b) Les sanctuaires suburbains

Dans ce contexte, les sanctuaires de périphérie ont pris une importance considérable. Rapidement mis en place et monumentalisés, ils sont particulièrement nombreux dans un rayon de 1 km autour de la ville. Ils s’installent en même temps que la colonie ou sont postérieures d’une génération. D’une manière générale, ils sont fortement liés au monde rural et s’adressent à des divinités féminines de la fertilité69. A Géla, quatre des six sanctuaires périurbains sont consacrés à Déméter et à Corè. Artémis se rencontre également souvent dans ce contexte.

On s’accorde aujourd’hui à considérer ces sanctuaires comme une nécessité pour les colons qui doivent afficher leur autorité sur un territoire nouvellement conquis70. L’expansion des Grecs dans le territoire est parallèle au développement des sanctuaires dans la chôra, les sanctuaires suburbains étant les premiers dans ce processus71. Ils sont avant tout des lieux de culte, mais ils consacrent également la prise de possession d’une terre au détriment des territoires indigènes, ce qui explique la monumentalité des sanctuaires de frontière. Cependant, ce raisonnement s’applique difficilement aux sanctuaires périurbains et F. de Polignac préfère les voir comme un symbole de l’union entre la ville et la campagne72. C’est aux habitants de Syracuse par exemple que s’adresse le grand sanctuaire de Zeus sur la terrasse du Plemmirio surplombant tout le territoire et visible de la ville. Le sanctuaire suburbain dans ce cas signifie bien la prise de possession d’un territoire, mais le message n’est pas à l’intention des indigènes.

Dans le même temps, ces sanctuaires sont ouverts aux populations locales : c’est le cas du petit lieu de culte à Déméter Malophoros près de Sélinonte, qui reçoit de nombreuses dévotions, mêlant des rites à la fois funéraires et agraires et à forte tonalité indigène73. Dans ce cadre, les rites liés aux Thesmophories, déjà présents dans la métropole, prennent une coloration supplémentaire : les femmes sont alors l’intermédiaire entre la ville grecque et le monde rural indigène. Le sanctuaire suburbain joue là encore un rôle d’intercession entre ville et campagne dans un univers colonial où le lien entre les deux est beaucoup plus délicat à établir. Il réunit toutes les composantes de la cité, même ceux qui sont en position subalterne.

Par les rites d’intégration et de célébration de la communauté qui s’y déroulent, les sanctuaires suburbains du monde grec sont le reflet des conditions d’émergence de la cité. Ils déterminent les rapports entre la ville et son territoire et les différentes entités qui la composent.

Notes
69.

Voir les remarques générales de G. Vallet à ce propos (Vallet G., 1968, p. 84-94) et les listes établies par F. De Polignac (De Polignac F., 1984, notes 6 et 7 p. 95-96).

70.

Déjà Vallet G., 1968, p. 93-94 et de Polignac F., 1984, p. 101sq. Cole G. S., 1994, p. 212.

71.

Veronese F., 2000, p. 239-269, en particulier p. 256-257 et p. 266-267.

72.

De Polignac F., 1984, p. 107.

73.

Dehl-von Kaenel C., 1995, p. 402-414.