b) Les capitales des cités pérégrines

Les capitales des cités pérégrines sont théoriquement dépourvues de pomerium : leur fondation ne dépend pas d’une prise d’auspices et l’espace urbain n’est donc pas investi d’une quelconque charge religieuse. Elles ne sont pas des miroirs de Rome habités par des colons, même s’il s’agit de créations ex nihilo au moment de la conquête – comme nombre de capitales gallo-romaines. On observe néanmoins que les nécropoles sont systématiquement rejetées à l’extérieur de l’espace urbain, sans qu’on sache quel principe prévaut à cette règle. Ce phénomène s’observe à La Tène finale pour les rares oppida dont on connaisse la nécropole qui leur est associée : le Titelberg, avec la nécropole de Lamadeleine et la nécropole orientale205, et le Mont-Beuvray avec la nécropole de La Croix du Rebout206 ; il s’agit peut-être aussi d’éléments de la nécropole de l’oppidum du Bois-de-Châtel qui ont été retrouvés sous les sanctuaires périurbains d’Avenches 207. A l’époque suivante, il ne s’agit peut-être que d’un usage hygiéniste propre à de nombreuses sociétés antiques, mais on peut aussi l’expliquer comme une continuité des usages de l’époque précédente ou par des pratiques mimétiques de la part des indigènes face à l’envahisseur, de la même manière que les édifices construits dans les villes suivent les modèles architecturaux élaborés à Rome. Dans ce cas, se pose la question de savoir si le mimétisme va plus loin, c’est-à-dire si la ville est conçue comme une portion d’espace investi par les dieux, et donc si nos sanctuaires périurbains accueillent des divinités rejetées à l’extérieur en raison de leur dangerosité. Il est toutefois difficile de répondre en raison de l’état de nos connaissances sur les divinités de Gaule.

Quoi qu’il en soit, l’archéologie récente montre que même les capitales des cités pérégrines ont le souci de circonscrire leur espace urbain. Le rempart en est le moyen le plus visible, mais dans les Trois Gaules il n’est pas très courant. Si l’on excepte les remparts, des fossés ont été retrouvés autour de certaines capitales. Dans le cas de Jublains, le fossé (non daté) mesure 2 m de large et il a été retrouvé tout autour de la ville208 ; un mur de 0,60 m a ensuite été construit au fond de ce fossé. A Reims, le fossé mesure 7 km et fait le tour de la ville ; il est doublé d’une levée de terre et date du règne d’Auguste209. Enfin, à Amiens, la ville a pu être circonscrite par un fossé datant de Tibère ; ce fossé est assez large (6,50 m) et entourait peut-être l’ensemble de la ville, même s’il n’a été que partiellement dégagé210. A Martigny en Suisse, la ville est au moins en partie circonscrite par un mur peu épais retrouvé au nord-ouest, il longe les rues qui entourent les derniers alignements d’insulae et porte un équipement de chasse-roue211. Ces divers témoignages montrent que même en l’absence de pomerium stricto sensu, il existe un souci de délimiter l’espace urbain du reste du territoire de la cité, qui peut dépendre d’un pagus.

D’une manière générale toutefois, sans rempart ni fossé, les limites urbaines sont déterminables par d’autres indices : nécropoles, changement dans l’orientation des rues qui deviennent des voies ou dans l’orientation des structures bâties, arrêt du réseau régulier d’insulae pour une organisation du bâti plus lâche… Comme pour Rome, les limites sont délicates à établir : une ville est toujours susceptible de croître par rapport à son plan initial et la lecture des sources en est rendue confuse. En Gaule, les villes atteignent en général leur expansion maximale dans le courant du IIe siècle. C’est le cas à Bordeaux où des extensions urbaines ont recouvert les nécropoles augustéennes212 et à Besançon où l’énigmatique bâtiment circulaire de Chamars vient recouvrir à l’époque flavienne une vaste nécropole à incinération utilisée jusqu’au règne de Néron213. Quoi qu’il en soit, nous sommes tributaires des seuls critères archéologiques pour raisonner sur les limites urbaines en Gaule, comme dans bien des villes du reste de l’Empire214.

De ce fait, le hasard des découvertes archéologiques est susceptible de changer la vision qu’on peut avoir de l’étendue d’une ville à un moment donné. Ainsi, le sanctuaire de Vasso de Jaude à Clermont-Ferrand ne se trouve plus, d’après les recherches récentes, dans un secteur complètement isolé durant l’Antiquité, mais en bordure d’un quartier qui se monumentalise en périphérie du centre urbain à partir de la dynastie flavienne215.

Notes
205.

Metzler-Zens N. et J. et coll., 1999, p. 11-18.

206.

Flouest J.-L. et al ., 1999, p. 43-48.

207.

Kaenel G., 2000, p. 124. Sur les problèmes que pose la zone funéraire de l’époque de La Tène à l’ouest d’Avenches : Morel J., Blanc P., 2008, p. 39-40. Voir les sites de Derrière-la-Tour, La Grange-des-Dîmes et Au Lavoëx : II, p. 205, 231 et 281.

208.

II, p. 370.

209.

II, p. 286 et III, fig. 116 p. 602. Neiss B., 2004, p. 49.

210.

Brouillard C., 1995, p. 85.

211.

Wiblé F., 1998, p. 335. Nous ne partageons pas l’avis de l’auteur qui présente ce mur comme un possible pomerium pour les raisons que nous venons d’invoquer : Martigny est capitale de la civitas Valentinite et chef-lieu de la province des Alpes Pennines à partir de Claude, mais elle n’a pas le statut de colonie. AE 1898, 98, AE 1897, 75, AE 1982, 674, AE 1985, 653.

212.

Bordeaux : Barraud D., 1986, p. 54.

213.

Morant M.-J. et coll., 1988, p. 132 et 137-139.

214.

C’est à cette conclusion également qu’aboutit Goodman P. J., 2007, p. 59-68.

215.

II, p. 253 et III, fig. 92 p. 586.