1. Quelle garantie pour les Certificats ?

Dans la majorité des pays, les dépôts disposent d’une garantie. Nous évoquerons brièvement les systèmes existants, la logique qui préside à leur existence, et nous étudierons si les mêmes raisons justifient que les Certificats soient partiellement ou totalement couverts par une garantie.

Le premier système de garantie de dépôts aurait été institué par le Congrès américain au lendemain de la Grande crise de 1930 par le Glass-Steagall Act de 1933221. La Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) est une agence fédérale indépendante qui a des pouvoirs de contrôle et de régulation sur les banques, en sus de son rôle de garantie de dépôts. Depuis 1980, le plafond d’assurance a été porté à 100 000 dollars.

En Europe, une directive européenne du 30 mai 1994 sur les mécanismes de garantie des déposants au sein de l’Union européenne a conduit à une harmonisation des systèmes, avec un minimum de plafond d’indemnisation fixé à 20 000 euros.

En France, jusqu’à cette date, la garantie reposait sur l’article 52 de la loi du 24 janvier 1984 qui « autorise le Gouverneur de la Banque de France à inviter les actionnaires de l’établissement en difficulté à lui apporter le soutien dont il a besoin222 […] et lui permet de mettre en œuvre la solidarité de place et d’organiser le concours de l’ensemble des établissements de crédit en vue de prendre les mesures nécessaires à la protection des intérêts des déposants ainsi qu’à la préservation du renom de la place ». Dans les faits, c’est l’Association française des banques (AFB) qui avait organisé et gérait le mécanisme de solidarité de la place. Les plafonds d’indemnisation étaient variables.

La loi du 8 août 1994 a donc, conformément à la directive européenne, inséré dans la loi bancaire un article 52-1 prévoyant l’obligation pour tous les établissements de crédit d’adhérer à un système de garantie de dépôts. Le plafond d’indemnisation a été fixé à 400 000 francs français (approximativement 60 000 euros).

Au Liban, l’Institut National de Garantie de Dépôt (INGD) fut créé par la loi n° 28/67 du 9 mai 1967, dans le cadre des mesures d’assainissement du secteur bancaire, parues au lendemain de la crise de la Banque Intra. Dans ce but, l’Institut se proposait d’assurer aux déposants une marge minimum de garantie, en cas de difficultés survenues dans les banques ou ils avaient effectué ces dépôts. L’Institut fut qualifié alors de « société d’économie mixte », jouissant d’un capital souscrit à 50 % par l’État et le reste laissé aux diverses souscriptions des banques, opérant au Liban, à raison d’une participation de cent mille livres par banque.

Le plafond d’indemnisation est actuellement de 5 millions de livres libanaises (2 800 euros). Et, bien que le plafond soit dérisoire, que les cotisations des banques soient importantes (1 pour mille du total des dépôts), l’Institut est rarement intervenu : c’est la Banque du Liban qui a généralement assumé la responsabilité d’indemniser les déposants. Elle l’a fait soit en restaurant la solvabilité de l’établissement défaillant (en contraignant les actionnaires ou les administrateurs à combler le passif), soit en nationalisant la banque défaillante223, ou encore en organisant l’achat par un autre établissement. Ainsi, dans la pratique, les déposants ont bénéficié d’une assurance illimitée, non déclarée et non institutionnalisée mais fortement intégrée : les déposants sont convaincus que, quoi qu’il arrive, ils seront indemnisés.

Les avis des économistes divergent sur les mérites de l’assurance, mais ils s’accordent sur les objectifs : éviter les paniques bancaires et leur coût social. Les reproches qui sont faits sont premièrement de développer l’aléa moral – les dirigeants de l’établissement pouvant facilement lever des fonds grâce à la garantie sont encouragés à prendre des risques excessifs –, deuxièmement de subventionner les mauvaises banques au détriment des banques peu risquées, et troisièmement d’empêcher un assainissement du marché par élimination naturelle des banques les plus faibles224.

Il nous semble que les méfaits présumés sont pour partie illusoires et que la visée réelle dans les PED devrait être d’augmenter la bancarisation.

En effet, même dans des pays développés, le plafond est très faible : 20 000 euros selon la directive européenne, 60 000 en France, 100 000 dollars aux États-Unis. Les dépôts non assurés (plus de 60 000 euros dans une banque française) représentent certainement plus de la moitié du total des dépôts auprès d’une banque donnée. En l’absence de statistiques du marché, nous nous contenterons de celles de la BEMO SAL. La BEMO est une banque libanaise de taille moyenne (groupe Bêta) dont le total de dépôts est approximativement de 500 millions de dollars (chiffres 2005). Elle est spécialisée dans le Private Banking et le Corporate Banking et à ce titre n’est pas parfaitement représentative de l’ensemble du secteur bancaire libanais. Mais ses chiffres sont cependant éloquents. En l’occurrence, les dépôts auprès de la BEMO qui seraient totalement assurés par l’INGD (garantie libanaise) représentent moins de 0,4 % des dépôts225, ceux qui l’auraient été en France 8,5 % et aux États-Unis 12,5 %. On peut donc infirmer partiellement la critique de l’aléa moral, de la subvention et celle de la lenteur de l’ajustement226 : ce n’est pas l’assurance qui permet aux mauvais dirigeants de collecter toutes les ressources dont ils ont besoin et qui subventionne leurs établissements. En fait, c’est une subvention qui est payée par les banques de gros aux banques de détail. Les cotisations, en effet, sont rarement calculées uniquement sur les montants assurés : au Liban, qui est un cas presque caricatural, la cotisation est de 1 pour mille sur la totalité des dépôts alors que seuls les dépôts de 2 800 euros sont assurés. Cela signifie qu’un client qui disposerait d’un dépôt de 100 000 euros paierait (par l’intermédiaire de sa banque) une prime de 100 euros pour garantir 2 800. Et un client qui n’aurait que 2 800 euros aurait la même couverture pour une prime de 2,80 euros. Or, les banques de gros ont beaucoup de « gros » clients et peu de petits, à l’inverse des banques de détail227. Et pour revenir au cas de la BEMO, elle paie en prime d’assurance, chaque année, le quart de tous les dépôts assurés228 !

Nous pouvons donc conclure que l’assurance avec un plafond relativement bas est à l’avantage des plus petits clients (les plus nombreux aussi). Politiquement, ce type d’assurance est donc justifié. Psychologiquement, il l’est également, car rien ne frapperait davantage les esprits que de voir une foule assiéger une banque pour récupérer son argent. Avec l’assurance, la grande masse (en nombre) de clients n’a plus d’intérêt à défendre. Seuls les grands clients vont essayer de réclamer et ils seront reçus par le liquidateur dans son bureau, à l’abri des caméras des journalistes.

Mais nous pensons que le réel avantage de l’assurance, spécialement dans les PED, est en amont. Les petits clients sont généralement les moins et les plus récemment bancarisés. Beaucoup d’entre eux sont encore méfiants à l’égard des banques. En offrant l’assurance, une institution publique ou parapublique leur garantit que, dans tous les cas, ils récupéreront leur épargne. Il est donc évident qu’un nombre plus important de ces petits clients ouvriront des comptes auprès des banques et ainsi bénéficieront de tous les avantages, en termes d’efficacité économique, d’une relation bancaire229. De plus, c’est l’ensemble de l’économie qui sera bonifié par cette plus grande bancarisation : paiements plus souples, crédit élargi… Ce raisonnement que nous avons fait sur les petits clients est également valable, dans une certaine mesure, pour les grands clients. Pour un petit client, la bancarisation consiste à ouvrir un compte auprès d’une banque et à y loger l’argent qu’il conserve sous son oreiller ; pour un grand client, il s’agit plutôt de transférer l’argent qu’il détient à l’étranger dans une banque locale. Nous ne développerons pas plus le thème de la bancarisation dont nous avons déjà parlé par ailleurs et qui est du reste amplement traité dans la littérature. La bancarisation apparaît donc comme un service public, ce qui justifierait qu’elle soit subventionnée par les deniers publics.

Et l’exemple libanais valide probablement ce point de vue : le degré de bancarisation est l’un des plus élevés de la région, ce qui n’aurait guère été possible si les dépôts n’étaient pas totalement assurés.

Faut-il assurer les Certificats à l’instar des dépôts en numéraire ?

Si l’on se place sur le terrain de l’équité, il est juste que le déposant « hypothécaire » soit traité de la même façon que le déposant en numéraire : ils prennent le même risque, ils disposent des mêmes informations et ils ont des profils socio-économiques semblables.

Mais si l’on se place sur celui de l’efficacité économique, il est évident que les premiers doivent avoir une protection plus importante : c’est un nouveau gisement de bancarisation qui s’ouvre, verticalement et horizontalement, avec les clients existants et avec des personnes qui n’avaient jamais eu de comptes bancaires. Par conséquent, il faudrait que les porteurs de Certificats bénéficient d’une assurance de dépôts au moins égale à celle dont bénéficient les déposants en numéraire.

Enfin, sur le plan du risque systémique (l’argument généralement utilisé pour l’assurance crédit), le danger d’une panique qui se répandrait auprès des déposants hypothécaires n’est pas moins grand que celui des paniques que l’on connaît. En effet, les déposants hypothécaires se précipiteraient auprès de leurs banques (de peur que leurs biens soient vendus aux enchères) et en les retirant priveraient les banques des gages que celles-ci auraient déposés auprès d’autres institutions, lesquelles automatiquement leur couperaient leurs lignes de liquidité.

On voit que, quelle que soit la façon de le considérer, l’assurance des Certificats est une nécessité.

Maintenant, pour déterminer le plafond d’indemnisation, nous allons simuler une faillite avec un plafond d’indemnisation de 50 000 dollars.

Prenons pour hypothèse qu’après faillite, les créanciers récupèrent 70 % de leurs avoirs. Comparons deux déposants « hypothécaires » : le premier avec des Certificats pour 30 000 dollars et le second pour 90 000 dollars.

À l’ouverture de la procédure, les déposants hypothécaires deviennent redevables du montant de leurs Certificats et sont simultanément créanciers du même montant. La garantie de dépôts indemnisera totalement le premier déposant et partiellement le second, et elle sera subrogée dans leurs droits pour les montants remboursés. Le second déposant aura en outre droit, pour la partie non indemnisée, à 70 %.

On a donc 

Tableau 30 : Garantie de porteurs de certificats
  Dépôt Indemnisation Récupération Perte
Déposant 1 30 000 USD 30 000 USD 0 0
Déposant 2 70 000 USD 50 000 USD 14 000 USD 6 000 USD

On constate que pour les déposants qui sont en dessous du plafond d’indemnisation, il n’y a aucun risque et un bénéfice qu’ils n’avaient pas précédemment. (Cela n’a rien de choquant : la banque paie les « cotisations » au fonds de garantie à partir des commissions à payer aux déposants hypothécaires ; et de plus, comme on l’a dit précédemment, la bancarisation est un service public qui mérite d’être subventionné.) On peut donc supposer que ce sont en premier les petits propriétaires qui déposeront des Certificats. Les grands propriétaires ne le feront que s’ils sont confiants que la banque ne risque pas de faire faillite.

Compte tenu de la nouveauté de l’instrument, le pays qui souhaiterait introduire le Certificat serait bien inspiré d’offrir une garantie dégressive : la première année de l’introduction 100 % de garantie et au bout de cinq ans une garantie équivalente à celle dont disposent les dépôts en numéraire.

Notes
221.

. Le Glass-Steagall Act incluait également des dispositions visant à cloisonner le métier bancaire (interdiction par exemple de faire à la fois le Commercial Banking et le Investment Banking) et un cloisonnement géographique (une banque ne pouvait avoir de branches que dans un seul État de l’Union).

222.

. Lors de la faillite de la Banque Pallas-Stern, les actionnaires ont ainsi décliné l’invitation.

223.

. En droit, la BDL engage la responsabilité des dirigeants (à défaut de malversations, la défaillance non frauduleuse constitue déjà une présomption de faute de gestion), elle saisit leurs avoirs, y inclus les actions de la banque, en devient propriétaire sur base d’une convention avec les anciens actionnaires, et conserve la banque pour la revendre par la suite. C’est ce qui est arrivé pour la Banque Al Mashreq et ses filiales ou avec la Banque Libanaise pour le Commerce.

224.

. Voir par exemple Freixas et Rochet (1997), pour les inconvénients de l’assurance (l’aléa moral) et la prime optimale, p. 207-210.

225.

. Mais dans la réalité, ce sont tous les dépôts qui sont assurés.

226.

. Une analyse économique plus réelle de la garantie de dépôts prendrait comme paramètres de différenciation le degré de développement du pays, la concentration du secteur bancaire, la bancarisation de la population, la libre « transférabilité » des capitaux. Cette analyse permettrait alors de déterminer le niveau optimal de la garantie.

227.

. A contrario de toute notre argumentation, la Banque du Liban, en offrant dans tous les cas de faillite récents une garantie sans limite aux déposants, a certainement créé un aléa moral, mais l’a mitigé en poursuivant les dirigeants et les actionnaires des banques en faillite.

228.

. Au Liban, la prime est une taxe déguisée sur les dépôts bancaires : l’INGD n’a aucun projet de distribution de dividendes, et ses réserves sont totalement investies dans des bons du trésor libanais.

229.

. C’est un banquier qui parle.