III- Les villes de Gaule romaine

1- Les limites urbaines

a) Les colonies : ‘Coloniae quasi [populi romani] effigies paruae simulacraque esse quaedam uidentur’

[Les colonies : ‘Coloniae quasi [populi romani] effigies paruae simulacraque esse quaedam uidentur’190]

Dans son mouvement de conquête, Rome a établi une hiérarchie des statuts pour les nouveaux territoires conquis191. Les colonies de droit romain sont conçues comme des villes créées ex nihilo avec déduction de colons munis de la citoyenneté romaine. Le statut de colonie est donc le plus prestigieux, mais le moins souple et qui laisse le moins de liberté puisqu’il implique la transposition des lois et des institutions romaines.

Rome reproduit ainsi des colonies à son image, selon sa propre conception de l’espace. Elles sont fondées suivant le même rite, avec une prise d’auspice et le tracé du pomerium ; elles méritent donc de porter le titre d’urbs 192. Des sources variées prouvent l’existence de pomerium pour les colonies. Varron, d’abord, mentionne la présence de bornes limitant le pomerium d’Aricie, colonie au sud de Rome193. Le seul témoignage de ce type de document a été retrouvé à Capoue, colonie fondée par Octave, où un cippe indique le passage de la charrue : Iussu Imp(eratoris) Caesaris qua / aratrum ductum est 194. La loi de la colonie d’Urso en Bétique datant du Ier siècle av. n.è. fait la même allusion au sillon de la charrue entourant la ville : intra fines oppidi colon(iae)ve qua aratro / circumductum erit 195. Ce même terme fines a été retrouvé sur une dédicace de Savaria en Pannonie et y désigne sûrement le pomerium de la colonie claudienne196. Enfin, un bas-relief exceptionnel, découvert dans la colonie d’Aquilée, représente peut-être la scène du tracé du sillon originel : il figure une charrue attelée à deux bœufs suivie d’hommes vêtus de toge197.

La présence d’un pomerium dans une colonie suppose l’exécution du rituel de la prise d’auspices préalable à sa fondation, même si la pratique auspiciale a certainement perdu de sa pleine portée symbolique pour ne rester qu’une demande formelle d’autorisation à Jupiter198. Les contraintes propres à Rome, telle l’interdiction d’ensevelir ou d’incinérer des corps humains, y sont pourtant transposées selon le même principe religieux. Il est alors envisageable que certains sanctuaires rejetés extra pomerium soient la propriété de divinités jugées dangereuses au sein de l’urbs.

En Gaule, les colonies ont été créées en nombre dans la province de Narbonnaise durant le dernier siècle de la République. En Gaule du nord, elles sont plus rares. Tout au plus peut-on citer Lyon, Nyon et Augst, fondées juste après la mort de César199. Même si aucune source – tant épigraphique qu’archéologique - n’atteste l’existence d’un pomerium, les pratiques ne devaient pas être différentes en Gaule que dans le reste de l’Empire. Une colonie possède par définition une limite pomériale qui suppose des contraintes religieuses. Après l’organisation augustéenne des Trois Gaules, un certain nombre de cités obtiendront plus tard le titre de colonie honoraire (comme Avenches, Trèves, Vieux,…) ; pour ces dernières, la nature du titre est délicate à définir. Faut-il voir dans l’octroi du statut colonial une refondation de la cité ? Dans ce cas, il faudrait admettre une nouvelle prise d’auspices à l’emplacement de la capitale et le tracé d’un pomerium avec toutes les conséquences que cela inclut. Malheureusement, il est délicat d’être catégorique en l’absence de sources. La seule inscription désignant le Pomoeri / Vesontion découverte au XVIIIe siècle près de La Citadelle de Besançon doit être rejetée, car elle n’est pas antique200. On peut tout au plus rappeler les circonstances de la seconde (?) naissance de la colonie d’Augst201. L’inscription en référant est fragmentaire, mais elle mentionne l’action d’un nuncupator 202. Sa présence suppose une cérémonie solennelle de fondation, la nuncupatio 203. La présence d’augures en Gaule204 implique en tout cas des connaissances dans le droit sacré et dans la division des espaces, profanes et sacrés.

Notes
190.

Aulu-Gelle, NA XVI, 13, 9 : ‘Les colonies paraissent être pour ainsi dire des images réduites et en quelque sorte des reproductions [du peuple romain]’.

191.

Jacques F., 1990, p. 209-250.

192.

Varron, De Lingua latina V, 143 : ‘ideo coloniae nostrae omnes in litteris antiquis scribuntur urbis, quod item conditae ut Romae, et ideo coloniae et urbes conduntur, quod intra pomerium ponuntur’.

193.

Varron, De Lingua latina V, 143.

194.

CIL X, 3825. Panciera S., 1999, p. 14-15.

195.

CIL II, 5439. ILS, 6087. AE 1946, 123. 

196.

AE 1934, 68 : Aecornae / Aug(ustae) sac(rum) / Emonienses / qui / consistunt / finibus / Savar(iae) / v(otum) s(olverunt) l(ibentes) m(erito). Pour l’analyse du texte : voir Kovács P., 1998, p. 100-120. Sur l’usage dans la littérature de finitimus, a, um, comme synonyme de suburbe : voir Agusta-Boularot S., 1998, p. 38.

197.

Chevallier R., 1990, p. 82-83.

198.

Cicéron, Philippiques II, 102.

199.

La fondation effective de Nyon et d’Augst doit peut-être être repoussée à l’époque augustéenne : Poux M., 2005, p. 15-19 et pour Augst : II, p. 247. Un index des lieux, inséré à la fin du volume II, permet de retrouver plus facilement des sites qui font l’objet d’une fiche de présentation (II, p. 495-496).

200.

Dunod de Charnage F. I., 1750, p. 362. CIL XIII, 1035* (classée parmi les falsae). Contra : Joan L., 2003, p. 185.

201.

Voir note précédente.

202.

AE 1974, 435 = AE 2000, 1030.

203.

Berger L., 2000, p. 17-18.

204.

Lyon : AE 1966, 252. Vieux : CIL XIII, 3162 (marbre de Thorigny). Narbonnaise : CIL XII, 1354 (Vaison), CIL XII, 1114 (Apt), CIL XII, 2378 (Tournon), CIL XII, 410 (Marseille), AE 1982, 694 (Narbonne), AE 1954, 104 (Arles).