2) Les sanctuaires de la cité

Avec la naissance de la cité, les lieux de culte en plein air sont abandonnés au profit de temples monumentaux construits à l’intérieur d’un mur de temenos délimitant un espace sacré, nettement distinct de l’espace profane. Ces nouveaux lieux de culte abritent des pratiques rituelles différentes qui multiplient les dépôts d’offrandes. Ces changements révèlent un nouveau rapport avec le monde des dieux, une nouvelle identité cultuelle qui va de pair avec la naissance de la polis.

Ces lieux de culte parsèment le territoire de la cité nouvelle et dessinent une géographie sacrée où se distinguent différents types de sanctuaires selon leur localisation : urbaine, suburbaine ou extra-urbaine. La géographie des sanctuaires dans la cité a fait l’objet de nombreuses exégèses parmi les chercheurs qui se sont intéressés à la question : importance des éléments naturels37, histoire locale38, fonction des divinités39… Chaque cité crée sa propre hiérarchie des dieux, mais qui reflète son histoire et ses mythes fondateurs, qui n’est pas celle des sources littéraires. Les travaux de F. de Polignac dans les années 1980 ont permis de recentrer le fonctionnement des sanctuaires dans le cadre de la communauté civique40.

Communément, les villes accueillent le culte de la divinité tutélaire de la cité, généralement Athéna41, le plus souvent situé sur l’acropole, symbole du système défensif de la ville et de son territoire. Sur l’agora, Aphrodite, déesse des magistrats, assiste la conduite quotidienne du gouvernement de la nouvelle cité ; à Thèbes, elle est la déesse des polémarches42. Le sanctuaire extra-urbain est généralement en position dominante, visible de loin. Il montre l’emprise d’une communauté sur un territoire ou marque une frontière. Parmi les divinités que l’on y rencontre, Héra est la plus fréquente : on la trouve à Samos, Argos, Corinthe, Mégare,… Elle reflète l’affirmation de la souveraineté de la cité sur son territoire. A Corinthe, le sanctuaire d’Héra à Perachora domine toute la partie orientale du golfe et exprime l’emprise corinthienne sur l’Isthme. Poséidon joue le même rôle qu’Héra et contrôle les passages stratégiques sur mer ou sur terre43. Aux frontières, les sanctuaires assurent une protection symbolique et peuvent être le cadre de rites guerriers, tels les processions en armes. Beaucoup sont le cadre de conflits frontaliers, comme les sanctuaires de la Thyréatide entre la cité d’Argos et celle de Sparte44. Bien souvent, la divinité propre aux confins est Artémis, ‘Puissance des marges45, entre le monde civilisé et le monde sauvage. Elle patronne les rites de passage des jeunes adolescents vers l’âge adulte, comme l’a bien montré J.-P. Vernant46. Ainsi, Artémis protège celui qui est destiné à rejoindre le groupe des citoyens.

Chacun des sanctuaires de la cité participe donc à la définition des différents groupes constituant la communauté civique. Dans ce cadre, les sanctuaires suburbains joue un rôle important.

Notes
37.

Edlund I., 1987, p. 126sq.

38.

Jost M., 1985, p. 25-235, p. 545-559 et 1994, p. 217-230.

39.

Schachter A., 1992, p. 1-57. Pour Déméter : Cole G. S., 1994, p. 199-216.

40.

De Polignac F., 1984, p. 15-157. Voir aussi : Sourvinou-Inwood C., 1992, p. 335-366.

41.

Qu’on trouve non seulement à Athènes, mais aussi à Sparte, Thasos, Milet ou Tegea.

42.

Schachter A., 1992, p. 40-42.

43.

Schachter A., 1992, p. 45-48.

44.

Sartre M., 1979, p. 218sq. Les exemples sont nombreux : de Polignac F., 1991, p. 98-103.

45.

Vernant J.-P., 1984, p. 17.

46.

Vernant J.-P., 1984, p. 13-27. Voir encore Monbrun P., 1989, p. 69-93.