1. Une dollarisation complète

Les agents économiques dans les PED fonctionnent généralement en étalon de change international. C’est-à-dire que dans leurs choix économiques le calcul se fait réellement dans un étalon qui n’est pas leur monnaie nationale, généralement le dollar ou l’euro. De plus, leur épargne stratégique, celle sur laquelle ils mesurent leur sécurité à long terme, est placée en devises étrangères auprès de banques à l’étranger. Les échanges internationaux se font évidemment en devises étrangères. Enfin, et cela est essentiel pour le Certificat, l’évaluation du caractère réaliste du niveau des prix immobiliers se fait en devises étrangères et par comparaison avec des places à l’étranger.

Dans les PED, l’augmentation d’activité est souvent perçue par les autorités comme un cadeau empoisonné. C’est qu’une croissance plus vive génère des importations plus importantes et que les réserves de change y sont la contrainte principale. La tension, consécutive à l’introduction du Certificat, sur la balance des paiements et donc sur les réserves de change constitue un frein important pour les PED ayant leur propre monnaie.

Plus important encore, le Certificat deviendrait beaucoup plus attrayant, comme instrument, si la monnaie dans laquelle il est libellé était une devise internationale. En effet, si la banque dépositaire souhaite emprunter auprès d’une banque étrangère ou la banque centrale refinancer ses soutiens aux banques locales, il est beaucoup plus aisé d’offrir en nantissement des Certificats dans une monnaie internationale. Le Certificat en monnaie nationale comporte un double niveau d’incertitude : celui du sous-jacent immobilier et celui de la devise. Car si la devise nationale se déprécie, la garantie se déprécie alors même que l’actif sous-jacent peut être toujours à la même valeur301.

De même, avoir des Certificats libellés en monnaie internationale sans avoir au préalable dollarisé l’économie n’est pas la solution la plus attrayante. En cas de crise de change, la crise financière serait inévitable. L’enchaînement pourrait être le suivant :

  • les banques ayant une quasi-liquidité en devises étrangères grâce au Certificat prêteront surtout en devises étrangères ;
  • en cas de crise de change, les emprunteurs nationaux auront des revenus en monnaie locale – dépréciée – et des dettes en monnaie internationale. L’ajustement de leurs revenus suite à une amélioration de leur condition compétitive ne se fera pas immédiatement302. Ils connaîtront donc des difficultés de paiement ;
  • les créanciers étrangers feront le pari que l’État, craignant une crise sociale, fera un moratoire sur la dette couverte par des Certificats. Ils accéléreront le mouvement de sortie de liquidités du système ;
  • enfin, les propriétaires immobiliers, dont les titres seront libres, les retireront des banques et les déposants en numéraire récupéreront leurs dépôts, ce qui parachèvera la crise financière.

À l’inverse, en cas de dollarisation ou au moins de Currency Board intégral (c’est-à-dire que la monnaie fiduciaire est couverte par des devises étrangères, que l’État n’a pas de dettes en monnaie nationale, et que ses engagements et ses recettes sont en monnaie étrangère) aucune crise de change n’est possible. Une crise financière peut difficilement naître d’une spéculation et l’État peut anticiper les difficultés par des politiques économiques adéquates, tempérer la croissance, et obtenir facilement des soutiens privés ou publics grâce aux Certificats.

Les diverses éventualités sont reprises dans le tableau ci-dessous :

Tableau 55 : Nécessité de la dollarisation
  Certificat en devise étrangère Certificat en monnaie nationale
Dollarisation Meilleure option Situation impossible
Pas de dollarisation Risque élevé de crises jumelles Mauvaise exploitation du potentiel du Certificat

En conclusion, une dollarisation (ou euroisation) permettrait de tirer pleinement parti du Certificat en minimisant les risques de crise. Nous verrons plus loin comment devrait être menée la politique monétaire dans cette économie dollarisée pour répondre aux fluctuations conjoncturelles.

Le « Big Bang » est-il possible ?

Nous avons déjà dans le chapitre 2 examiné si une politique monétaire était possible en l’absence d’une monnaie nationale et nous avons conclu que cela était non seulement possible mais plus aisé pour un pays en développement dont l’autonomie monétaire est faible. Un pays comme le Liban, dont la dette publique est très importante, peut-il se passer d’une monnaie nationale ? Empressons-nous d’abord de dissiper une idée reçue : pour effectuer une dollarisation il n’est pas nécessaire pour une banque centrale de disposer de devises étrangères de même montant que la masse monétaire dans la devise nationale ; il suffit de disposer d’un montant identique à celui de la monnaie fiduciaire303. La dollarisation, pour l’État libanais, consisterait simplement à convertir la dette libellée en livres libanaises en dette libellée en devises étrangères. La vraie question pour le Liban est de savoir si la capacité d’emprunt de l’État libanais en serait affectée. À l’heure actuelle, les emprunts de l’État sont à peu près également distribués entre livres libanaises et devises étrangères. S’il devait y avoir une conversion des livres libanaises en devises étrangères, il est à craindre que les prêteurs en devises, perdant la subordination des prêts en devises locales304, ne renouvellent pas leurs prêts ou du moins réclament un taux d’intérêt plus élevé. Nous pouvons néanmoins supposer que l’accroissement du risque sur les prêteurs en devises est largement compensé par la réduction du risque sur les prêteurs en monnaie locale. Si notre supposition est vraie, alors l’État ne verra pas sa capacité d’emprunt se détériorer ni ses coûts de financement se dégrader.

Notes
301.

. Dans le cas du Liban, la question de la monnaie du Certificat ne se pose pratiquement pas. L’essentiel des crédits au secteur privé (plus de 90 %) étant en devises étrangères, la quasi-liquidité issue des Certificats doit être en devises étrangères, faute de quoi les banques n’augmenteront leur concours à l’économie que marginalement.

302.

. Il s’agit de la fameuse courbe en J bien connue en commerce extérieur : après une dévaluation, le solde de la balance commerciale commence d’abord à baisser, pour se redresser après un certain délai.

303.

. Notons que pour la monnaie fiduciaire, et alors qu’il y aurait dollarisation complète, rien n’empêcherait que cette monnaie fiduciaire soit émise par la banque centrale locale avec une dénomination en devise étrangère.

304.

. Bien que rien ne le garantisse, les prêteurs dans une devise internationale considèrent que leurs prêts dominent ceux qui sont faits dans la devise locale. Pour l’exprimer autrement, ils pensent qu’en cas de difficulté financière, l’État commencera par dévaluer avant de faire défaut sur ses emprunts.