b) Les activités de la périphérie

Les activités associées aux suburbia de Gaule romaine ont des origines variées. Un certain nombre d’entre elles sont spécifiques à la périphérie, car elles sont interdites en ville. Il s’agit évidemment des nécropoles, qui s’étendent le long des voies de sortie des villes. On y trouve également les ateliers artisanaux dont le fonctionnement est jugé trop polluant ou trop dangereux. On sait par exemple que les lois municipales espagnoles limitent la production de tuiles dans le périmètre urbain247. On trouve ainsi fréquemment des ateliers de tuiliers, mais aussi des potiers, des métallurgistes ou encore des tanneurs. C’est également en périphérie que bien souvent la ville se fournit en matériaux permettant la construction des bâtiments du centre : les carrières y sont donc assez fréquentes. L’exemple le plus spectaculaire est certainement celui des carrières de Glanum 248, mais nous avons pu évoquer la carrière de pierre de Bas-de-Vieux, au nord du sanctuaire du même nom à Vieux249. Enfin, progressivement, les villes organisent collectivement la gestion de leurs déchets et se servent de leur périphérie pour s’en débarrasser. De vastes zones d’épandage et de dépotoirs s’étendent donc le long des remparts autour de Nîmes et d’Aix-en-Provence dès le début du Ier siècle250. Dans la Gaule du nord, le phénomène est plus tardif. C’est à partir de l’époque flavienne que s’observe un déplacement des déchets à l’extérieur de la ville, alors qu’ils restaient dans des fosses à l’intérieur des maisons jusque-là. Le phénomène a bien été observé à Autun251, mais également à Lyon où les nécropoles julio-claudiennes de Trion sont recouvertes dans la seconde moitié du Ier siècle par des zones d’épandage252. Ce déplacement des déchets place évidemment la responsabilité de l’organisation de l’évacuation au niveau des autorités de la ville.

Le développement d’habitat dans les faubourgs, les fameux continentia, s’observe dans l’espace urbain est saturé. Ce sont généralement des habitats modestes, mais de luxueuses domus y sont aussi mises au jour. Citons seulement la demeure palatiale à l’ouest d’Avenches, la villa du Paon au nord de Vaison et le quartier de Bas-de-Vieux au sud-est de Vieux qui voit ainsi se côtoyer des habitats modestes avec une riche demeure construite au IIe siècle. Cette pratique a toujours lieu dans l’Antiquité tardive, puisque Ausone dispose d’une propriété à l’extérieur des murs de Bordeaux, près de la porte ouest de l’enceinte253. Pour les élites de la ville, la périphérie libère du carcan des insulae urbaines et rend possible la construction de demeures plus grandes ; elle leur permet aussi d’échapper au tumulte urbain. La population des continentia a évidemment besoin des structures que proposent la ville : il n’est pas rare alors d’y voir se développer des établissements thermaux. Généralement, ces quartiers se cantonnent le long des voies de sortie des villes. Au nord de Lutèce, au niveau de la rue Saint-Martin, un habitat modeste et des activités potières se concentrent le long de la voie vers Senlis qui se prolonge pour devenir ensuite le cardo maximus de la capitale254. A quelques centaines de mètres plus à l’ouest toujours dans le suburbium de Lutèce, dans les jardins du Carrousel au Louvre, les fouilles ont montré une occupation complètement différente, qui n’est plus celle d’un habitat urbain dense. De petites fermes éparses viennent remplacer dans le courant du IIIe siècle des carrières d’exploitations du limon qui entre dans la composition des briques destinées à alimenter les chantiers de la capitale255.

Le manque de place dans la ville a encore entraîné la construction de grands édifices publics dans le suburbium. L’édifice le plus fréquemment rencontré est l’amphithéâtre. Généralement, les villes s’en dotent à partir de la fin du Ier siècle et aucune place ne leur est attribuée dans l’urbanisme initial. Les exemples d’amphithéâtre en périphérie sont donc nombreux dans toute la Gaule : Béziers, Nîmes, Poitiers, Limoges, Angers, Meaux, Augst, Reims, Trèves… En plus des amphithéâtres, on peut profiter de la périphérie pour d’autres types de grands édifices : au sud de Vienne, de vastes horrea s’alignent le long du Rhône et ménagent une zone d’entrepôts256 ; de même, à Lyon, on connaît l’existence d’horrea sur la Presqu’île dans le quartier des Canabae 257

Notes
247.

Loi d’Urso : CIL II, 5439, ILS, 6087, AE 1946, 123 (article 76).

248.

Agusta-Boularot S. et coll., 1998, p. 24-25.

249.

II, p. 194.

250.

Nîmes : Monteil M. et coll., 2003, p. 121-131 ; Aix-en-Provence : Nin N., Leguilloux M., 2003, p. 139-141.

251.

Kasprzyck M., Labaune Y., 2003, p. 99-116.

252.

Desbat A., 2003, p. 118-119.

253.

Ausone, Lettres XXIII, 90-95 et 130-131.

254.

Guyard L., 1998a, p. 163-180.

255.

Van Ossel P., Pieters M., 1998, p. 181-199 et Van Ossel P. et coll., 1998, p. 57-80.

256.

Tourrenc S., 1979, p. 44-60.

257.

AE 1973, 331 : Hic murus in/ter duo hor(r)ea / quot taxat ab / fundament/is usque summu/m communis est.