e) Les retombées sur l’activité

En l’absence d’un modèle de prévision au Liban mais surtout du fait que le Certificat est totalement nouveau, qu’il est donc quasiment impossible, sur base des données précédentes, d’anticiper le futur, nous allons utiliser un scénario, plutôt qu’un modèle économétrique, en utilisant les hypothèses avancées dans notre section précédente.

Rappelons ces hypothèses :

Tableau 52 : Retombées sur l’activité
  Année 1 Année 2 Année 3 Année 4 Année 5
Certif sur biens libres déposés auprès des banques 5,1 milliards 10,2 milliards 15,3 milliards 20,4 milliards 25,5 milliards
Nouveaux prêts de l’année 2,55 milliards 2,55 milliards 2,55 milliards 2,55 milliards 2,55 milliards
Solde des nouveaux prêts 2,55 milliards 5,1 milliards 7,65 milliards 10,2 milliards 12,75 milliards

Avant de tirer les conclusions sur l’activité, faisons un test de cohérence :

Les banques libanaises ont-elles la capacité de doubler leurs prêts au secteur privé en l’espace de cinq ans ?

L’économie libanaise peut-elle doubler de taille durant cette période ?

Est-il concevable que les crédits au secteur privé augmentent dans une telle proportion, compte tenu de la taille de l’économie ?

La motivation des agents suivra-t-elle ce rythme « asiatique » ?

Nous pouvons nous inspirer de la période d’après-guerre pour valider la cohérence de certaines de nos hypothèses :

Durant les cinq années qui ont suivi la fin de la guerre civile, les crédits au secteur privé ont été multipliés par plus de cinq. Le tableau ci-dessous donne le total des crédits, en milliards de livres libanaises, au début de chacune des années considérées.

Tableau 53 : Total des crédits de 1992 à 1996
  1992 1993 1994 1995 1996
Prêts au secteur privé 1.971 4.804 5.897 7.799 10.319

Source : Banque du Liban

Durant la même période le PIB a évolué de la façon suivante :

Tableau 54 : PIB de 1992 à 1996 (En milliers de milliards de livres libanaises)
  1992 1993 1994 1995 1996
Produit intérieur brut 10.009 13.829 16.127 19.001 21.513

Source : Comptes nationaux 1994-1995 (ajustés en fonction des chiffres officiels de 1997-2003).

Ni l’augmentation des crédits au secteur privé ni celle du PIB ne sont dues à une dépréciation de la livre libanaise. Bien au contraire : durant cette période, la livre libanaise s’est appréciée par rapport au dollar. Ce sont donc les banques libanaises, par leurs capacités de production de prêts, qui ont multiplié par cinq les crédits octroyés et ce sont les capacités de l’économie libanaise qui ont pu en cinq ans doubler le PIB.

Les performances remarquables de la période de l’après-guerre s’expliquent par la composition très particulière du Liban. Celui-ci est un pays très cosmopolite, petit, et qui dispose d’une population émigrée très importante. Ainsi, lorsqu’il a fallu reconstruire, le surcroît de ressources humaines a été facilement obtenu soit de la part d’étrangers disposés à s’établir au Liban, soit de la part de Libanais prêts à revenir. Quant aux ressources en production, elles ont été en partie importées. Les ressources en capital, elles, ont été créées par le système bancaire et par l’État, rapatriées par les Libanais, ou prêtées par des étrangers (notamment arabes). Rien n’ayant changé à ces divers niveaux, nous pouvons donc prétendre que durant une période équivalente les banques pourront doubler leurs prêts et l’économie doubler la production.

Quant à l’équilibre du système, nous allons nous référer à notre modèle Droits réels-Droits personnels. Rappelons que dans le deuxième chapitre nous avions postulé qu’il existait une relation de long terme entre les Droits réels (DR) et les Droits personnels (DP). Cette relation s’exprime en DP = K.DR. Nous avions énoncé que dans un pays développé, K tendait vers 1, alors que dans un pays peu développé, K était plus proche de 0. En ce qui concerne le Liban, K doit se situer autour de 20 %. La création du Certificat doit améliorer le multiplicateur puisque les coûts de transaction se réduiront et que la liaison entre les DR et les DP se raccourcira. De plus, comme nous l’avons vu dans la section précédente, l’immobilier devrait s’apprécier. En conséquence, une augmentation des DP pour un montant de 12,5 milliards de dollars en cinq ans nous paraît raisonnable et K passera probablement de 20 % à 25 % au bout de cinq ans287.

Cette appréciation de K ne semble pas excessive et donc nous ne pensons pas que, de façon endogène, l’économie libanaise serait menacée par ce gonflement des crédits288 pour échouer au bout de quelques années dans une crise à la Minsky.

Examinons maintenant la question selon le circuit du risque. Le Certificat améliorera certainement la perception consolidée du risque : les déposants de Certificats n’auront pas le sentiment que leur risque a substantiellement augmenté du fait que ce sont les banques qui sont « dépositaires » du risque et qu’en outre l’État offrira une garantie de dépôts. De plus, les détenteurs de Certificats ayant désormais un actif mieux connu (évalué partiellement par un évaluateur indépendant), liquéfiable en partie (ils peuvent à tout moment emprunter en gageant le Certificat) et offrant un rendement garanti (la commission pour le dépôt), seront encouragés à prendre plus de risques. De même, les banques ainsi que les emprunteurs hésiteront moins pour prendre des risques (ce point a déjà été développé).

Ainsi, le circuit du risque sera plus efficace : perception consolidée plus optimiste, répartition sur un plus grand nombre d’intervenants et conséquences plus faibles pour les nouveaux preneurs de risque.

La cohérence globale de nos hypothèses ayant été validée, nous pouvons en tirer des conclusions plausibles.

Prenons l’équation d’équilibre fondamental :

Y+M+G = C+I+X+T

L’augmentation globale des crédits devrait se traduire par une demande accrue et par conséquent conduire à une augmentation de la consommation ou de l’investissement (nous prenons pour hypothèse que l’État n’utilisera pas cette liquidité supplémentaire pour accroître un déficit déjà abyssal). Toutes choses égales par ailleurs, l’augmentation de la consommation et de l’investissement devrait mener à une augmentation de la production et de l’importation.

Supposons que l’économie libanaise dispose de capacités non exploitées et que la demande nouvelle soit satisfaite par la production et l’importation dans les mêmes proportions que la demande actuelle. Nous savons qu’en 2003, pour un PIB de 29 846 milliards de livres libanaises (près de 20 milliards de dollars), les importations étaient de 11 268 milliards de livres libanaises. La demande nouvelle sera donc satisfaite pour 73 % par la production nationale et 27 % par des importations. Cela signifie que le PIB augmentera de 1,85 milliard de dollars chaque année pendant cinq ans, et ce en supposant que ni les investissements ni les consommations supplémentaires ne généreront d’augmentation induite de la production.

Pour mesurer les enjeux de l’innovation nous devons rapporter cette augmentation au PIB actuel. Celui-ci étant de 19,6 milliards de dollars, l’innovation permet donc son augmentation dans un rapport de 9,4 %289 par an pour les cinq années étudiées.

Notes
287.

. Si l’on considère que les créances sur l’État sont des DP, qu’au Liban les créances interentreprises sont de 25 milliards de dollars, que les créances sur l’étranger sont des DR, on peut estimer les DR à près de 400 milliards de dollars et les DP à 80 milliards. K serait donc égal, approximativement, à 20 %. Si les Certificats permettent d’ajouter 12,5 milliards de dollars en crédit bancaire et autant en crédits interentreprises, et que le prix de l’immobilier augmente de 5 %, K passera à 25 %.

288.

. Le ratio connaîtra pour une certaine période une grande volatilité. Il est très possible qu’une partie du crédit libéré sera utilisée pour une spéculation immobilière. En attendant que le ratio se stabilise spontanément, il est nécessaire que des interventions économiques accélèrent le retour à la stabilité (ou retardent l’instabilité).

289.

. Nous avons été plutôt conservateur dans nos estimations. Le Dr Naaman Khoury, responsable des études et des statistiques à la Banque du Liban, estime quant à lui qu’une augmentation de crédit de 1 donnerait une augmentation de PIB de 5.