b) Les sanctuaires routiers dans la cité

Au-delà de ces remarques, un problème important demeure : celui de savoir à qui revient la gestion de tels sanctuaires. Nos propres sites de périphérie urbaine ne livrent aucun document susceptible de fournir un élément de réponse et comme nous l’avons vu, il faut sortir du cadre purement urbain pour aborder la question.

Dans les sanctuaires routiers proches des vici, l’épigraphie atteste l’intervention en propre des vicani. A Wederath en Allemagne par exemple, le vicus Belginum installé le long de la voie antique Trèves-Mayence possède trois sanctuaires ; l’un d’eux, à l’est de l’habitat le long de la voie, a fourni un lot de dédicaces à Epona et à Mercure753. L’une d’entre elles est dressée par les vicani eux-mêmes et le quaestor du lieu est chargé de son érection754. On peut donc supposer que c’est la communauté locale qui assume son entretien.

A Thun-Allmendingen, le sanctuaire est isolé de tout habitat groupé. En plus des voyageurs, une regio Lind(enses) y offre une dédicace aux divinités des Alpes755. Dans les régions montagneuses du territoire helvète, deux autres regiones sont attestées par des dédicaces religieuses :

  • à Bern, la regio O[---] offre une très grande plaque votive à une divinité inconnue et un duumvir de la cité en assure l’exécution756 ;
  • à Muri dans la vallée de l’Aar, le nom de la regio Arure apparaît au complet et témoigne de l’attache géographique de la regio : ici, c’est la déesse Naria qui reçoit l’hommage et un affranchi du nom de Ferox exécute le vœu757.

La présence de deux regiones sur le même territoire civique laisse présumer des districts, peut-être comparables à des pagi, dont les prérogatives ne se recoupent sûrement pas, car on connaît déjà l’existence d’au moins un pagus dans la cité helvète758. Il pourrait s’agir d’une spécificité de cette cité, puisque ces regiones n’apparaissent pas ailleurs en Gaule. D’après les lexicologues latins, la regio est une circonscription sous l’autorité d’un magistrat dans une colonie ou un municipe759 ; l’intervention du duumvir dans la regio de Bern va bien dans le sens de cette définition. Des sanctuaires routiers peuvent donc intéresser ces communautés, mais le phénomène est marginal et ne concerne pas les périphéries de capitales, pour autant que nous le sachions.

On peut aussi envisager que ces sanctuaires, en tant que sites routiers dépendant du passage de la voie, relèvent de la juridiction qui gère la voierie. Or, selon l’importance de la voie, ce peut être la cité, le pagus ou les particuliers qui financent l’entretien760 ; les autorités publiques exigent des possessores qu’ils prennent en charge l’entretien des voies761. Le contexte de la construction de Vaugrenier le laisse en tout cas supposer une gestion civique.

Les sanctuaires routiers montrent en tout cas un aspect supplémentaire de l’activité cultuelle en marge des villes. Il n’est plus question désormais de l’identité des communautés urbaines qui s’expriment dans le suburbium, mais de l’insertion de la capitale dans un réseau de déplacement, de son ouverture vers l’extérieur en tant que lieu de passage. La dernière série de lieux de culte qui va être étudiée est également tournée vers le territoire, mais cette fois en tant que civitas.

Notes
753.

CIL XIII, 7555a-b et CIL XIII, 10027, n° 68.

754.

CIL XIII, 7555a : In h(onorem) d(omus) d(iuinae), dea[e] / Epon(a)e, uica[n]/i Belg(inenses ou inates) p(osuerunt) cu/rante G(aio) Vel/orio Sacril/lio q(uaestore).

755.

AE 1929, 12 : Alpibus ex stip(endiorum) reg(ionis) Lind(ensis).

756.

CIL XIII, 5162 = AE 1978, 566 : In hon[orem do]mu[s] / divinae [---] / ex [s]tip[i]bus [---] / [re]gion[is] O[---] / [O]tacil(ius) Seccius II[vir ---

757.

CIL XIII, 5161 : Deae / Nariae / reg(io) Arure(nsis) / cur(ante) Feroc(e) l(iberto).

758.

CIL XIII, 5076 : Genio / pag(i) Tigor(ini) / P(ublius) Graccius / Paternus / t(estamento) p(oni) i(ussit) / Scribonia Lucana / h(eres) f(aciendum) c(uravit).

759.

Siculus Flaccus, De condicionibus agrorum p. 98 : ‘Regiones, autem dicimus, intra quarum fines singularum coloniarum aut municipiorum magistratibus ius dicendi coercendique est libera potestas’. Voir aussi Isidore de Séville, Etym. XIV, 21 : ‘a rectoribus autem regio nuncupata est, cuius partes territoria sunt’. Voir encore : Leveau P., 1993, p. 465.

760.

Siculus Flaccus, De condicionibus agrorum p. 109-110.

761.

Pekáry T., 1968, p. 113-117 et p. 159-162.