Dans la majorité des pays, on connaît avec précision les flux dans l’immobilier (dans la comptabilité nationale, on les retrouve dans la rubrique de la FBCF), cependant il est malaisé d’y trouver une estimation du patrimoine immobilier. L’immobilier étant un bien durable, la somme des flux n’est pas égale au patrimoine total car il y manque l’appréciation et aussi sans doute une échelle temporelle suffisante – les coûts de construction d’un château du xvi e siècle n’ont probablement pas été comptabilisés, de même que la valeur du sol. Et donc, à l’inverse des autres informations que l’on retrouve dans la comptabilité nationale ou dans les statistiques officielles, celles relatives à la valeur totale de l’immobilier ne peuvent être précises, objectives, scientifiques.
Que vaut un m2 dans un appartement à Paris ? Il n’existe pas de norme : la valeur peut osciller entre 1 000 et 15 000 euros suivant l’arrondissement ou la nature du bien. D’une année à l’autre les estimations peuvent fluctuer. Un quartier devient à la mode, les prix flambent ; ils s’effondrent s’il passe de mode.
La façon dont les biens sont détenus a une influence (mais imprécise) sur leurs valeurs238. Quelle décote, par exemple, retenir lorsqu’il y a démembrement de propriété, indivision, occupation ou servitude ? En général, dans ces cas, l’administration fiscale (ISF) accepte un taux de 20 %. À l’évidence, il s’agit d’une cote mal taillée.
La conformité des biens à la réglementation peut modifier totalement leur valeur marchande239. En outre, il existe des biens non marchands, inaliénables, ou dont l’évaluation est particulièrement difficile, qui ne rentrent dans aucune statistique – lorsqu’elles existent. En France, ce serait le cas « pour les biens appartenant au domaine public naturel (rivages de la mer, eaux territoriales et maritimes, fleuves, lacs, domaine public aérien, etc.) ou au domaine public culturel (monuments historiques…)240 ». Que valent le Louvre et la tour Eiffel ?
On valorise les biens immobiliers sur la base de transactions passées – lesquelles ont pu s’établir sur des motifs purement subjectifs (appartement de charme !) – en appliquant un coefficient de correction suivant les particularités du bien. En outre, dans un certain nombre de pays, les transactions immobilières sont actées à des prix minorés pour réduire les impôts sur les mutations ou les impôts locatifs. Il n’est donc pas surprenant que les évaluations du patrimoine immobilier national soient peu nombreuses et imprécises.
Pour avoir une idée de la difficulté de l’exercice, examinons la question avec une approche Bottom-Up. Comment les entreprises valorisent-elles leurs actifs immobiliers ? Selon IAS 16, elles ont le choix entre deux méthodes : dans le paragraphe 30, elles peuvent opter pour la valeur historique minorée par les amortissements ou des provisions éventuelles ; et dans le paragraphe 31, elles peuvent choisir de faire une évaluation indépendante. La plus grande partie des entreprises (surtout dans les PED) optent pour la valeur historique pour des raisons de commodité. Si une autorité nationale devait faire la somme de ces biens, elle devrait soit totaliser les évaluations indépendantes avec les incohérences nées de l’existence de deux méthodes, soit faire sa propre évaluation avec l’inconsistance entre les données privées et les données publiques.
À toutes ces difficultés, il faut ajouter le fait que dans de nombreux pays, il n’existe aucune entité qui mesure les prix de l’immobilier241 et donc ce patrimoine. Au Liban, le Cadastre est sans doute l’administration la plus au fait de ces informations ; cependant et comme dans un grand nombre de PED, il est tout simplement impossible de parvenir à une approximation sommaire.
En France même, une évaluation du patrimoine immobilier n’existe que depuis 2002 et n’est pas absolument fiable242.
Cependant pour comprendre les enjeux de l’introduction du Certificat dans un pays, nous avons besoin d’une estimation de son patrimoine immobilier. Nous avons donc tenté d’estimer celui du Liban et de valider cela par une comparaison avec celui de la France.
Cela donne le tableau suivant 243 :
Pays | Patrimoine immobilier | PIB | Patrimoine immobilier / PIB |
France | EUR 8 118 milliards (2003) | EUR 1 521 milliards (2003) | 533 % |
Liban | $ 341 milliards (2005) | $ 18 milliards (2005) | 1 894 % |
Les divergences importantes dans le rapport entre patrimoine immobilier et PIB pourraient s’expliquer par le fait que le PIB libanais est probablement sous-évalué ; que les divergences entre les prix de l’immobilier dans les deux pays sont plus faibles que celles entre les revenus moyens244 ; que l’évaluation du patrimoine français a été faite en 2003 alors que celle du patrimoine libanais a été faite en 2005 – les années 2003 à 2005 ont été caractérisées, spécialement au Liban, par une forte appréciation de l’immobilier ; qu’il faudrait sans doute pour le Liban rapporter le patrimoine au revenu national (voire au revenu national des Libanais résidents et non résidents) ; et enfin que l’immobilier est pour les Libanais une fraction essentielle de leur patrimoine245.
Ces particularités libanaises pourraient donc justifier l’écart et nous donnent une certaine confiance dans les estimations faites par M. Cordahi. Elles ne peuvent cependant être supportées par aucune étude officielle, mais nous mettons en annexe l’étude de M. Cordahi qui, à notre sens, présente un très grand intérêt.
Dans la suite de notre thèse nous allons supposer vrais les chiffres ci-dessus concernant le patrimoine immobilier des Libanais. Nous allons également admettre que, dans les pays émergents, le ratio entre le patrimoine immobilier et le PIB est supérieur à cinq. Par ailleurs, nous réfléchirons plus loin sur la valeur fondamentale de l’immobilier.
. Les coûts de transaction étant élevés sur ces biens, le théorème de Coase (1960) montre que l’identité du possesseur peut avoir une influence sur la valeur de ceux-ci.
. Voir De Soto (2000) pour la valeur des biens non réglementaires et par conséquent sans valeur marchande.
. Baron (2006).
. Fondé sur une remarque faite par Robert Heath du FMI lors de la conférence organisée par le FMI et la BIRD à Washinton D.C. les 27 et 28 octobre 2003, http://www.bis.org/publ/bispap21.htm.
. Selon Xavier Timbeau de l’OFCE.
. Sources pour la France Insee ; pour le Liban, M. Charbel Cordahi. L’estimation au Liban est faite à partir de la taxe sur la propriété bâtie (environ 300 millions de dollars pour 2005) représentant 6 % de la valeur locative estimée. Si la valeur totale était de 20 fois la valeur locative, cela donnerait le montant indiqué. En annexe, la note de M. Cordahi concernant l’immobilier au Liban.
. Une étude devrait sans doute être effectuée sur les prix de l’immobilier entre les différentes métropoles. Elle ferait probablement apparaître que l’immobilier local, si les populations sont assez mobiles, n’est pas un secteur protégé et que ses prix sont influencés par les prix des autres métropoles. À notre connaissance, il n’en existe pas qui compare les prix dans les métropoles occidentales et celles des PED.
. Ci-dessous la théorie des « Biens monétaires » qui explique cette importante proportion.