Les dangers du Certificat

a) L’équilibre externe

L’économie libanaise présente une spécificité qui la rend difficilement compréhensible par l’observateur étranger. La balance commerciale y est très largement déficitaire. Pourtant, l’économie semble s’accommoder de ce déficit et les Libanais s’enrichissent en dépit de cette étrangeté. La réalité, qui est bien connue mais qui est mal mesurée, est qu’il existe un solde positif important pour les « invisibles ». Le tourisme, les services et surtout les transferts faits par les Libanais à leurs familles au Liban couvrent très largement le déficit commercial. L’excès est même bien supérieur à l’excédent de la balance des paiements puisque, si l’on devait calculer l’excédent de la balance de paiements nationale (et non pas simplement intérieure), il faudrait y ajouter les transferts faits par les Libanais dans leurs comptes ou leurs investissements à l’étranger. Cette remarque générale étant faite, il reste que l’introduction du Certificat augmentera fortement les importations. Selon nos évaluations ci-dessus, ces importations devraient augmenter de 685 millions de dollars par an. Un tel volume supplémentaire créera une certaine tension sur les réserves de change de la Banque du Liban et entraînera soit une déthésaurisation, soit au moins un rythme plus faible de thésaurisation290. Un autre facteur peut exacerber cette pression sur les réserves privées ou publiques. Un supplément d’activité intérieure tend à ralentir le mouvement d’émigration ; or les Libanais émigrés sont l’une des plus importantes sources de rentrées pour le Liban. De plus, les mécanismes classiques de régulation – le taux d’intérêt et le cours de change – auront peu d’effets, compte tenu, pour le taux d’intérêt, de l’ampleur du choc « Certificat » et, pour le second, de la politique bien établie de la Banque du Liban d’avoir un cours de change fixe. En réalité, la probabilité est élevée d’avoir une crise de change de première ou de deuxième génération291. Ce risque et la crainte qu’il pourrait induire peuvent gommer un grand nombre des avantages du Certificat.

C’est pourquoi, dans notre sous-section suivante, nous nous proposons de rechercher les moyens à la disposition des autorités pour répondre à cette incertitude.

Notes
290.

. Soit l’équation simplifiée Y N + M = C + I + dT où Y N est la production nationale, M représente les importations, C la consommation, I les investissements et dT la variation de la thésaurisation. Si l’augmentation de crédit aboutit à une érosion de la thésaurisation, elle conduirait à long terme à un appauvrissement de la population. Le pari est donc que le crédit donnera lieu à un investissement suffisant dans les capacités de production et dans le niveau général d’éducation pour entretenir la croissance endogène.

291.

. Le modèle de première génération a été analysé dans l’article de Krugman de 1979. Il montre que sous un régime de taux de change fixe, une expansion du crédit domestique peut conduire à une baisse progressive des réserves internationales suivie d’une attaque spéculative sur la monnaie.

Le modèle de deuxième génération (Eichengreen et Wyplosz, 1993) résulte d’une politique d’arbitrage entre les avantages de la parité fixe et les coûts en termes d’objectifs fixés d’un abandon de la parité. Les autorités peuvent, avant même que les prémices d’une crise ne s’annoncent, déclencher une modification de la parité ou une politique économique restrictive.