c) Conclusion

Ce tour d’horizon des divinités tutélaires ou simplement attestées dans les sanctuaires périurbains invite à tirer un certain nombre de conclusions.

L’absence de divinités topiques permet de considérer les sanctuaires comme des lieux de culte qui n’ont rien de sites investis naturellement par les dieux et qui se trouvent donc en position périurbaine par le fruit du hasard, l’action des hommes se limitant à reconnaître la sacralité du lieu. Hormis dans le cas discuté de la source des Roches à Chamalières, ce sont donc les hommes qui, par décision collective, ont octroyé une partie de leur espace aux dieux qui en deviennent ensuite propriétaires. La position périurbaine n’a donc rien d’aléatoire et provient d’une démarche volontaire et dans la plupart des cas après l’organisation administrative des civitates.

L’identité des divinités qui s’installent à proximité des nouvelles capitales gallo-romaines relève de fonctions très variées. Une multitude de fonctions divines sont représentées et l’on ne peut conclure à une préférence marquée pour les divinités de passage comme on a pu l’évoquer. En effet, on a parfois insisté sur la présence marquée de Mercure en périphérie, qui exprimerait le passage entre espace urbain et territoire509. L’observation de sources fiables et bien établies ne permet pas de maintenir cette hypothèse. A l’Altbachtal, Mercure et Ritona qui possèdent chacun une chapelle (n° 3 et 6) peuvent avoir éventuellement un rapport avec le passage du ruisseau de l’Altbach, mais leur présence n’a rien à voir avec la transition entre espace urbain et territoire, puisque le sanctuaire est à l’écart des voies d’entrée dans la ville et qu’il est surtout englobé dans la grande enceinte du IIe siècle : il est ainsi en lien avec l’habitat. Les deux chapelles n’apparaissent d’ailleurs qu’à une date avancée de l’histoire du sanctuaire. Si certaines de nos divinités sont effectivement liées à la route (éventuellement Mercure Cissonius), nous ne pouvons pas pour autant exagérer la présence de Mercure en périphérie, ni surinterpréter sa présence quand elle est bien attestée. Mercure étant la divinité la plus honorée de Gaule, le trouver en périphérie de ville est inévitable (fig. 16).

Ainsi il nous semble impossible d’aller dans le sens de cultes destinés à protéger l’espace urbain, à l’image de l’amburbium de Rome. Comme nous l’évoquions, l’amburbium répond à la définition religieuse très spécifique que les Romains accordent à leur urbs. Même si les colonies créées ex nihilo en Gaule (Lyon, Nyon, Augst) sont censées reproduire des schémas identiques, on ne peut le valider avec certitude en l’absence de textes. Augst malgré tout possède dans sa périphérie plusieurs sanctuaires, mais on ne sait quel rapport ils entretiennent entre eux et tous ne sont pas de même importance.

Le fort pourcentage de divinités indigènes pourrait faire penser que ces dernières sont bannies de l’espace urbain, à l’image des interdictions que dresse Vitruve à l’intérieur du pomerium romain afin d’en préserver l’intégrité510. Cependant, nous avons insisté sur la présence conjointe de divinités romaines, qui ne font pas des zones périurbaines des espaces réservés, et l’on sait que les divinités à théonyme celtique sont bien attestées à l’intérieur même des villes, comme Nemausus à Nîmes511, Vesunna à Périgueux512. En outre, cette distinction du panthéon par théonyme indigène ou latin n’était certainement pas aussi simple dans l’Antiquité.

Aussi, l’éventualité que certaines divinités soient interdites de l’espace urbain pour des raisons particulières n’est pas vérifiable. Si ce phénomène existe comme à Rome, il dépend de décisions religieuses qui se prennent au sein même des cités et nous n’en avons pas gardé de trace, ce qui ne veut pas dire qu’il n’en existait pas. Sucellus pourrait être la cible d’une telle interdiction, à l’image de Vulcain, mais sa présence en périphérie n’est pas d’une fréquence telle qu’on puisse faire de cette affirmation une certitude.

Cette mise au point effectuée, nous ne saurions donc dégager une direction précise prise par la religion dans le suburbium gallo-romain, mais une pluralité de fonctions des sanctuaires. Ceci conduit à la nécessité d’effectuer une mise en ordre entre les divers lieux de culte. Si certains rassemblent des fonctions civiques évidentes, à l’image du rôle de Iovantucarus à l’Irminenwingert, d’autres sont consacrés suite à des vœux privés (Vaise), d’autres encore semblent consacrés aux divinités en lien avec l’histoire de la ville (Herrenbrünnchen). Ce constat est d’autant plus important dans les zones où plusieurs lieux de culte fonctionnent en même temps, comme à l’ouest d’Avenches et au sud-ouest d’Augst. On évoque souvent à partir de ces exemples l’existence de quartier religieux, de zones sacrées, qui seraient une partie autonome de l’urbs 513. Il nous semble au contraire que la proximité des cultes n’implique pas qu’ils fonctionnent en même temps ou pour des raisons identiques514. A Augst, les sanctuaires du Schönbühl et de Sichelen I ont une existence autonome l’un de l’autre et ne concernent pas les mêmes communautés ; l’observation de la topographie du secteur invite d’ailleurs à nettement les dissocier. A Avenches, une grande galerie sépare Le Cigognier et les fana du Lavoëx des structures qui sont au nord de la voie. La chronologie et la disposition des lieux de culte les uns par rapport aux autres ne donnent pas l’image d’un établissement concerté515. C’est dans cette perspective désormais que nous allons étudier les différents sanctuaires de la périphérie des villes de Gaule.

Notes
509.

Van Andringa W., 2002, p. 75-76 et note 103 p. 85, qui utilise la présence de blocs errants et sans contexte en périphérie urbaine pour étayer son propos. Voir aussi : Scheid J., 1991a, p. 52.

510.

I, p. 22-23.

511.

I, p. 49, 97.

512.

ILA-Pétrucores 11 = CIL XIII, 956 ; ILA-Pétrucores 12 = CIL XIII, 11038, 11039, 11041 ; ILA-Pétrucores 16 = CIL XIII, 939 ; ILA-Pétrucores 22 = CIL XIII, 955 ; ILA-Pétrucores 23 = CIL XIII, 972 ; ILA-Pétrucores 24 = CIL XIII, 949 ; ILA-Pétrucores 27 = CIL XIII, 962 et 11045.

513.

Morel J., Blanc P., 2008, p. 35 et 39. Van Andringa W., 2002, p. 71. Schatzmann R., 2003, p. 240.

514.

Gros P., 1987, p. 116-117 notamment au sujet de duplication de centres religieux du ‘culte impérial’.

515.

II, p. 230, 273-274 et III, fig. 107 p. 596.