e) ‘In excelsissimo loco unde moenium maxima pars conspiciatur’

[‘In excelsissimo loco unde moenium maxima pars conspiciatur’ 649]

Ainsi dans certaines capitales, de grands sanctuaires du culte public apparaissent pendant la période antonine. Ils sont implantés de sorte qu’il soit en position avantageuse et bien visible de l’espace urbain dont ils sont partie prenante. Dès leur conception, ils sont monumentaux, à moins qu’ils ne soient monumentalisés au cours de leur histoire (Schönbühl). Leur plan est classique et fortement influencé par les modèles romains. Ce constat est important : il implique qu’on ne peut pas réserver la construction de temples de plan gréco-romain au seul forum, comme on a coutume de le penser650. Cette particularité s’explique sûrement par le fait que les villes concernées (Augst et Trèves651) ont le statut de colonie de longue date et montre l’importance de ces sanctuaires dans la religion publique des urbes. Les références d’allégeance au pouvoir central que nous y avons observées doivent aussi être soulignées.

On peut ainsi les mettre en parallèle avec l’expression de Vitruve concernant les temples de la Triade capitoline qu’il faut édifier sur les lieux les plus élevés, afin qu’ils assurent la protection de ‘la plus grande partie des murailles’, donc de la ville. L’idée reprise ici est évidemment que les dieux ne protègent que ce qu’ils ont sous les yeux.

‘Aedibus uero sacris quorum deorum maxime in tutela ciuitas uidetur esse, et Ioui et Iunoni et Mineruae, in excelsissimo loco unde moenium maxima pars conspiciatur areae distribuantur’ 652.’

Le texte latin est confus et cette préoccupation topographique peut aussi s’appliquer aux divinités ‘in tutela ciuitas uidetur esse’, c’est-à-dire aux divinités tutélaires de la ville quelles qu’elles soient, si l’on estime que les noms des trois dieux ‘et Ioui et Iunoni et Mineruae’ sont en position coordonnée et non apposée. C’est cette option qu’avaient choisie A. Choisy et L. Homo653, et sur laquelle est revenue P. Fleury654.

Dans les trois cas de Tongres, Trèves et Augst, le souci d’une position haute accentuée par le podium du temple est une constante. Ainsi nos sites partagent-t-ils les critères définissant les capitoles et les sanctuaires aux divinités tutélaires des villes655. Ils en assument aussi sûrement certaines fonctions, dont celles d’assurer la protection de la capitale et d’exprimer son appartenance à l’Empire. D’une certaine manière, les divinités honorées sont les divinités tutélaires de la communauté urbaine, dans sa définition proprement publique. La confirmation de la présence de Mars Vesontius dans un sanctuaire sur La Citadelle de Besançon en fournirait une preuve éclatante656.

Qu’on puisse mettre leur construction en lien ou non avec un événement historique, comme nous avons cru pouvoir le faire à l’Herrenbrünnchen, ces sites n’apparaissent pas avant l’ère antonine. Ils représentent en outre un moyen d’expression utilisé par certaines villes pour montrer leur lien avec le pouvoir central, tout en prenant en compte leur identité urbaine propre. Ce lien s’effectue en plus du culte établi sur le forum et qui apparaît sûrement alors comme trop impersonnel, car standardisé et commun à toutes les capitales. Un siècle après la construction des forums, s’opère donc un glissement des lieux de représentation, du pouvoir du centre vers la périphérie, qui peut alors apparaître comme un nouveau pôle venant compléter (et non remplacer657) l’appareil monumental existant. Le forum, porteur de l’idéologie impériale, est une construction initiée par Rome à l’époque augustéenne. Désormais, l’initiative revient aux élites locales.

Notes
649.

Vitruve, De Architectura I, 7, 1 : ‘Au point le plus haut, d’où l’on aperçoit la plus grande partie de la ville’.

650.

Fauduet I., 1993a, p. 29-30. Cabuy Y., 1991, p. 149-150. Wiblé F., 1998, p. 341. Van Andringa W., 2002, p. 62. Goodman P. J., 2007, p. 134-135.

651.

Ainsi qu’Avenches (infra I, p. 103sq et p. 107). Le temple de Tongres est construit avant que la cité ne devienne municipe.

652.

Vitruve, De Architectura I, 7, 1.

653.

Pour les édifices sacrés, ceux des dieux tutélaires de la ville, de même que ceux de Jupiter, Junon et Minerve…’. Homo L., 1971, p. 18 et édition d’A. Choisy de 1909.

654.

En ce qui concerne les édifices sacrés, pour les dieux qui sont surtout considérés comme protecteurs de la cité : Jupiter, Junon et Minerve, qu’on leur attribue des emplacements à l’endroit le plus élevé afin que de là on découvre la plus grande partie de l’enceinte’. Traduction de P. Fleury, 1990.

655.

Barton I. M., 1982, p. 260.

656.

Ce n’est peut-être pas un hasard d’ailleurs si plusieurs siècles plus tard, ce sont justement les vestiges des quatre colonnes de la Citadelle qui figurent sur le sceau officiel de la ville (III, fig. 115 p. 601).

657.

Nous réfutons fermement l’hypothèse récemment émise par M. Provost qui voit dans les sanctuaires périurbains des lieux de décision politique et de représentation du pouvoir qui viennent remplacer les fora dans les villes où l’on n’en connaît pas encore la localisation (Clermont-Ferrand, Corseul, Le Mans, Autun). Si le centre urbain n’est pas toujours attesté archéologiquement dans les capitales, cela ne signifie pas pour autant son absence. Provost M., 2006, p. 153-157.