2) Pratiques religieuses de quartier

a) A Rome

L’existence de sanctuaires de faubourg en Gaule fait écho à des pratiques communautaires de quartier qui s’organisent à Rome depuis ses origines.

Dans le calendrier des cultes romains, certains rites anciens expriment des rivalités de quartier540. Parmi eux, on compte la danse des Saliens, divisés en deux groupes, les Palatini et les Collini, qui parcourent les rues en dansant pour célébrer un rite d’initiation des jeunes gens à travers des compétitions de quartiers. De même, les Lupercales mettent en scène deux collèges de luperques : les Fabiani qui représenteraient le Quirinal et les Quinctiales le Palatin541. De manière plus évidente, la curieuse cérémonie du Cheval d’Octobre implique une lutte entre les habitants du quartier de Subure et ceux de la Via Sacra pour récupérer la tête du cheval sacrifié.

A chaque fois, les quartiers sont mis à contribution au profit de la communauté de la Ville dans son ensemble et pour exprimer sa cohésion. C’est aussi sûrement le cas des rituels organisés deux fois l’an autour des 27 chapelles des Argées, réparties suivant une division très ancienne de la Ville que l’on fait remonter à Numa542. Même si les historiens et érudits anciens n’en comprenaient plus la signification, ces chapelles étaient visitées chaque année par la flaminique de Jupiter vêtue de deuil lors d’une procession de deux jours, les 16 et 17 mars. Elles abritaient chacune les Argées – mannequins d’osier d’apparence humaine – qui étaient conduits solennellement aux Ides de mai par les pontifes, les vestales, les préteurs et certains citoyens, pour être jetés ensuite dans le Tibre par-dessus le pont Sublicius543. Que ce geste soit ou non le substitut de sacrifices humains544, il permet à chaque quartier de participer à un rite de purification dont toute la ville recueille le bénéfice. Dernière fête archaïque qui intéresse les habitants des quartiers, la cérémonie du Septimontium, célébrée le 11 décembre, permet la participation des divers secteurs de la ville à une ‘sorte de confédération religieuse545.

Les cultes des vici de Rome intéressent plus directement notre propos. On attribue à Servius Tullius le découpage de Rome en quatre regiones subdivisées chacune en vici . A chaque carrefour (compita) à l’intérieur d’un vicus, se dressait une chapelle des Lares où l’on célébrait annuellement des sacrifices présidés par quatre magistri vici dont le recrutement s’effectue dans les milieux populaires : ce sont souvent des affranchis et ils sont assistés par quatre ministri de condition servile. Ces fêtes (les Compitalia) sont associées à des jeux qui seront interdits à partir de 64 av. J-C., car les vici représentent des foyers de révolte à la fin de la République546. C’est Auguste, dès son avènement au grand pontificat en 12 av. n.è., qui rétablit les jeux et en réorganise entièrement le culte. La date de la réforme est discutée547, mais on admet qu’elle se généralise en 7 av. n.è. lors de la division de la ville en quatorze regiones elles-mêmes subdivisées en 265 vici 548. Les chapelles des vici deviennent alors les lieux de culte des Lares Augusti et du Genius Augusti. L’identité des Lares est obscure, mais on s’accorde pour les considérer comme les esprits divinisés des morts549 ; en imposant le culte des Lares d’Auguste, ce sont donc les propres ancêtres de la famille impériale qui sont vénérés dans ces chapelles, en association avec le Génie de l’empereur. M. Tarpin a pu montrer que ces divinités tutélaires étaient porteuses de l’idéologie victorieuse de la propagande augustéenne et que d’autres divinités pouvaient les accompagner550. Les chapelles, modestes constructions associées à un autel figuré, sont sous la responsabilité du magister vici. Elles ont connu une fréquentation qui ne s’est pas tarie pendant l’Antiquité, puisqu’elles continuent d’être restaurées au IIIe siècle551. Le culte des vici s’avère être la première forme de culte public à adopter le Genius d’Auguste à Rome552, mais il s’est évidemment agi pour le premier princeps de voir adhérer au nouveau régime les couches les plus humbles de la population et de les contrôler.

Notes
540.

Hinard F., 1991, p. 41-43.

541.

G. Dumézil rejette toutefois cette hypothèse des luperques qui représenteraient les quartiers de Rome : Dumézil G., 1974, p. 582.

542.

Tite-Live, I, 21. Varron, De Lingua latina V, 45sq.

543.

Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines I, 38.

544.

Dumézil G., 1974, p. 449.

545.

Grimal P., 1959, p. 63. Pour le détail de cette fête : Fraschetti A., 1994, p. 145-168.

546.

Pour le détail et les textes antiques associés à cette interdiction : Flambard J.-M., 1981, p. 151-154 et p. 161-165.

547.

Tarpin M., 2002, p. 137-140.

548.

Pour les détails de la subdivision et les références aux textes antiques : Homo L., 1971, p. 108sq et Flambard J.-M., 1981, p. 146-147.

549.

Voir la démonstration de Fraschetti A., 1994, p. 272-276.

550.

Tarpin M., 2002, p. 144-148.

551.

Tarpin M., 2002, p. 173-174. Le recensement récent de l’ensemble des autels de carrefour de Pompéi par W. van Andringa donne une bonne idée de la répartition et de l’aspect de ces cultes : van Andringa W., 2000a, p. 47-86.

552.

Scheid J., 2001, p. 101-103.