3) Un phénomène de la romanité

a) Chronologie

Sans considérer les sanctuaires déjà cités, tout le reste du corpus concerne des fondations d’époque romaine. Parmi celles-ci, une petite partie est contemporaine de l’organisation des cités, donc de l’accession de la ville au rang de caput civitatis. Pour la majorité, ces nouvelles capitales sont des créations ex nihilo.

La province de Gaule Belgique a fourni le plus de cas de sanctuaires précoces (fig. 5). A Augst, le Schönbühl connaît un premier état augustéen sous le futur temple 67a. Parmi les sanctuaires à l’ouest d’Avenches, le site de Derrière-la-Tour est certainement aussi un lieu de culte qui précède de peu l’aménagement de la capitale helvète : en atteste la palissade qu’a remplacée ensuite le mur de péribole en dur érigé à partir du règne de Claude. Toujours en Gaule Belgique, le sanctuaire de l’Altbachtal s’organise sous le règne d’Auguste autour du grand enclos 43, au-dessus de structures antérieures aux fonctions discutées386. En dehors de la Gaule Belgique, il faut compter le petit fanum du LEP Hébert construit à la fin du Ier siècle av. n.è. à l’est d’Evreux et les dépôts votifs de la source des Roches à Chamalières près de Clermont-Ferrand qui débutent à la même période.

Ces cinq cas de sanctuaires occupés dès la création de la capitale sont finalement en faible nombre, même si l’on prend en compte les sanctuaires de la Tour-aux-Fées près du Mans et du Brézet près de Clermont-Ferrand qui fonctionnent déjà lors de l’organisation administrative de la Gaule par Auguste et Agrippa387. Tous présentent des installations encore assez rudimentaires, même si certains d’entre eux sont appelés à se monumentaliser par la suite.

En plus de ces premiers sites, un tableau regroupe l’ensemble des sanctuaires installés quelques décennies seulement après la création des cités gallo-romaines (fig. 6). La plupart datent donc de la première moitié du Ier siècle. Pour certains, se pose d’ailleurs la question de leur éventuelle planification dès la création de la capitale. C’est le cas du sanctuaire de Vaugrenier, qui entretient avec la via Aurelia un rapport chronologique remarquable. Le sanctuaire a été construit le long de la voie sur un emplacement vide d’occupation antérieure. Le chantier du lieu de culte débute avant celui de la voie qui est pourtant achevée plus tôt, dans les années 15-10 av. n.è. Le projet du sanctuaire est donc ici intimement lié à celui du réseau routier régional. Or, une génération avant cet établissement conjoint du sanctuaire et de la voie, se tarissait la fréquentation d’un lieu de dépôts votifs de vases préalablement brisés et inscrits ; son emplacement est inconnu, les dépôts ayant été retrouvés hors contexte à près de 500 m au nord du sanctuaire. L’abandon du site coïncide avec l’octroi du droit latin à Antibes vers 40 av. n.è. par Lépide. Cette promotion a pu s’accompagner d’un plan de réorganisation des sanctuaires du territoire, dont celui de Vaugrenier qui est pensé conjointement à l’organisation des voies et réalisé plus tard. Ce type de programmation est assez net dans le cas présenté, mais il est difficile de le généraliser en l’absence d’autres sites pouvant livrer des séquences chronologiques aussi fines388.

Enfin, ce n’est pas avant la fin du Ier siècle ou au IIe siècle que les fondations sont les plus nombreuses (fig. 7) ; ces constructions correspondent à certains des sites les plus imposants de notre corpus (Irminenwingert, Herrenbrünnchen, Cigognier, Jaude), même si tous ne sont pas de cette ampleur (Im Sager à Augst, Les Basaltes à Alba,…). Cette seconde vague de construction comprend également la monumentalisation de sanctuaires existants (La Tour-aux-Fées, Vieil-Evreux, Schönbühl, Grange-des-Dîmes, Usine Freudenberg). D’une manière générale, cette période est celle d’une grande prospérité économique pour la Gaule, favorisant l’activité édilitaire et l’évergétisme dans bien des domaines autres que religieux389.

Notes
386.

I, p. 84 et II, p. 211.

387.

I, p. 50.

388.

P. Arnaud rappelle toutefois le site de Lucus Bormanni, à 8 km d’Imperia en Espagne, qui possède un sanctuaire à proximité d’une voie avec un petit habitat tourné vers des activités artisanales. Arnaud P., 1998b, p. 32-33.

389.

Cette chronologie ne diffère en rien de celle qui a pu être établie pour l’ensemble des fana de Gaule : Fauduet I., 1993a, p. 91.