b) Le sanctuaire de périphérie, clé de voûte de la religion de la cité

Les exemples précédemment évoqués concernaient des cités où le sanctuaire de périphérie urbaine était le seul édifice religieux présentant quelque monumentalité. Il n’en est pas toujours ainsi. Nous évoquerons donc le cas des autres cités (Trévires, Eduens, Eburoviques et Cénomans), où l’importance du sanctuaire de périphérie est pondérée par la présence d’autres lieux de culte monumentaux dans le territoire.

Le cas le plus simple est celui de la cité des Aulerques Cénomans (fig. 33 et 34) où une dizaine de sanctuaires a été répertoriés. Parmi ceux-ci, certains présentent une importance certaine et il est regrettable qu’ils n’aient pas livré de témoignages épigraphiques. Il s’agit des sites de Sablé-sur-Sarthe, Aubigné-Racan (Cherré) et Oisseau-le-Petit (La Cordellerie). Chacun se situe non loin des frontières du territoire, à plus de 35 km de la capitale et se présente comme des édifices massifs, à l’architecture et au décor soignés, parfois plus grand encore que le temple de Mars Mullo. De même qu’à La Butte des Fondues à Allonnes, ils perpétuent des lieux de culte laténiens ou bien sont associés à une agglomération secondaire perpétuant une occupation laténienne. D’une manière générale dans la cité des Cénomans, il y a une grande continuité des lieux de culte et de l’habitat entre la période de l’Indépendance et la période romaine, continuité qu’on avait déjà relevée précédemment910. Les agglomérations de Sablé, Aubigné et Oisseau sont par ailleurs toutes les trois dotées d’une parure monumentale remarquable (théâtre, thermes). Si le temple de Mars Mullo n’est pas le plus imposant de tous, il est le seul qui soit propice à de grands rassemblements ; le soin tout particulier apporté à son décor le place, en dignité, à un niveau plus important. Les fragments d’inscriptions découverts, hormis ceux déjà évoqués, font état de dédicaces rendues par des notables locaux, d’interventions de chevaliers ou de sénateurs romains et peut-être même d’un gouverneur de Lyonnaise. Le sanctuaire de Mars Mullo est donc le seul à susciter autant l’intérêt des élites, preuve supplémentaire de sa prééminence sans conteste dans la cité.

Les témoignages cultuels de la cité des Trévires (fig. 35 et 36), beaucoup plus riches et nombreux, permettent des commentaires plus aboutis et offrent la possibilité de saisir la grande variété des sanctuaires et des communautés qu’ils regroupent au sein d’une cité. Certains sont des lieux d’expression pour un pagus (à Wederath et Arlon). Plusieurs sanctuaires sont offerts à des vicani (Pachten, Wederath, Bitburg911, Arlon ?). D’autres communautés sont attestées, tels les coloni de Pachten. On connaît encore dans l’agglomération de Dalheim un lieu de culte dédié à la triade capitoline. D’autres sites sont de vastes sanctuaires regroupant plusieurs fana dans une enceinte, parfois associés à un théâtre et/ou à des thermes. Nous pensons ici aux sanctuaires de Hochscheid, de Dhronecken, de Heckenmünster, de Möhn et peut-être de Tawern. L’association des structures religieuses avec des hospitalia destinés à accueillir des dévots invite à les considérer comme des ‘sanctuaires de pèlerinage’. Le sanctuaire de l’Irminenwingert, consacré entre autres à Lenus Mars, mais associant également d’autres cultes, apparaît bien comme le lieu qui réunit cette diversité afin de réaffirmer l’identité civique et trévire de ceux qui la composent. Le culte à Mars Iovantucarus dans ce contexte renforce ce sentiment. Le sanctuaire de périphérie apparaît bien alors comme une clé de voûte de l’ensemble des cultes et des identités des Trévires.

L’impression fournie par les sources témoignant de la religion des Eduens est aussi celle d’une grande diversité (fig. 37 et 38). Le panthéon de la cité atteste le dynamisme des cultes locaux. Plusieurs sources font l’objet d’un culte drainant une foule nombreuse, comme les installations sur les sources de l’Yonne ou celles de Bourbon-Lancy, qui sont les plus fameuses mais qui ne sont pas les seules912. A. Rebourg restituait au moins six pagi dans le territoire, correspondant aux différents pays de la cité913. On connaît seulement l’existence du pagus Arebrignus par la mention d’un panégyriste914 et deux inscriptions de Châlons-sur-Saône font état de décrets de pagus préalables au dépôt des dédicaces915. Les textes de Châlons montrent la participation active des pagi dans les pratiques religieuses. D’importantes agglomérations pourvues d’un théâtre, telles Nuits-Saint-Georges, Entrains, Champallement, possèdent des sanctuaires imposants. D’une manière générale, le territoire éduen dispose d’un maillage serré de grands sanctuaires, souvent isolés ou au contexte mal connu (Ménestreau, Vault-de-Lugny,…), qui pour beaucoup perpétuent des lieux de culte laténiens. Ces derniers pourtant sont tous distants de 25 à 30 km de la capitale, autour de laquelle on trouve seulement de modestes lieux de culte à la fréquentation réduite (tels Cussy, Santenay, Chassey,…). Comme chez les Trévires pourtant, le sanctuaire de La Genetoye se démarque par ses dimensions, sa monumentalité, son association à un théâtre (unique dans la cité). Au sommet de l’ensemble, la tour de Janus fait donc le trait d’union entre les différentes entités du territoire en s’imposant comme le sanctuaire qui domine la vie religieuse publique de la cité.

Notes
910.

I, p. 50.

911.

Culte attesté par l’épigraphie (CIL XIII, 4131et 4132), pas de sanctuaire reconnu : Bitburg ne figure donc pas sur la figure 35.

912.

Voir les louanges des panégyristes autour des sources non localisées d’Apollon : Anonyme, Panégyrique de Constantin XXI et XXII.

913.

Rebourg A., 1994, p. 59-60.

914.

Anonyme, Discours de remerciement à Constantin, VIII, 6.

915.

CIL XIII, 2608 et 2609.