II- Sanctuaires périurbains et époque laténienne : un héritage impossible

1) Les capitales de cité : une centralité nouvelle

L’organisation administrative de la Gaule, orchestrée par Auguste et Agrippa, aboutit à la création de 60 (ou 64) civitates qui composent les trois provinces des Gaules354. Chacune de ces nouvelles civitates possède une capitale, généralement située au centre de son territoire. On a longtemps insisté sur le fait que ce nouveau découpage était globalement respectueux des traditions locales et des entités ethniques précédant la conquête355. Cette idée est aujourd’hui battue en brèche356. En effet, le découpage provincial ne correspond à aucune réalité gauloise ; la province d’Aquitaine en particulier n’a rien à voir avec l’Aquitaine ethnique dont parle César, puisque Auguste lui rajoute les quatorze peuples compris entre la Garonne et la Loire357. Le découpage provincial ne se comprend qu’en terme de contrôle administratif et fiscal et d’un point de vue romain uniquement. Même le territoire des cités, qui sont l’unité essentielle du nouveau système, n’est pas directement issu de celui des anciennes tribus : il y a eu des disparitions (les Boiens, les Ambarres,…) ; à l’inverse, une cité comme celle des Tongres semble être une création nouvelle à partir de plusieurs peuplades réunies artificiellement358. Comme l’a justement précisé M. Tarpin359, ce sont surtout les relations des peuples entre eux qui sont profondément modifiées : ils n’entretiennent plus des liens de dépendance, mais sont tous sur un pied d’égalité face à Rome. Enfin, l’importance du paguss’étiole largement, puisqu’il est désormais une entité absorbée dans la civitas.

Ainsi, le nouveau cadre administratif est en rupture complète avec l’organisation des peuples gaulois. Dans ce contexte, la nouvelle capitale de cité répond à des préoccupations fort différentes de celles de l’oppidum, ainsi qu’à un modèle d’urbanisme nouveau. Nombre de ces urbes sont donc fondées ex nihilo. Et même quand une occupation antérieure peut être démontrée, rien de l’urbanisme laténien n’est jamais conservé. La période augustéenne est une période charnière qui voit l’application sans retenue de ce nouveau schéma urbain. On a ainsi pu parler de ‘révolution360, même s’il faut désormais comprendre cette urbanisation dans un processus plus progressif commençant dès la fin de la guerre des Gaules ; il s’avère également plus contrasté, comme l’atteste la découverte récente d’une basilique construite en dur sur l’oppidum de Bibracte qui sera rapidement recouverte par une maison à atrium à la fin du Ier siècle av. n.è.361. Quoi qu’il en soit, il est clair que l’oppidum ne peut pas apparaître comme une préfiguration de l’urbs,mais bien comme un modèle d’urbanisme différent362, la capitale gallo-romaine assumant des fonctions qui lui sont propres.

Parmi les causes invoquées dans les choix d’implantation des nouvelles capitales, on avance des raisons militaires ou économiques, l’adéquation avec le nouveau réseau routier d’Agrippa, mais aussi la présence à côté de la capitale d’un sanctuaire laténien363. Nous allons donc discuter cette hypothèse à partir des éléments que nous avons pu constituer. A l’époque gallo-romaine, le processus de sédentarisation et d’urbanisation des peuples est achevé depuis près de deux siècles et les sanctuaires ont joué un rôle essentiel dans ce processus. Il s’est effectué selon un type évolutif ou progressif, de même que nous l’avions vu pour la Grèce. Avec la conquête, l’implantation des villes dépend d’une volonté politique. Le processus d’urbanisation est le résultat d’un acte de création unique et planifié : le plan des villes nouvelles est quadrillé. Désormais, c’est la ville qui peut attirer le sanctuaire, et non l’inverse.

Notes
354.

Chiffre variant selon les auteurs : Strabon, Géographie IV, 1-4 ; Pline l’ancien, HN IV, 102-109 ; Tacite, Annales III, 44 ; Ptolémée, Géographie II, 7-10.

355.

Jullian C., 1913, p. 320-321.

356.

Tarpin M., 2006, p. 29-50.

357.

Bats M., 2005, p. 13-17.

358.

Raepsaet-Charlier M.-T., 1994, p. 49.

359.

Tarpin M., 2006, p. 34-40.

360.

Bost J.-P., 1982, p. 63. Voir aussi Frézouls E., 1987b, p. 163-171 et Aupert P., Sablayrolles R., 1992, p. 284-285.

361.

Reddé M., 2000, p. 155-156 et Lafon X., 2006, p. 72.

362.

Voir note 329 et Reddé M., 2000, p. 155-156.

363.

Voir la synthèse de Goudineau C., 1991, p. 11-12 et Vanderhoeven A., 2004, p. 75. Pour les origines militaires des capitales de Gaule Belgique : Mertens J., 1996, p. 364-376.