2. Le Certificat Hypothécaire est-il un cautionnement réel ?

Nous avons, dans l’introduction de ce chapitre, défini provisoirement le Certificat comme un cautionnement réel omnibus. Nous allons ici tenter d’établir les ressemblances (1) et les différences (2) entre le Certificat et le cautionnement réel, ce qui nous permettra d’en dresser les contours et d’esquisser les aménagements législatifs nécessaires.

1. Selon la jurisprudence, le cautionnement réel est une sûreté réelle191 et non pas personnelle. Pour François (2004), tant la nature de cette sûreté – qu’il qualifie de royaume des controverses – que son régime juridique sont âprement débattus192. Les règles applicables en la matière tiennent à la fois du droit du cautionnement et de celui des sûretés réelles. Du fait qu’il est sûreté réelle, ce type de cautionnement est soumis aux conditions de formation, au formalisme et au peu de souplesse qui régissent le droit des sûretés réelles193. Néanmoins, l’engagement de la caution ressortit certainement des règles principales applicables au cautionnement personnel194.

Selon Ancel (2000)195, les cautionnements présentent certaines caractéristiques essentielles :

Le Certificat répond à toutes ces exigences essentielles : le contrat entre le créancier et la caution est effectué entre la caution et le débiteur qui « agit » pour le compte du créancier selon le mécanisme de la stipulation pour autrui ; la caution est évidemment libre de s’engager ; la caution s’engage sans que le créancier assume une obligation ; le créancier ne paie rien à la caution, c’est le débiteur qui règle la commission de garantie ; c’est le défaut de la banque (débiteur cautionné) qui déclenche l’appel à la caution.

2. De l’économie de l’instrument, on peut déduire certaines différences ou au moins certaines particularités du Certificat.

Le Certificat doit être équivalent au cautionnement simple. En effet, dans le cautionnement simple, la caution n’est tenue de payer qu’après que le débiteur principal a été dans l’incapacité de payer (le bénéfice de la discussion). Or, il serait inconcevable que les déposants de Certificats, des particuliers généralement peu avertis, soient mis dans l’obligation de payer alors que la banque fonctionne toujours. De plus, dans le cautionnement simple, le créancier doit diviser ses poursuites entre les différentes cautions (bénéfice de la division). Comme il serait particulièrement injuste qu’en cas de faillite d’une banque certaines cautions soient poursuivies et pas les autres, on doit en conclure que les règles du cautionnement simple doivent s’appliquer. Cependant, s’agissant des cautions réelles, un arrêt197 a été prononcé pour la mise à l’écart des bénéfices de discussion et de division, sous réserve d’une stipulation contraire198. Par conséquent, la loi instituant le Certificat devrait, nonobstant la jurisprudence, donner le bénéfice de la discussion et de la division aux porteurs de Certificats.

La distinction cautionnement civil cautionnement commercial se limite pratiquement à la question de la compétence199. Néanmoins, pour rassurer les porteurs de Certificats, il serait bon que le Certificat soit civil.

Le Certificat est un cautionnement de dettes indéterminées, en faveur de créanciers indéterminés, ce qui est le propre du cautionnement omnibus, tel que nous l’avions défini dans la section précédente.

Il est évident que le formalisme ne peut être supérieur pour le Certificat que pour une opération de transfert dans une banque. Le Certificat n’atteindrait certainement pas son plein effet si, à chaque dépôt, il fallait écrire toutes les mentions manuscrites, passer devant notaire et attendre l’inscription de l’hypothèque et s’il fallait obtenir l’assentiment de tous les créanciers pour que la stipulation pour autrui soit opérante. Nous verrons plus loin comment devrait s’organiser la protection du propriétaire et du créancier ainsi que l’information des tiers.

La norme en matière de cautionnement de dettes indéterminées est que l’échéance du terme entraîne une extinction de l’obligation de couverture mais non celle du règlement. Cela signifie qu’un cautionnement dont l’échéance est à la date X continue à produire ses effets après cette date. En l’occurrence, la caution peut être contrainte à payer après la date X une dette qui est née avant cette date. Cette norme ne peut s’appliquer dans le cas du Certificat : à l’échéance du dépôt, il est impensable que le porteur puisse être encore engagé pour une durée indéterminée et un montant inconnu. Ce serait comme si un déposant en numéraire, ayant retiré son argent, pouvait se le voir réclamer à nouveau. La loi devrait établir sans aucune équivoque que le porteur est totalement libéré à l’échéance de son dépôt200 (pourvu qu’il n’y ait pas faillite de la banque avant cette date).

Trois régimes de subrogation sont possibles :

Le régime français prévoit, selon l’adage « Nemo censetur subrogare contra se » (C. civ., art 1252), que la caution n’est subrogée dans les droits du créancier qu’une fois celui-ci complètement désintéressé.

Le régime libanais opère la subrogation dès que la caution s’est acquittée de son obligation auprès du créancier.

Nous pensons pour notre part que la subrogation doit s’effectuer dès que la caution s’est libérée auprès de la faillite.

Un exemple permettra de voir les différences entre les trois modes.

Supposons que le débiteur doit 100 000 euros à son créancier qui dispose d’un cautionnement pour 50 000 euros. Supposons aussi que les actifs résultant de la liquidation se montent à 20 000 euros.

Selon le régime français, le créancier obtiendra 50 000 euros de la caution et 20 000 du débiteur, la caution ne pouvant être subrogée.

Dans le système libanais, le créancier recevra 50 000 de la caution et se partagera avec la caution les 20 000 d’actifs.

D’après notre proposition, la caution versera à la faillite 50 000 euros et partagera avec le créancier 70 000 euros.

Le tableau suivant montre les différences de résultat.

Tableau 22 : Comparaison de systèmes de subrogation
  Subrogation France Subrogation Liban Subrogation proposée
Résultat pour le créancier - 30 000 euros - 40 000 euros - 53 333
Résultat pour la caution - 50 000 euros - 40 000 euros - 26 666

Deux raisons nous poussent à préférer la dernière solution. D’une part, les porteurs de Certificats ont accordé leur cautionnement à l’ensemble des créanciers indistinctement, on pourrait donc considérer qu’ils sont créanciers par signature et donc qu’ils doivent concourir à égalité avec les autres créanciers. Mais d’autre part, et plus fondamentalement, ils prennent le même type de risque que les déposants, ils ont les mêmes informations et ils correspondent aux mêmes catégories socioprofessionnelles.

Le choix de cette dernière option ne compromet pas la qualification du Certificat comme étant un cautionnement réel. En effet, les solutions française et libanaise ne sont pas d’ordre public, ce qui montre bien que ce ne sont pas des dispositions essentielles des cautionnements201.

Si l’on applique maintenant notre formule à une banque qui aurait reçu 1 000 millions d’euros de dépôts et 300 millions de Certificats qui, dans un premier scénario, dispose après défaut mais avant appel des cautions de 500 millions d’actifs et qui, dans un deuxième scénario, dispose de 800 millions d’actifs, on aurait pour les deux types de déposants les résultats suivants :

Tableau 23 : Résultats de la faillite pour les deux types de déposants
  Dépôts en numéraire Dépôts en Certificat Actif avant faillite Récupération par dép en num Récupération par dép en Cert
Scénario 1 1 000 millions 300 millions 500 millions 615 millions
61,5 %
185 millions
61,5 %
Scénario 2 1 000 millions 300 millions 800 millions 846 millions
84,6 %
254 millions
84,6 %

Notons que dans les deux scénarios, les déposants en numéraire ont augmenté le pourcentage de récupération par l’intervention des cautions. Ce pourcentage est passé dans le premier scénario de 50 % à 61,5 % et dans le second de 80 % à 84,6 %.

Au terme de cet exercice de qualification, nous retrouvons notre dilemme : le Certificat est-il un cautionnement réel omnibus ?

Nous avons vu que les règles impératives du cautionnement n’interdisaient pas cette application particulière mais que, notamment pour le terme et pour la subrogation, la torsion infligée à l’esprit du cautionnement conduit à récuser cette parenté. En réalité, nous avons « dénaturé » ce qui, pour le droit, est un « service d’ami », pour en faire une industrie.

Plus grave, nous verrons plus loin qu’il est important que le Certificat puisse être gagé par le déposant en faveur de la banque dépositaire. Cette particularité, qui n’est pas essentielle au concept, est néanmoins majeure pour la rapidité du succès de l’entreprise – les banques dépositaires offriront à leurs clients déposants une ligne de crédit automatique en contrepartie de leur dépôt en Certificat ou convertiront les hypothèques classiques en Certificat. Or, il semble peu concevable juridiquement qu’un cautionnement puisse être gagé et ainsi être l’accessoire de deux créances202.

Doit-on pour autant en conclure que le Certificat doit être une institution sui generis ?

Si cela devait être, la standardisation internationale y gagnerait, mais probablement au détriment de la rapidité initiale. À tout prendre et de notre point de vue, la balance incline davantage vers une institution nouvelle203.

Notes
191.

. Cass. 1 civ., 4 mai 1999, Bull. I, n° 144.

192.

. Jérôme (2004), p. 75-76.

193.

. Selon Mestre, Putman et Billiau (1996) « … la place des sûretés légales en droit positif pèse considérablement sur la conception qu’on peut se faire des sources des sûretés » (p. 209), et « … la loi déteint en quelque sorte sur le contrat. En particulier, le régime hypothécaire laisse peu de place à l’autonomie de la volonté, avec son exigence d’un contrat solennel soumis à publicité foncière », p. 210.

194.

. François (2004) citant Simler : « Le cautionnement réel est réellement – aussi – un cautionnement », p. 75. Une série d’arrêts ont depuis réaffirmé la nature du cautionnement réel comme étant une sûreté réelle (C. Mixte, 2 décembre 2005, C. Civ. 1, 7 février 2006 et C. Civ. 1, 28 février 2006) Cependant Ph. Simler, à l’aide d’arguments très convaincants, persiste dans sa conviction que le cautionnement réel est toujours – aussi – un cautionnement (Ph. Simler, Semaine Juridique, n° 39, 27 septembre 2006). Il est néanmoins probable que, quelle que soit l’issue du débat, les conclusions sur le fonctionnement du Certificat resteront valides.

195.

. Ancel (2000), p. 26-27.

196.

. Le fait que dans le Certificat la commission est payée par le débiteur et non par le créancier écarte la qualification possible d’assurance-crédit. Voir par exemple dans François (2004) pour la distinction entre cautionnement et assurance-crédit, p. 14-15.

197.

. Cf. Civ. 1, 6 mars 1979, Bull. civ. I, n° 78, JCP 1979. II. 19140.

198.

. François (2004), p. 85.

199.

. Ancel (2000), p. 28.

200.

Il est vrai qu’une telle réforme toucherait au principe du cautionnement comme accessoire de la créance. Cela entraînerait que l’accessoire (le cautionnement) peut être libéré alors que le principal (la créance) n’est pas encore libéré. On se rapprocherait donc d’une garantie autonome comme l’assurance-crédit.

A contrario, l’art. L. 341-2 C. Consomm. impose, pour les cautionnements d’une personne physique envers un créancier professionnel, la stipulation d’une durée. La mention obligatoire de la durée « est franchement inopportune […] le cautionnement a […] vocation à en épouser la durée d’exigibilité [de la créance]… » François (2004). De notre point de vue, le législateur ne semble plus aussi catégorique sur le caractère accessoire du cautionnement et par suite sur la distinction entre obligation de couverture et obligation de règlement.

201.

. On peut toutefois contester notre analyse : la loi fait bénéficier la caution de la subrogation dans la mesure où elle a payé, par obligation, une dette qui n’était pas la sienne (C. Civ., art. 2029) ; or le lien entre la dette principale et l’engagement de la caution apparaît bien ténu. Celle-ci ne paie réellement que sa propre dette et exerce ensuite un recours qui pourrait être fondé sur les obligations réciproques du contrat initial.

202.

. Nous verrons plus loin comment le Certificat peut être gagé.

203.

. Me Onaissi pour sa part fait l’observation suivante : « Le mécanisme particulier que tu préconises pour le recouvrement, par lequel les “cautions” et les créanciers se partagent, entre autres, les fonds versés par les premiers, suppose naturellement que les “cautions” se sont exécutées entre les mains de la banque “faillie”. Il en découle que, ne s’étant pas acquittées entre les mains des créanciers, mais de la débitrice, les “cautions” ne trouvent pas leur titre de créance, à l’égard de cette dernière, dans un recours subrogatoire. Pas plus donc que dans son mode de constitution (contrat avec la banque), puis de fonctionnement (rémunération par la banque), l’opération examinée ne s’apparente au cautionnement dans son mode de dénouement (paiement à la banque) » (e-mail du 1er septembre 2005).