3. Le Certificat hypothécaire, un prolongement naturel de l’hypothèque

Du latin hypotheca et du grec hypothéké, mot à mot « ce qu’on met en dessous204  » (c’est-à-dire pour conforter la créance) et parfois qualifiée de mère de toutes les sûretés, l’hypothèque est une institution fort ancienne mais qui n’apparaît que tardivement dans sa forme actuelle. Gaius en donne une définition dans son Digeste : « L’hypothèque se contracte par une simple convention lorsque quelqu’un convient que ses biens seront hypothéqués en garantie d’une obligation205. » Dans le droit romain, l’hypothèque n’est réellement qu’un gage sans dépossession. Dans le très ancien droit coutumier, le bien le plus précieux était la terre, qu’on appelait l’héritage. C’était un bien impérissable, familial et donc insaisissable et dont on ne pouvait disposer et a fortiori hypothéquer qu’à des conditions très strictes. Une loi postérieure à la Révolution fixe le régime de l’hypothèque (nous ne parlons ici que de l’hypothèque conventionnelle et nous négligerons les hypothèques légales ou judiciaires) telle que nous la connaissons aujourd’hui. Voici ses caractéristiques fondamentales :

Sociologiquement, elle n’est pas encore parfaitement acceptée. À ce jour, certains pays comme l’Arabie Saoudite la découragent (le droit charieh accepte en revanche le Rahn, une institution proche de l’antichrèse, ou gage immobilier). Dans la plupart des pays, une taxe relativement élevée (entre 1,5 % et 5 % dépendamment des pays et des montants) et un formalisme très lourd réduisent le nombre des transactions hypothécaires.

Pourtant, malgré la réticence des législateurs et l’hésitation des débiteurs, l’hypothèque s’est développée, de sorte que le seul crédit hypothécaire résidentiel atteint en France 24,7 % du PIB206.

C’est que l’hypothèque présente un avantage manifeste pour le créancier et donc le débiteur. Dans une créance hypothécaire, il faudrait à la fois que le débiteur soit dans l’incapacité de payer et que le bien immobilier perde de sa valeur pour que la créance soit en danger.

Prenons le cas suivant : la créance est de 100 000 euros, l’hypothèque est sur un bien immobilier d’une valeur de 120 000 euros. Si la probabilité de défaut du débiteur est de 2 % et celle d’une dépréciation du bien supérieure à 20 %, de 10 % ; alors la probabilité d’une perte est de 2 pour mille. En outre, le LGD (loss given default) est faible, compte tenu de l’existence de l’hypothèque. Il est vrai que les processus de réalisation de l’hypothèque sont complexes et donc la déperdition est parfois supérieure à ce qu’elle devrait être théoriquement ; c’est pourquoi les banques ont développé depuis de nouvelles techniques de garanties immobilières (mais ce n’est pas le thème de notre étude).

Cependant, ce que nous avons dit plus haut n’explique pas pourquoi un débiteur augmente sa capacité d’endettement quand il hypothèque des biens lui appartenant. Même sans hypothèque, les créanciers disposent d’un gage général sur tous les biens du débiteur. Hypothéquer revient donc à favoriser certains créanciers sur d’autres. Si la règle de Lavoisier devait s’appliquer, les crédits obtenus grâce à une hypothèque devraient être compensés par des crédits perdus. Or, on constate que certains emprunteurs n’auraient jamais pu obtenir de crédits sans hypothèque et que le fait d’hypothéquer tend à permettre aux emprunteurs d’emprunter plus.

La littérature économique relève comme atout principal de l’hypothèque le signal qui est donné au créancier que le débiteur paiera. Ce signal est en effet fort crédible car, lorsqu’il y a déperdition dans le processus de réalisation, elle est généralement plus importante pour le débiteur que pour le créancier. Dans notre exemple ci-dessus, si la déperdition du fait de la vente aux enchères qui suit le défaut est de 40 %, cela coûtera au créancier au maximum 28 %, alors que le coût pour le débiteur sera de 40 % (puisqu’il reste astreint au paiement du solde).

Pour notre part, nous voyons deux causes principales à l’augmentation de la capacité d’emprunter : une information imparfaite et une répartition du risque plus efficace.

Le fait pour un emprunteur d’hypothéquer ne modifie pas sa surface. En théorie donc, et si les créanciers étaient parfaitement informés, rationnels et ayant le même profil de risque, hypothéquer ne devrait pas modifier la capacité d’emprunter. En pratique, l’information des créanciers est insuffisante : les créanciers chirographaires réagissent tardivement et souvent insuffisamment à la dégradation de leur risque consécutive à l’hypothèque, alors que les nouveaux créanciers garantis n’auraient probablement pas prêté sans hypothèque. Ils peuvent en effet beaucoup plus facilement évaluer la valeur d’un bien immobilier que celui d’un patrimoine diversifié ou d’une entreprise.

De plus, tous les créanciers n’ont pas le même profil de risque, et hypothéquer permet aux emprunteurs de « ratisser » plus large. L’hypothèque, qui consiste à affecter un patrimoine, agit comme un rehaussement de crédit (une technique habituelle dans la titrisation) : elle permet d’allouer aux créanciers ayant la plus forte aversion au risque des biens qui leur permettent d’y participer. D’un autre côté, ceux qui ont une plus grande propension au risque, comme les fournisseurs qui disposent d’information et d’une rentabilité élevée207, peuvent être chirographaires.

Évidemment, la discussion qui précède est superflue en matière de cautionnement réel puisqu’il s’agit d’ajouter au patrimoine du débiteur un nouvel actif, celui que la caution apporte.

Pour résumer, l’hypothèque augmente la capacité d’emprunt parce qu’elle permet une meilleure répartition du risque entre les créanciers, une meilleure information et un signalement. Le cautionnement réel est encore plus efficace puisqu’il y a hypothèque d’un bien qui n’était pas dans le patrimoine du débiteur.

Sans davantage argumenter, posons comme postulat que l’hypothèque est individuellement et socialement utile : elle permet d’entreprendre un projet (y inclus le projet d’acquérir sa résidence principale et dans cette éventualité les banques font généralement crédit avec un privilège de prêteur de deniers qui est une forme d’hypothèque) en utilisant le bien, objet de l’hypothèque, comme garantie en faveur des créanciers. Ainsi l’initiateur du projet, le créancier et la collectivité y trouvent leurs comptes ; le premier a l’espoir d’en tirer un profit, le second est conforté dans son prêt et la dernière parce que cela accroît l’activité nationale208.

Toutefois, comment expliquer qu’il existe un grand nombre de projets non financés par manque de sûretés et par ailleurs, un nombre aussi considérable de biens non hypothéqués ?

À cela il existe plusieurs raisons :

En fait, la dernière barrière est la plus handicapante. Il est clair que seul un nombre réduit d’initiateurs de projets sont propriétaires de biens immobiliers acceptables par une banque. Pour les autres, bien peu sont en mesure d’obtenir d’un tiers un cautionnement réel. De même, pour les propriétaires immobiliers, il est très difficile de « vendre » leur cautionnement. Il suffit d’imaginer ce que cela coûterait à un propriétaire immobilier qui chercherait à offrir (contre rémunération) sa garantie pour un projet entrepris par un tiers : la publicité qu’il devrait faire, l’étude des dossiers, le coût d’un risque non diversifié. Si les coûts d’une banque dans cette activité de collecte d’informations et de sélection de débiteurs étaient la moitié de ces coûts (ce qui est un minimum, une banque étant spécialisée dans cette activité), ils seraient en moyenne de près de 3 % par an.

Par suite, les cautionnements réels qui sont délivrés portent presque exclusivement sur des situations où la caution bénéficie d’une claire asymétrie d’information. Par exemple, un père garantit son fils ; une personne le fait pour son entreprise ; un associé pour son partenaire, etc.

On peut déduire de ce constat les remèdes à cette insuffisance :

1. Tout d’abord, il est évident qu’une situation où la propriété est indéterminée ne permet pas de délivrer des hypothèques. En l’occurrence, la propriété peut être indéterminée pour diverses raisons : cela peut être une concurrence entre deux propriétaires potentiels (il arrive que des biens soient vendus à l’aide de fausses procurations. Le propriétaire légitime est alors confronté à un acquéreur de bonne foi), cela peut aussi être l’absence d’autorisations nécessaires (des biens ont pu être construits sur du domaine public ou les autorisations n’ont pas pu être obtenues pour des raisons de lourdeurs administratives). Ces différents points ont été largement évoqués par De Soto (2001). Il va de soi que le système du Certificat requiert un très bon régime de propriété foncière. Par un effet de retour, le revenu généré pour les propriétaires les incitera à régulariser leurs situations209.

2. Il est clair également que les coûts de transaction directs : la taxe ou la difficulté d’inscription (certains biens sont parfois non hypothécables ou non cessibles pour des raisons d’indigénat, de capacité réduite ou autre) sont un frein puissant au développement du crédit soutenu par l’hypothèque. Les pays où un rationnement de crédit existe (qui donc ont un niveau de risque élevé) ont un intérêt absolu à réduire les coûts d’hypothèque à un niveau symbolique210. Une taxe fixe serait plus adaptée qu’une taxe ad valorem. En l’occurrence, le Certificat serait délivré gratuitement pour tous les biens éligibles.

3. Enfin, il faudrait que propriétaires et initiateurs puissent être mis en contact de façon efficace.

Dans des cas analogues, la société a généré trois réponses :

Ainsi pour l’échange de marchandises, l’investissement dans des sociétés et les prêts nous avons :

Tableau 24 : Comparaison entre marché, fonds communs et banques
  Marché Fonds communs Banques
Échange de biens Principale forme Non Non
Participations Oui Oui Modèle rhénan semble avoir échoué
Prêts Oui Oui Forme dominante 211

En ce qui concerne les hypothèques en faveur de tiers, il est évident que le marché ne pourrait pas répondre à la majorité des besoins ; des fonds communs de garantie fonctionneraient dans des pays évolués, mais seraient inefficaces dans des PED ; seules les banques pourraient constituer la réponse adéquate.

Les schémas ci-dessous illustrent l’objectif à atteindre.

Schéma 3 : Lien entre biens immobiliers et projets d’investissement–
Schéma 3 : Lien entre biens immobiliers et projets d’investissement– a/Situation actuelle
Schéma 3b)
Schéma 3b) Objectif

Imaginons que puisse être mise en place une structure juridique qui utiliserait les banques pour mettre en contact les propriétaires et les projets, le schéma pourrait ressembler à ceci :

Schéma 3c) Résultats après introduction du Certificat
Schéma 3c) Résultats après introduction du Certificat

Dans le schéma c), une banque a reçu des cautionnements réels en faveur de la totalité des projets qu’elle a financés et non pas de projets individuels212.

On peut remarquer trois changements par rapport à la situation actuelle :

Notons que le schéma b) pourrait fonctionner à la condition que l’information soit disponible pour les propriétaires. On peut donc concevoir que des garanties soient données pour des débiteurs cautionnés cotés en bourse. Il y aurait donc, à l’instar des investisseurs en capital ou en financement (les porteurs d’obligations), des investisseurs en garantie (voir la section concernant les garanties omnibus). L’inconvénient de ce schéma est que la diversification doit être faite par le propriétaire immobilier, ce qui suppose pour qu’elle soit efficace qu’il cautionne au moins une vingtaine de projets.

De même, on peut imaginer qu’à travers la banque les cautionnements réels soient affectés à des débiteurs individuels, que la banque offre le service d’information et non celui de diversification. Un tel modèle serait au schéma c) ce que la banque islamique est à la banque conventionnelle dans les avances monétaires (et à la condition qu’il n’y ait pas d’intérêts payés).

En résumé, l’hypothèque pourrait se développer si les coûts de transaction suivants étaient réduits :

Le Certificat tel que nous l’avons défini dans notre introduction répond à la quasi-totalité des conditions : il est gratuit, il est simple pour le constituant et le bénéficiaire, et il permet à tout propriétaire disposant de biens éligibles de participer à des risques diversifiés.

Cependant, le Certificat n’est pas simplement le prolongement de l’hypothèque. En premier lieu, il n’est pas appelé à remplacer totalement l’hypothèque classique : les biens dont la valeur dépassera celle du Certificat pourront être hypothéqués de façon classique, ou avoir en sus du Certificat une hypothèque de second rang.

Surtout, la baisse drastique des coûts entraînera un changement de nature et non pas seulement de niveau. L’hypothèque atteindra un seuil de concentration qui générera des effets de réseau.

Les barrières psychologiques que nous avions citées (seules les personnes surendettées et dans la détresse hypothèquent) seront beaucoup moins importantes puisque des propriétaires non endettés l’utiliseront.

En outre, il permettra au circuit du risque d’inclure un plus grand nombre d’intervenants qui, aujourd’hui, en sont exclus : petits propriétaires, associations, congrégations (au Liban elles disposent de beaucoup de biens stériles parce qu’elles ne veulent pas les vendre ni les louer et ne sont pas capables de les exploiter), organisations gouvernementales (combien les organismes étatiques ou para étatiques et les entreprises publiques disposent-ils de biens immobiliers, exploités ou non exploités, qu’ils pourraient mobiliser autrement à travers les Certificats ?).

Enfin, il assurera à l’institution hypothécaire une fluidité qu’elle n’a pas pour l’instant. Prenons un exemple : si le bien vaut 100 000 euros, le potentiel d’emprunt induit est de 100 000 euros. Mais en l’hypothéquant en faveur d’un créancier, ce potentiel n’est utilisable qu’auprès de ce créancier. Si l’on n’a besoin que de 50 000 euros avec ce créancier et de 50 000 avec un autre, la seule ressource est de faire une hypothèque de second rang. On ne peut pas faire plusieurs hypothèques du même rang. En revanche, rien n’interdira avec le Certificat de demander au Bureau des hypothèques des parts (du Certificat auquel on a droit), que l’on donnerait aux différents créanciers. Dans l’exemple, le porteur pourrait donner un Certificat pour 70 000 euros à un créancier et 30 000 à un autre.

De même, le propriétaire qui aura un projet commencera par déposer un Certificat en nantissement et, lorsque son projet sera payé, plutôt que de le retirer, il le laissera – un peu comme on laisse de l’argent en compte courant en attendant d’en avoir l’usage. Ce Certificat, laissé en dépôt auprès de la banque, servira (indirectement) au projet d’un autre.

Notes
204.

. Le Robert, 1962.

205.

. Trad. Gaudemet (2000), p. 399, n. 165.

206.

. Source : Fédération hypothécaire européenne. Hypostat 2003.

207.

. Voir page 124 sq.

208.

. Dans les pays anglo-saxons, on mentionne comme autre avantage du crédit hypothécaire l’extraction hypothécaire. Il s’agit des sommes que les ménages ont extrait, par l’emprunt, de leur richesse immobilière, pour les employer à d’autres fins que l’immobilier. Source : Jachiet et al. (2004). Afin d’augmenter cette extraction et rapprocher le crédit à la consommation en France de ce qu’il est en Angleterre ou aux États-Unis, le législateur français a, récemment, créé un nouveau concept : l’hypothèque rechargeable (Ordonnance du 23 mars 2006).

209.

. Dans les PED, il existe un grand nombre de biens qui sont irréguliers parce que le propriétaire répugne à faire l’effort d’obtenir les permis nécessaires ou de payer les amendes et les pots-de-vin lorsqu’ils existent. Un rendement annuel de 0,5 % par an pour les biens réguliers constituera un motif efficace de régulariser.

210.

. Les gouvernements des PED devraient considérer l’hypothèque comme un bien public qui doit être subventionné.

211.

Voir chapitre 2, section 2, p.135 sq.

212.

. Le concept offre une similitude parfaite avec celui de la banque comme fonds commun de créances (Chapitre 2, section 2).