II- Rome

1- Les limites de la ville

a) La juxtaposition des limites

La ville de Rome apparaît au milieu du VIIIe siècle lors d’un mouvement de regroupement des populations qui touche toute l’Italie. Le premier habitat groupé a été repéré sur la colline du Palatin. D’abord réduit, le noyau urbain primitif a largement dépassé la seule colline du Palatin au fil des siècles.

Etablir clairement les limites de Rome dans l’Antiquité est une gageure pour ainsi dire impossible à réaliser74. Déjà Denys d’Halicarnasse, sous Auguste, en exprimait la difficulté :

Si quelqu’un désire estimer l’étendue de Rome en regardant ses faubourgs, il se trompera nécessairement et ne trouvera pas d’indication assurée qui lui permette de distinguer jusqu’où la ville avance et est encore ville, et à partir de quel endroit elle cesse d’être ville, tant l’espace urbain est entremêlé avec la campagne et donne à l’observateur l’impression d’une ville qui se prolonge à l’infini 75 .’

Les sources, tant textuelles qu’archéologiques, montrent une pluralité de frontières, relevant de sphères de préoccupations différentes et qui divergent dans leur tracé quand celui-ci est connu (fig. 1).

La muraille servienne en est l’une des plus tangibles. Construction monumentale attribuée au roi Servius Tullius (578-534)76, longue de 11 km, elle englobe les sept collines et donne une frontière matérielle à la ville. Rendue désuète par l’extension de la population, ainsi que par l’inutilité d’un rempart quand Rome devient un Empire, cette muraille n’est plus entretenue mais reste une limite symbolique forte, un point de repère dans l’urbanisme même sous l’Empire77. En 65, Néron y installe des garnisons pour empêcher les complices de Pison de s’enfuir78. Au IIe siècle, un ami de Juvénal quitte Rome et attend sa voiture de location à la porte Capène79, parce qu’il est interdit aux voitures de circuler intra-muros. Enfin, elle reste une limite administrative importante.

Alors même que la muraille continue d’exister, Rome est à la fin de la République et pendant tout le Haut-Empire une ville ouverte. Les XIV régions administratives créées par Auguste débordent largement de l’enceinte qui est désormais à l’intérieur du périmètre urbain. Parmi les XIV régions, conçues pour organiser le corps des vigiles et prévenir les incendies80, sept sont à l’intérieur de l’enceinte servienne ; les autres n’ont pas de limite extérieure, elles restent ouvertes et s’adaptent à la croissance de la ville81. Il n’y a alors plus de distinction administrative entre l’intérieur et l’extérieur des murs. Il faudra attendre le Bas-Empire pour que soit construit un nouveau mur. Il enserre la ville sur 19 km. La muraille aurélienne a une véritable fonction défensive : parer à une éventuelle invasion barbare, et constitue un repère urbanistique fort jusqu’à la fin de l’Antiquité.

La barrière fiscale constitue également une limite importante. Elle est difficile à saisir, car elle fluctue dans le temps et selon les produits concernés. Caligula notamment institua de nombreuses taxes, dont une taxe sur les légumes82. Plus tard, Vespasien renflouera les caisses de l’Etat par de nouveaux impôts : cinq inscriptions trouvées à Rome mentionnent le ‘vectigalium foriculiarium et ansarium promercalium83 et servent de bornes à la ligne d’octroi. Le foriculiarium et l’ansarium frappent certaines denrées destinées à la vente à l’intérieur de Rome. Leur nature est discutée84. L’emplacement de cette barrière fiscale, associée à des entrepôts85, recouvre en partie l’enceinte servienne.

Il faut encore chercher la frontière de la ville de Rome dans son espace habité. Les faubourgs se sont développés très tôt le long des voies et à l’extérieur de l’enceinte. Ces extensions urbaines portent le nom de continentia, les zones qui ‘continuent la ville’ et qui lui sont progressivement intégrées86. Les juristes se sont efforcés de les faire entrer dans la législation romaine afin, entre autres, de définir la limite territoriale des pouvoirs de certains magistrats. Ainsi, les jugements du préteur urbain au IIe siècle s’appliquent jusqu’au Ier milliaire de la ville87. Toutefois au IIIe siècle, on sait par Macer que l’impôt du vingtième des héritages se perçoit dans une distance de ‘1000 pas comptés non pas à partir du milliaire de la ville, mais des continentia88. De ce point de vue aussi, la ville n’a plus de frontière fixe.

Ces différentes limites se croisent sans nécessairement se recouper. Elles traduisent la difficulté de déterminer la zone où commence le suburbium. Parmi ces critères très hétérogènes selon les points de vue, la limite pomériale apparaît comme particulièrement stable.

Notes
74.

A ce sujet : Panciera S., 1999, p. 9-15 ; Guilhembet J.-P., 2006, p. 79-121.

75.

Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines IV, 13, 4.

76.

Tite-Live, I, 44, 3.

77.

Le Gall J., 1991, p. 55-63. Guilhembet J.-P., 2006, p. 82-84.

78.

Tacite, Annales XV, 58, 1.

79.

Juvénal, Satire III, 10-16.

80.

Dion Cassius, Histoire romaine LV, 8, 8 et Suétone, Auguste XXX, 1.

81.

Frézouls E., 1987a, p. 380-385. Homo L., 1971, p. 78sq.

82.

Suétone, Caligula XL, 1 ; Pline l’ancien, HN XIX, 56. Elle pourrait même remonter à Auguste : Palmer R. E. A., 1980, p. 217.

83.

CIL VI, 1016a-c, 8594 et 31227.

84.

Le Gall J., 1979, p. 122-124.

85.

On sait que Sévère Alexandre en a fait construire : Palmer R. E. A., 1980, p. 226.

86.

Digeste L, 16, 87 : ‘Roma est etiam qua continentia aedificia essent’ (Marcellus) ; Digeste L, 16, 2 : ‘Romae autem continentibus aedificiis finitur’ (Paul).

87.

Gaius, Institutes IV, 104.

88.

DigesteL, 16, 154 : ‘mille passus non a milliario urbis, sed a continentibus aedificiis numerandi sunt’.