c) Le territoire administratif dont relève le sanctuaire

L’exemple d’Alba-la-Romaine offre la possibilité d’examiner la nature du territoire administratif dont relève le sanctuaire de périphérie782. C’est une inscription fragmentaire qui permet de proposer une hypothèse. Cette inscription, en remploi dans un jambage de porte moderne, a été découverte en 1900 dans le quartier du Palais. Il s’agit d’une plaque rectangulaire, en calcaire de Cruas, incomplète en haut (fig. 21). Quoique en remploi, on est ici le long du cardo maximus, c’est-à-dire dans la zone du forum, lieu d’exposition des inscriptions et ce texte en provient peut-être783 :

---]/ Pag(us) / Arec[---] / p(assus ou pedes) (mille) LXXV.

Le texte mentionne donc le nom d’un pagus helvien, conjointement à l’indication d’une distance. Si l’abréviation de la dernière ligne est en pied, la distance évoquée est de 318 m ; s’il s’agit de pas, les 1075 pas correspondent à 1590 m. Par rapprochement avec une inscription découverte à Orange784, c’est la restitution en pied précédée de la mention d’un opus réalisé par le pagus qui a été proposée785 : [Opus?] / pag(i) / Arec(omicorum?) / p(edes) LXXV. L’inscription mentionnerait la réalisation d’un ouvrage sur une longueur de 1075 pieds par le pagus Arécomique.

D’autres restitutions sont cependant possibles, surtout si l’on considère la distance entre le forum, où était peut-être exposée l’inscription le long de la via, et le sanctuaire de Bagnols : cette distance correspond à environ 300 m. On est alors tenté de restituer en première ligne le terme fines et de préférer l’usage de passus en dernière ligne. Ceci ferait de l’inscription une borne indiquant la frontière du pagus et permettant ainsi de faire du sanctuaire de Bagnols un lieu de culte relevant du pagus et non de la capitale786. La conclusion est la même si l’on garde opus en première ligne : l’ouvrage concerné pourrait alors être la voie reliant le forum de la ville au sanctuaire et qu’aurait financée le pagus. On sait d’ailleurs que cette voie longue d’environ 300 m est construite au IIe siècle et dessert directement le chevet du sanctuaire, peut-être sans aller au-delà.

[Note 785: Strabon, Géographie IV, 3, 2.]

[Note 786 : CIL XIII, 1670 et Allmer A., Dissard P., 1889, n° 109. Voir encore l’inscription incomplète CIL XIII, 1684 et Allmer A., Dissard P., 1889, n° 130 : ---] / patr[on(o) pagi Cond]ate praef(ecto) / coloniae actori public(o) / IIviro ab aerario item / IIviro a iure dicundo / flamini Augustali cui / divus Aurel(ius) Antoninus / centenariam procuration(em) / prov(inciae) Hadrymetinae dedit / sacerdoti ad aram Caes(aris) n(ostri) // Iuliae] / C(ai) Iu[li ---] / sac[erdotis] / ad a[ram ---] / f[iliae ---] / C(aius) Res[---] / Sen[---] / ma[tri(?).]

Le problème qui se pose d’abord est de savoir à quel territoire se rattache le pagus  : à celui de la colonie ou à celui de la cité des Ségusiaves ? Mais cette dernière proposition est moins vraisemblable puisque c’est le Rhône qui fait office de frontière à la colonie de Lyon d’après les références textuelles787. Ensuite, on peut se demander si le sanctuaire appartient au pagus de Condate ou bien s’il faut l’adjoindre au territoire urbain. La présence de tombes de Lyonnais le long de la voie du Rhin, dans l’environnement du sanctuaire, a pu faire exclure le site du pagus 788.

Pourtant les inscriptions émanant du sanctuaire, et en particulier celles qui énoncent les titulatures des prêtres, parlent du sanctuaire inter ou ad confluentes Araris et Rhodani sans jamais mentionner Lyon789. L’épigraphie fait une distinction importante entre le territoire lyonnais et celui du confluent. En revanche, les auteurs latins qui s’intéressent au lieu de culte du Confluent confondent la plupart du temps le territoire du sanctuaire avec celui de la colonie790. Preuve que du point de vue de Rome, on ne s’embarrasse pas de subtilités. Seule la Periocha de Tite-Live précise bien que l’autel est ad confluentem 791. L’hypothèse est impossible à vérifier, pourtant le rapport entre l’autel des Trois Gaules et Lyon est assez comparable à celui d’autres capitales provinciales avec les sanctuaires du culte impérial, comme Sarmizegetusa et l’Ara Augusti en Dacie792.

Le constat n’est pourtant pas à généraliser à tous les sanctuaires provinciaux. A Narbonne, le contexte est très différent, parce que la Lex de flaminio et la localisation du sanctuaire provincial par rapport à la ville incluent tout à fait ce dernier dans l’espace urbain793. La situation des sanctuaires de Tarracone ou de Croduba, inclus dans les murs de la ville, invite à penser la même chose794. Toutefois, comme on le suppose à Alba et au Confluent de Lyon, la position périurbaine d’un sanctuaire n’implique pas nécessairement que ce dernier dépende de la ville. Il faut alors chercher au-delà de la capitale la communauté qui le fréquente, mais l’épigraphie n’offre pas toujours les mêmes précisions qu’à Allonnes ou à Trèves. Les inscriptions sont en tout cas attentives à éviter les confusions. Ce souci s’observe également dans la situation topographique de nos lieux de culte par rapport à la capitale. Un certain nombre de précautions sont prises pour que la proximité entre les deux ensembles ne provoque pas d’amalgames et les solutions pour y parvenir sont assez variées. Nous les avons groupées en cinq types.

Notes
782.

II, p. 317 et III, fig. 134 p. 615.

783.

AE 1901, 6 = ILGN, n° 374. Dimensions : 0,59 x 0,28 x 0,16 m ; lettres : 5/2,3/4 cm.

784.

CIL XII 1243 : Op(us) pagi / Minervi / p(edes) DCLXXX.

785.

ILGN, n° 374 et Lauxerois R., 1972, p. 153-155.

786.

Je tiens à remercier ici J.-C. Béal pour les informations qu’il m’a communiquées.

787.

Béal J.-C., 2007, p. 17 notes 61 et 62 et p. 26.

788.

Béal J.-C., 2007, p. 26 note 120.

789.

CIL XIII, 1036, 1042-1045, 1541, 1674, 1702 (Allmer A., Dissard P., 1889, n° 131), 1712 (Allmer A., Dissard P., 1889, n° 111), 1716, 1719 (Allmer A., Dissard P., 1889 n° 132), 3144 = AE 1969/70, n° 404. AE 1992, 1240.

790.

Suétone (Claude II, 1), Dion Cassius (Histoire romaine LIV, 32, 1) et Juvénal (Satire I, 43) mentionnent tous le sanctuaire de Lyon.

791.

Tite-Live, Periocha CXXXIX.

792.

Fishwick D., 2004, p. 173-177.

793.

CIL XII, 6038 = AE 1987, 749 = AE 2000, 115.

794.

Fishwick D., 2004, p. 5-40 ; 71-104.