c) ‘Pour éviter l’écueil qui se tient en arrière…’

[‘Pour éviter l’écueil qui se tient en arrière…’916]

Les cas qui nous ont arrêté jusqu’ici laissent peu de doutes quant à l’importance du sanctuaire de périphérie, proche de l’urbs mais tourné vers le territoire dans le but de la représentation de l’ensemble de sa population civique. Dans cette optique, la position périurbaine doit alors s’envisager comme une commodité, qui facilite l’accès et l’accueil d’une population périodiquement nombreuse. Ceci étant dit, d’autres solutions sont envisageables et les cités des Médiomatriques et des Leuques en offrent le témoignage.

Chez les Médiomatriques, nous avons précédemment évoqué le culte des eaux des profondeurs rendu à Icovellauna dans le sanctuaire du Sablon en périphérie de Metz. Ce sanctuaire n’a toutefois rien d’un sanctuaire civique et nous l’avions abordé dans le cadre des sanctuaires fréquentés par la communauté urbaine de Metz917. Pour le reste, le territoire est ponctué de sanctuaires souvent importants, implantés dans des agglomérations secondaires, comme à Senon ou au Hérapel (fig. 39 et 40). C’est justement dans l’une de ces agglomérations que doit se trouver le sanctuaire rassemblant les pagi du territoire : à Tarquimpol, qui est assez excentrée par rapport au territoire, mais particulièrement bien insérée dans le réseau de voies de la cité. Le nom antique de l’agglomération – Decempagi – cité dans la Table de Peutinger, l’Itinéraire d’Antonin et par Ammien Marcelin918, fait référence aux (dix ?) pagi du territoire. L’agglomération possède justement une zone de bâtiments publics très importante, malheureusement essentiellement connue par prospection aérienne, et située à l’écart de la zone d’habitat919. Parmi les bâtiments, on compte un théâtre d’une ampleur exceptionnelle, son plan forme un arc de cercle outrepassé. La longueur approximative de son grand axe est d’environ 120 m, ce qui place l’édifice parmi les plus grands de la Gaule (derrière Mandeure, dont le diamètre est de 142 m) ; la photo aérienne montre un bâtiment composé de murs concentriques, une orchestra de 45 m de diamètre920. De vastes thermes, fouillés au XIXe siècle, ainsi qu’un complexe de grands bâtiments font partie de l’ensemble. On ne connaît rien d’éventuels antécédents laténiens sur ce site. Ces différents éléments donnent lieu de penser que Tarquimpol, à l’image de l’Irminenwingert, servait au regroupement des pagi du territoire. Des dix pagi attestés par le toponyme, nous n’avons que la trace d’un seul921. La cité des Médiomatriques offre donc l’exemple d’une cité où c’est au cœur d’une agglomération en position très décentrée, mais facilement accessible, que se tenaient certainement les cérémonies fédérant l’ensemble des entités du territoire.

Au sud de la cité des Médiomatriques, la cité des Leuques montre une configuration étonnante (fig. 41 et 42). Sa capitale, Toul, est très mal connue et aucun lieu de culte n’y est attesté. Naix a d’ailleurs sûrement été dans un premier temps au Ier siècle la capitale de la civitas avant qu’elle ne soit transférée à Toul922. Naix succède vers la fin du Ier siècle av. n.è. à un oppidum situé juste à l’est sur le plateau de Boviolles. L’urbanisme y est précoce (dès l’époque augusto-tibérienne), avec l’établissement d’une trame urbaine orthonormée, une vaste place publique bordée de portiques. Au sud, un vaste plateau (Le Mazeroie) compte un ensemble de neuf fana sur au moins 8 hectares, dont une petite partie seulement a été fouillée. On sait toutefois que le lieu de culte a été utilisé jusqu’à la fin du IIe siècle. Ces éléments et l’ampleur du site religieux de Naix font penser à un grand sanctuaire de périphérie urbaine, rassemblant des cultes dont malheureusement on ne sait rien, mais qui pouvaient peut-être rassembler les Leuques et qui ont continué de jouer ce rôle alors même que la capitale était déplacée. Ceci expliquerait du coup qu’elle soit qualifiée de polis par Ptolémée, au même titre que Toul923, et qu’une vignette de chef-lieu serve à la représenter sur la Table de Peutinger.

Notes
916.

Pierre Reverdy, ‘Pour éviter l’écueil’.

917.

I, p. 90-98 et II, p. 242-246.

918.

Ammien Marcelin, Histoire XVI, 2, 8-10.

919.

Berton R., Petit J.-P., 1997, p. 313-329.

920.

Burnand Y., 1982, p. 331-332.

921.

CIL XIII, 4316.

922.

Dechezleprêtre T., Mourot F., 2006, p. 35-38 ; Burnand Y., 2006, p. 437-447.

923.

Ptolémée, Géographie II, 9, 7.