1. Le cautionnement omnibus

Par cautionnement omnibus, on entend ordinairement le cautionnement de toutes les dettes que tel débiteur a ou pourra avoir envers un créancier183. Dans cette sous-section, nous exposerons une proposition parue dans le Commerce du Levant 184, qui est une extension de l’acception traditionnelle du cautionnement omnibus. Nous reprendrons dans notre exposé de larges extraits de l’article.

L’idée de base (en simplifiant fortement) est qu’une société qui chercherait à augmenter ses moyens propres a le choix entre augmenter son capital ou se faire cautionner. Cette simplification reflète bien, en réalité, les alternatives qui existent dans les marchés peu évolués : on y voit rarement des opérations de titrisation ou des émissions d’obligations.

Les inconvénients de l’augmentation de capital sont principalement le coût de cette opération. L’actionnaire doit convertir des actifs personnels dans les actifs qui pourront être apportés à la société. Ainsi, si son actif consiste en un bien immeuble, il devra vendre ce bien, perdre éventuellement sur la différence entre le prix de vente et la valeur du bien, et sa société paiera les droits d’enregistrement afférents185 ainsi que la taxe sur l’augmentation de capital186. Les malheurs de l’actionnaire ne s’arrêtent pas là puisqu’il sera à nouveau taxé sur les profits et les dividendes. Ainsi, si le bien qu’il a vendu avait un rendement annuel de 3 %, que la déperdition dans la conversion est de 25 %, que la taxation des bénéfices est de 40 % en consolidé et que le rendement de sa société est de 25 % avant impôts, alors il ne pourra restaurer son patrimoine avant deux ans et demi (et cela sans même considérer le coût pour le ramener dans son patrimoine privé). Or les hypothèses que nous avons prises sont exceptionnelles : les biens immobiliers s’apprécient généralement de plus de 3 % par an et les rendements des sociétés après prise en compte des risques sont rarement de 25 % avant impôts. C’est pourquoi les actionnaires préfèrent donner un cautionnement pour que leur entreprise puisse emprunter. Dans le cas ci-dessus, et si le taux d’intérêt est inférieur à 25 %, l’accroissement du patrimoine commence le premier jour.

Le cautionnement présente cependant un inconvénient : on ne peut pas mettre en concurrence plusieurs créanciers. Le créancier qui dispose de la sûreté a, en quelque sorte, un monopole sur le crédit de l’entreprise. Prenons un exemple caricatural : soit une entreprise qui n’a pas de capital et dont l’actionnaire dispose d’un patrimoine personnel d’un million d’euros. Si l’actionnaire veut donner un cautionnement à une banque pour un million, les autres créanciers n’accepteront probablement plus sa signature et n’accorderont que marginalement des crédits à sa société. Si l’actionnaire veut diviser son cautionnement sur plusieurs créanciers, son entreprise aura toujours du mal à optimiser ses emprunts.

‘« Une solution à ce dilemme est de fournir à la société un cautionnement, mais au bénéfice de tous ses créanciers actuels et futurs, et non d’un créancier unique et identifié. On baptisera « omnibus » cette forme nouvelle de garantie. Quels sont les avantages de cette formule ?
À la différence du cautionnement ordinaire, le cautionnement que nous appelons omnibus permettra à la société d’avoir des conditions de financement optimales, par le jeu de la concurrence, désormais ouvert entre les créanciers. Tout à fait comme une augmentation de capital donc, sauf que,
1 - À la différence de l’augmentation de capital, il ne requiert pas de l’actionnaire d’engager des espèces.
2 - À la différence de l’augmentation de capital, il n’est pas définitif, il peut être consenti pour une durée limitée.
3 - À la différence de ce qu’il en sera en cas d’augmentation du capital, les intérêts des fonds que la société empruntera pour pallier la non-injection de capitaux sont déductibles, utiles donc fiscalement187. »’

Ce cautionnement est-il valable juridiquement ?

Il ne fait guère de doute qu’un cautionnement est valable alors même que les dettes qu’il est appelé à couvrir sont encore seulement virtuelles188.

Plus délicat est le fait que les créanciers ne sont pas identifiés. En effet, le cautionnement est un contrat entre la caution et le créancier. Comment ce contrat peut-il être conclu alors que la caution ne connaît pas les créanciers ?

‘« Le contrat de cautionnement omnibus passé entre la caution et la société au profit des créanciers de cette dernière constitue une “stipulation pour autrui” (comme l’assurance au profit de tiers), laquelle peut valablement intervenir au profit de personnes encore non déterminées, pourvu qu’elles soient déterminables à terme (art 238 COC) : donc au profit de tous les créanciers actuels et futurs de la société. “Il est possible que le créancier lui-même ne soit pas déterminé et que la caution se soit engagée pour toute dette du débiteur garanti”189. »’

En pratique, le cautionnement omnibus ne peut fonctionner que si la caution est indiscutable. Les créanciers qui, rappelons-le, ne sont pas partie au contrat, n’accorderont leur crédit au débiteur que s’ils sont absolument rassurés par la caution. On peut concevoir qu’une personne ayant un certain prestige dans sa communauté donne un tel cautionnement, mais le plus réaliste serait qu’une institution le fasse. Quelques cas d’application clarifieront notre propos.

1. La SFI (International Finance Corporation), membre du groupe Banque Mondiale, a pour vocation d’assister le secteur privé dans les PED. À ce titre, elle prend des participations ou elle accorde des crédits à long terme à des entreprises dans ces pays.

À la fois les participations et les prêts sont pour des durées limitées : dans le premier cas la SFI dispose d’une option de vente (Put) et, dans le second, le crédit a une certaine maturité.

Cependant, la sortie pour la SFI est parfois problématique. L’actionnaire n’a pas toujours les moyens, à l’échéance, de se substituer à la SFI ; la société souvent n’a pas généré les bénéfices permettant de se passer du capital apporté par la SFI. En outre, durant toute la période, les coûts que nous avons décrits plus haut obèrent la contribution qui est faite par la SFI. La solution pourrait se trouver dans l’utilisation du cautionnement omnibus. La SFI donnerait son cautionnement en faveur de tous les créanciers pour toutes les créances existantes ou nées et échues durant la période, et son cautionnement se terminerait à l’échéance prévue. La SFI pourrait recevoir une rémunération du débiteur pour le cautionnement accordé – une rémunération qui a un traitement fiscal bien plus avantageux que celui des dividendes et sans doute aussi des intérêts.

À l’échéance, l’actionnaire n’a plus besoin d’emprunter pour rembourser la SFI. Il lui faudra simplement ajuster son activité pour que les créanciers ne coupent pas brutalement leurs lignes après la sortie de la SFI ou, s’ils le font, de ne pas en être trop affecté.

2. L’Oséo-Anvar190 est dans la même configuration que la SFI et pourrait également accroître son action en étant caution omnibus pour des entreprises innovantes. L’avantage pour l’Anvar serait de disposer de moyens plus importants – ceux-ci sont actuellement limités aux contributions faites par l’État.

3. Les banques pourraient aussi utiliser le mécanisme dans des pays où la liquidité est tendue. À l’heure actuelle, les banques interviennent principalement par des crédits de trésorerie. Elles effectuent également des crédits par signature, mais cela est généralement limité aux opérations de financement des importations (crédits documentaires à vue ou à terme) ou en avalisant des effets de commerce. Ce qui mérite d’être souligné, c’est que les engagements par signature dans les PED sont rémunérés à des niveaux étrangement bas, que le risque est mieux rémunéré lorsqu’il s’agit d’un prêt (alors que les autorités de tutelle les pondèrent de façon identique !) et cela ne s’explique que par le risque de liquidité. Typiquement, une banque fera payer à un client donné une commission de garantie de 2 % par an, et 3 ou 4 % par an au-dessus du taux sans risque pour les prêts.

Certes les coûts de transaction jouent un rôle (pas de coûts de collecte, pas de frais pour l’institut de garantie de dépôts) mais ces coûts ne justifient même pas la moitié de la surprime de risque.

Les banques pourraient donc délivrer à certains de leurs clients des cautionnements omnibus. Ces derniers pourraient alors, profitant de l’amélioration de leurs capacités d’endettement, solliciter des crédits auprès des créanciers les moins chers.

Tout cela évidemment suppose que les bilans publiés incluent la mention des cautionnements omnibus, voire qu’un registre spécial regroupe l’ensemble des cautionnements omnibus.

Sur un plan macroéconomique, le cautionnement omnibus des banques aurait beaucoup d’avantages puisqu’il réduirait fortement les coûts de transaction et, de plus, éviterait aux banques de courir à la fois le risque d’actif et le risque de passif puisque le seul risque qu’elles courent encore est celui de la faillite du débiteur.

On le voit, le cautionnement omnibus présente de gros avantages. Des mécanismes similaires ont été utilisés ou pourraient l’être : les « Names » de Lloyd pourraient être assimilés à des cautions omnibus tout comme les associés d’une société en nom collectif (SNC) ; le capital non appelé d’une société ressemble aussi à l’engagement des cautions omnibus.

Force toutefois est de reconnaître la supériorité du cautionnement omnibus : les « Names » et les associés des SNC ont un engagement illimité, l’information du créancier est insuffisante sur les « Names » et sur les actionnaires (après appel du capital), et, sauf dans le cas des « Names », ces garanties implicites ne sont pas rémunérées.

Nous avons donc énoncé dans cette première section les avantages du cautionnement omnibus. Mais nous avons constaté qu’il n’était ouvert qu’à des cautions jouissant d’une crédibilité indiscutable. Le Certificat est une façon de démocratiser le cautionnement omnibus du fait que tout propriétaire d’un bien immeuble pourra être caution omnibus.

Notes
183.

. Ancel (2000), p. 33.

184.

. Obegi-Onaissi (2003), p. 78-79.

185.

. Au Liban, les droits d’enregistrement sont réduits, lorsque le transfert de propriété s’opère dans le cadre d’un apport en capital, à 2 % ad valorem.

186.

. En France, cette taxe est devenue un droit fixe de moins de 500 euros, mais au Liban elle est toujours de 5 pour mille.

187.

. Obégi, Onaissi, (2003), op. cit.

188.

. Pour le droit français voir par exemple Ancel (2000), p. 28-29, et pour le droit libanais l’article 1057 du code des obligations et des contrats (COC).

189.

. Simler (2000), p. 147. L’auteur cité tire la validité d’un tel engagement du jeu de la stipulation pour autrui.

190.

. Oséo-Anvar est une société anonyme, filiale de l’établissement public national à caractère industriel et commercial Oséo placé sous la tutelle du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie et du ministère délégué à l’Enseignement supérieur et à la Recherche. Oséo-Anvar a pour mission de soutenir l’innovation et le transfert de technologies : financement et accompagnement des projets.