4) L’accueil des participants

Nos sites sont de grands sanctuaires publics. Ils conservent pour certains les témoignages épigraphiques de l’intervention de la civitas ou du rassemblement des pagi du territoire. Ils sont les lieux de représentation des institutions de la cité. Leur architecture est donc soignée, souvent monumentale, peut même prendre des proportions grandioses. Ils sont certainement gérés par les autorités de la cité et les choix d’implantation affichent le souci de ces mêmes autorités de bien les dissocier du territoire des capitales voisines. Ce soin reflète la position juridique de sanctuaires qui ne sont pas tournés vers la communauté urbaine seulement, mais vers le territoire dans son ensemble.

Leurs aménagements, avec grandes cours et théâtres, les prédisposent à des rassemblements de population importants. L’afflux d’une foule nombreuse pour des célébrations religieuses périodiques nécessite obligatoirement des structures d’accueil. De ce point de vue, le rapprochement des sanctuaires avec la capitale peut se comprendre dans un but de commodité. La ville s’insère tout d’abord idéalement dans le réseau des communications locales, en tant que nœud des voies de la cité notamment. La position périurbaine des sanctuaires les rend donc faciles d’accès et nous avons souligné déjà le lien important de nos sanctuaires avec les grandes voies régionales.

En plus de l’accessibilité, la ville dispose des capacités d’accueil d’une foule importante qui aura besoin de trouver le gîte, le couvert et le confort des thermes après un déplacement plus ou moins long et pour les purifications préalables aux cérémonies religieuses. Cette pratique devait être courante : auprès des sources très fréquentées de Clitumne, les habitants de la localité voisine d’Hispella financent des bains pour les pélerins et leur offrent l’hospitalité851. Ainsi, la position périurbaine doit s’envisager non du point de vue de la ville, mais de celui du territoire. Les déplacements, induits par la fréquentation du lieu de culte, impliquent des mouvements non pas de la ville vers le sanctuaire, mais du territoire vers la zone périurbaine.

Ainsi faut-il à notre sens comprendre la relation du sanctuaire de La Tonnelle à l’urbanisme de Jublains. L’aire sacrée est extérieure à la capitale, détachée de l’espace urbain par le passage du fossé et du mur, mais en lien direct avec la voie vers Avranches. Grâce à la proximité de la ville, les officiants peuvent profiter de ses commodités : on sait notamment que Jublains possède au moins un ensemble thermal qui daterait de la fin du Ier ou du début du IIe siècle, époque de la construction du sanctuaire. En outre, la voie qui relie le sanctuaire à la ville est longée de plusieurs pièces, construites dans le second quart du IIe siècle, puis pourvu d’un hypocauste et d’un bassin à la fin du siècle suivant. Ces structures sont sûrement en lien avec des rituels de purification préalables à l’accès dans le lieu de culte.

Pour des sanctuaires un peu plus éloignés de la ville (type B), un quartier se développe autour du lieu sacré, indépendamment de l’urbanisme de la capitale. Ces quartiers ont leur propre orientation, parfois leurs propres édifices. De tels secteurs ont pu être observés autour de la Tour de Janus et du sanctuaire de l’Irminenwingert notamment. On peut déplorer cependant que l’environnement des sanctuaires ne soit parfois pas davantage exploré, au point qu’ils peuvent apparaître, à l’image du Haut-Bécherel, comme complètement isolés dans la nature, ce qui n’était certainement pas le cas. A Autun, La Genetoye est un quartier densément occupé et structuré autour d’éléments urbanistiques forts (voies et rues). Son orientation reprend globalement celle de la voie de Bourges. Il possède plusieurs monuments publics, dont nous ne saurions dire, excepté pour le théâtre, si ceux-ci ont un lien avec le sanctuaire.

L’Irminenwingert relève du même cas de figure. Des structures sont adossées au mur de péribole de l’aire sacrée. Elles sont organisées en trois ensembles centrés sur une cour. L’un d’eux a une fonction thermale ; les autres sont des constructions profanes qui ne sont pas sans rappeler des hospitalia tels qu’on en trouve d’ailleurs dans le reste du territoire trévire852. Ces ensembles peuvent tout à fait être destinés à l’accueil des populations venant assister aux cérémonies et la présence de thermes associés aux sanctuaires épargne aux participants un déplacement vers la ville pour les purifications d’usage853.

Enfin, au Haut-Bécherel, de nombreux vestiges sont attestés dans l’immédiat voisinage du sanctuaire et à proximité de la voie autour de la source Saint-Uriac. Il faut peut-être interpréter ces structures à l’aune des commentaires précédents. Pour ces sanctuaires d’ailleurs, on peut poser la question de la pertinence de l’expression de ‘quartier religieux’ pour désigner les structures qui les entourent. Nous la trouvons dans ce cas plus opportune que lorsqu’elle est employée pour qualifier un secteur où se concentrent plusieurs sanctuaires, comme dans la périphérie d’Avenches, ou bien pour l’Altbach, où elle qualifie un sanctuaire à édifices multiples854. Elle conviendrait alors pour désigner l’ensemble des installations profanes induites par la fréquentation du lieu de culte855.

Certains sites, que nous avions regroupés dans le type A856, sont toutefois trop éloignés et c’est une agglomération secondaire qui se développe dans le sillage du sanctuaire et qui assume alors l’accueil des officiants, mais peut-être aussi l’entretien permanent du site. Ce cas de figure s’observe à Allonnes et au Vieil-Evreux. A Allonnes, l’agglomération est en contrebas de La Butte des Fondues, où est installé le lieu de culte, et à l’écart de celui-ci. Elle apparaît au cours du Ier siècle, sans qu’on puisse préciser davantage. Elle s’organise suivant un axe nord-sud et possède des thermes, ainsi que son propre sanctuaire au lieu-dit Les Perrières, construit sous Tibère857. Ce lieu de culte, intégré au schéma urbain de l’agglomération, est sûrement fréquenté par ses habitants.

Au Vieil-Evreux, l’organisation de l’agglomération secondaire est tout à fait particulière. Une vaste esplanade réunit différents édifices publics : le grand sanctuaire, le théâtre, les thermes, mais aussi des sanctuaires secondaires. Cet espace est protégé par un grand fossé, au-delà duquel sont construits des habitats qui se multiplient progressivement au fil du temps.

Enfin, l’environnement de certains n’est pas toujours évident à caractériser. Au Mesnil, des vestiges gallo-romains sont repérés sur au moins 3 ha, mais les structures sont mal connues. Il en va de même à Montmartre, où des édifices gallo-romains ont été observés notamment au nord de la Butte et au sud de l’église Saint-Pierre, sans qu’on puisse en proposer d’interprétation définitive ; il y a notamment de petits thermes qui pourraient avoir un lien avec le sanctuaire. Enfin, le sanctuaire de Bagnols à Alba est attesté dès les années 40 av. n.è. et dès sa naissance, il est associé à un habitat modeste étendu sur 1,3 ha et lié à des activités artisanales. Les deux ensembles, reliés par une voie desservant l’une des entrées du sanctuaire, ont entre eux un lien fort dont on ne connaît pas la nature.

Notes
851.

Pline le jeune,Epistulae VIII, 8, 6.

852.

A Wasserbillig, des hospitalia sont attestés sur une dédicace offerte par un tabularius (CIL XIII, 4208 = AE 1967, 320 = AE 1987, 771) ; à Heckenmünster, près du sanctuaire, plusieurs édifices sont interprétables dans ce sens (Binsfeld W., 1969, p. 239-268).

853.

Sur les relations topographiques entre thermes et sanctuaires : Scheid J., 1991b, p. 213-214, qui souligne la nécessité de thermes propres aux sanctuaires sub- ou extraurbains dans l’Empire quand ils ne disposent pas des commodités de la ville.

854.

I, p. 69-70.

855.

Expression proposée pour le Haut-Bécherel par Provost A., 1997, p. 21 et 1999a, p. 63.

856.

I, p. 126.

857.

II, p. 387 et note 774.