b) En Gaule

Ce tour d’horizon rapide des cultes de quartier à Rome montre leur dynamisme et leur variété, tant sous la République que sous le Principat. Qu’en est-il en Gaule ?

On sait qu’il existe dans les colonies et autres villes de l’Empire, au moins à partir d’Auguste, des vici qui se définissent comme des quartiers, des portions d’une agglomération553. C’est ainsi que Festus les définit554 : ce sont des quartiers d’oppidum  ; le grammairien ne fait pas de distinction particulière entre Rome et les villes du reste de l’Empire. Dans les capitales de Gaule romaine, on trouve des inscriptions mentionnant l’existence de vicus, mais à chaque fois il faut se demander si le bloc n’a pas été déplacé au cours de son histoire ou si des vici du territoire ont choisi le centre urbain comme lieu d’exposition de leurs inscriptions555.

L’ensemble des attestations répertoriées dans les capitales de Gaule ne peut toutefois pas être entièrement rejetées (fig. 18), mais il convient d’en discuter quelques-unes :

  • Les trois inscriptions de Nantes par exemple témoignent d’un culte bien identifié à Vulcain et font de ce dieu la divinité qui rassemble publiquement la communauté du vicus. Ce vicus nommé Portenses pourrait aussi correspondre à l’agglomération de Rezé/Ratiatum plus favorable à l’accueil d’un port, de l’autre côté de l’estuaire, face à la capitale namnète, alors que cette dernière n’en a possédé un que tardivement. Toutefois, le contexte de découverte des pierres fait penser que le sanctuaire à Vulcain se trouvait dans les parages. En effet, les trois pierres ont été trouvées à trois siècles d’intervalle quasiment au même endroit au centre de Nantes, mais elles étaient peut-être en remploi dans la muraille du Bas-Empire556. Elles attestent la construction d’un portique, d’un campus et d’un tribunal cum locis à l’attention de Vulcain. Des actores vicanorum sont dans un seul cas à l’origine d’un don. Enfin, l’une des dédicaces associe les vicani aux nautes de la Loire.
  • Autre problème, le vicus Agiedincenses porte le nom de la ville de Sens et il est le seul pour lequel on possède une magistrature, ce que l’organisation d’un vicus ne permet normalement pas557.
  • Les cas de Metz, Trèves et Saint-Bertrand-de-Comminges sont plus fiables. Les deux inscriptions de Metz ont été découvertes au XVIe siècle et on ne peut localiser les deux vici Honoris et Pacis. Leur nom évoquerait les vici de Rome où l’on connaît un vicusHonoris et Virtutis558. A Trèves et à Saint-Bertrand, hormis le cas déjà évoqué du vicus Voclannionum, les contextes de découverte des inscriptions mentionnant les vici sont mal connus.

De plus, il faut aussi signaler le témoignage épigraphique d’Angers dont la restitution est problématique. Le texte, incomplet, a d’abord été interprété par son inventeur M. Provost comme une épitaphe559, mais une relecture récente d’Y. Maligorne suggère une tout autre hypothèse, en restituant une dédicace religieuse dressée dans le cadre d’un compitum 560 : [Genio vicinia]e et usib(us) / [vicanorum co]mpi[t]um / [---]na/[---]ius Amandi f(ilius) / [---] Amand(u)s / [faciendum] curavit / [idemq(ue)] d(edicavit). Si cette lecture est exacte, on aurait alors une attestation d’un sanctuaire de carrefour dans la ville d’Angers, qu’il faut comprendre comme relevant nécessairement d’une subdivision de type vicus à l’image de ceux que l’on connaît à Rome ou encore à Pompéi. D’autres lieux de culte de ce type sont supposés à un croisement de voies à Limoges et à Carhaix, où des laraires auraient été fouillés561.

Sans entrer dans le débat de la nature juridique de cette entité administrative et de l’éventuelle différence entre vicus rural et vicus urbain, il s’avère qu’il existe des quartiers urbains possédant une personnalité propre, puisqu’ils ont un statut et un nom. Ils permettent vraisemblablement d’établir des liens de solidarité entre les habitants, qui s’y rassemblent autour d’un culte commun. Leur organisation n’est certainement pas différente d’autres types d’associations évoluant dans le monde antique562. En Gaule, leur existence n’est sûrement pas aussi systématique qu’à Rome où chaque secteur est rattaché à un vicus.

Comme nous avons essayé de le montrer, il nous semble que ce statut peut aussi s’appliquer à la périphérie urbaine, à l’image du vicus Voclannionum de Trèves. L’extension urbaine de l’autre côté du cours d’eau n’a évidemment pas pu être englobée dans l’enceinte au moment de sa construction, certainement au IIe siècle. Il est alors envisageable de voir dans l’octroi du statut de vicus une manière d’intégrer le quartier à l’espace urbain, puisque l’unité territoriale n’était pas possible. Nous voulons encore insister sur l’impossibilité d’y voir une agglomération indépendante, car l’habitat y est entièrement mêlé aux nécropoles de la capitale563. Si l’hypothèse est exacte, nous avons là une ferme attestation de culte de faubourg très organisé, dans une communauté reconnue par les institutions de la civitas. Le culte y est donc public et prend une forme très officielle : la divinité honorée (IOM) et son association au culte impérial témoignent de la volonté d’une petite communauté d’afficher son appartenance à l’Empire dont son existence dépend. Le vicus lui-même divinisé est également l’objet d’un culte564 et il faut certainement voir comme une faveur que possèdent les communautés au statut reconnu officiellement par la cité de pouvoir s’autocélébrer. Les autres communautés qui fréquentent les sanctuaires que nous venons d’évoquer ne l’ont sûrement pas. En revanche, la gestion du culte devait être similaire et à l’image des magistri vici de Rome, ce sont les habitants du quartier qui s’en occupaient, comme l’atteste l’inscription mentionnant la réfection de la cuisine.

Au final, nous aboutissons à un faciès assez précis des sanctuaires de faubourg. Ce sont des sites que la topographie lie généralement fortement à l’espace urbain. Ils restent assez discrets dans le paysage, car ils ne sont jamais implantés dans des positions intéressantes qui en feraient des repères visuels particuliers. Leurs structures sont toujours modestes, mais les rites qui s’y déroulent peuvent être assez élaborés. Enfin, ils montrent que le quartier, qui n’est pas nécessairement périphérique, peut être aussi une communauté dynamique. Quand le statut de vicus lui est accordé, le quartier participe à la religion publique de la cité. D’autres sanctuaires de périphérie peuvent rassembler au-delà du quartier les habitants de la capitale. C’est à eux que nous allons désormais nous intéresser en les distinguant en plusieurs catégories, facettes des différentes identités de la ville.

Notes
553.

Le Roux P., 1992-1993, p. 156 : ‘il s’agit seulement d’une portion d’espace urbanisé, détaché topographiquement, mais non structurellement, de l’agglomération centrale’. Flambard J.-M., 1981, p. 147sq. Tarpin M., 2002, p. 87-92 ; Dondin-Payre M., 2007, p. 402-403.

554.

Festus, p. 502, 508 : ‘Altero, cum id genus aedificiorum definitur, quae continentia sunt his oppidis, quae … itineribus regionibusque distributa inter se distant, nominibusque dissimilibus discriminis causa sunt dispartita’.

555.

Corbier M., 1987, p. 27-60.

556.

L’ensemble du problème et de la bibliographie est présenté par Dondin-Payre M., 1999, p. 204-207 qui plaide pour un vicus Portenses qui correspondrait à l’agglomération de Rezé. Le Bohec Y., 2006, p. 228 et 233-234, n’assimile pas le vicus à l’agglomération, il estime qu’il pourrait s’agir d’une agglomération ou d’un quartier du suburbium, mais suivant une argumentation peu convaincante. Pour Maligorne Y., 2006, p. 64-66 et 2007, p. 56-67, le vicus est bien un quartier de Nantes organisé autour d’un culte à Vulcain.

557.

Dondin-Payre M., 1999, p. 219-220 et 2007, p. 403.

558.

Fraschetti A., 1994, p. 277 et note 87.

559.

Provost M., 1980, p. 111-114.

560.

Maligorne Y., 2007, p. 67-70.

561.

Desbordes J.-M., Loustaud J.-P., 1992, fig. 10-11 p. 253-254. Le Cloirec G., 2007, fig. 18 p. 51-52.

562.

Scheid J., 2003, p. 61-74.

563.

C’est le même argument qu’avance P. J. Goodman pour qualifier les équipements de Saint-Michel-du-Touch de quartier satellite de Toulouse, pourtant distants de 4 km : Goodman P. J., 2007, p. 95-96.

564.

Certainement à la manière d’un Genius.