classique d’estimer que le PDR doit disposer du pouvoir d’émission pour s’acquitter de sa tâche157. Cela est sans doute vrai dans les cas les plus extrêmes, lorsque le PDR a épuisé toutes ses liquidités et ses moyens d’emprunt, mais cela est faux dans la quasi-totalité des cas ; et de plus, dans ces cas extrêmes, le remède n’est pas meilleur que le mal, l’hyperinflation finissant par provoquer la faillite du secteur bancaire.

Dans la très grande majorité des situations, un PDR est la « mutuelle » qui couvre les banques commerciales lorsque l’une d’elles a des difficultés de trésorerie. Les difficultés qui touchent toutes les banques simultanément ont généralement lieu après que l’une des banques a fait défaut et qu’une panique bancaire y a fait suite. Le PDR interrompt la chute des « dominos » en soutenant la première banque158. Ce rôle de « mutuelle » peut être pris en charge avec les réserves obligatoires, le capital de la banque centrale, les ressources internationales (les DTS ou des soutiens étrangers) et des mesures d’extrême urgence tel un gel momentané des retraits159.

Il n’est pas nécessaire que la banque centrale se dépêche d’imprimer des billets. Si d’ailleurs ce devait être ainsi, il est fort probable qu’il y aurait une fuite devant la monnaie. Dans le cas d’un PED, l’absence de monnaie nationale éviterait à la banque centrale de combattre sur deux fronts : celui de la protection de la monnaie nationale et de la défense des banques commerciales. De plus, l’existence d’une monnaie nationale oblige une banque centrale à assurer également la fonction d’emprunteur en dernier ressort (EDR)160.

Notes
157.

. Dans « Dealing with Banking Crises in Dollarized Economies », in Gulde A.-M. et al. (2003), p. 54, les auteurs estiment que les autorités monétaires doivent avoir une stratégie claire pour disposer de liquidités en cas de « bank runs ». Bien que l’article n’évoque que des cas de dollarisation partielle, il est logique que la stratégie valable en dollarisation partielle le soit aussi en dollarisation totale.

158.

. La règle en matière de PDR a été énoncée par Bagehot (1873), et peut se résumer ainsi : le prêteur doit prêter sans contraintes, à un taux de pénalité et contre une bonne garantie.

159.

. En réalité, l’avantage immense d’un PDR national, avec ou sans monnaie nationale, est la disposition de la force publique. Une banque centrale peut, hors de tout cadre juridique, « convaincre » les établissements bancaires de soutenir un collègue défaillant (cela a été le cas pour LTCM, voir Dunbar [2001]). Elle peut aussi geler les transferts et les retraits.

160.

. À notre connaissance, la littérature n’évoque pas l’EDR.

La Syrie est un cas intéressant et rarequi permet d’appréhender le problème. L’État syrien est relativement peu endetté. Jusqu’en 2004, les seules banques étaient publiques. Elles déposaient leurs liquidités à la banque centrale qui les prêtait à l’État. Après 2004, malgré l’arrivée des banques privées, la situation n’a pas changé : les liquidités finissaient chez l’État par l’intermédiaire de la banque centrale, mais sans aucune rémunération. L’expérience montre que les banques ont été conduites à refuser des dépôts (donc bancarisation ralentie), à prêter avec moins de discernement (risque accru) et à des taux d’intérêt aléatoires (perte d’information sur le prix du marché de crédit). Il est prévu qu’en 2008, l’État syrien s’endette par des bons du trésor, ce qui ramènera la Syrie dans la norme. Il n’en reste pas moins qu’il pourrait exister un État non endetté. L’exemple syrien démontre qu’il est hautement souhaitable qu’il existe un emprunteur en dernier ressort. Nous pensons que c’est la banque centrale qui doit assumer cette fonction.