Université Lumière Lyon 2
Ecole doctorale : Sciences sociales
Rôles et fonctions de la sculpture religieuse à Lyon de 1850 à 1914
Thèse de doctorat d’Histoire
sous la direction de François FOSSIER
soutenue le 20 juin 2008
Composition du jury :
Rémi LABRUSSE, professeur à l’université d’Amiens
François FOSSIER, professeur à l’université Lyon 2
Ségolène LE MEN, professeure à l’université Paris 10
Catherine CHEVILLOT

Contrat de diffusion

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Avant-propos

Depuis une quinzaine d’années, les études sur l’architecture du XIXe siècle sont nombreuses. Ainsi, furent publiés en 1993 Les Cathédrales au XIX e siècle : étude du service des édifices diocésains par Jean-Michel Leniaud, puis du même auteur en 1994 Viollet-le-Duc ou les délires du système, en 1996 par Sylvain Bellenger et Françoise Hamon Félix Duban, 1798-1870 : les couleurs de l'architecte à l’occasion d’une exposition au château de Blois1, par Gérard Bruyère et Gilbert Richaud Gaspard André, architecte lyonnais : 1840-1896, en 1997 par Jean-Pierre Épron Comprendre l'éclectisme, en 1999 par François Loyer Histoire de l’architecture française, de la Révolution à nos jours, par Catherine Jubelin-Boulmer les Hommes et métiers du bâtiment, 1860-1940 : L'exemple des Hauts de Seine, en 2003 par Denise Jasmin Henry Espérandieu Nîmes, 1829 - Marseille 1874 : « La truelle et la lyre », en 2005 par Jean-Michel Leniaud Charles Garnier, en 2004 par Alice Thomine Émile Vaudremer, 1829-1914 : la rigueur de l'architecture publique. Enfin, le travail tout récent – 2007 – de Jean-Michel Leniaud, La Révolution des signes : l'art à l'église (1830-1930), se fondant sur multiplicité des styles historiques dans l’architecture religieuse et ses décors, il met en évidence leur fécondité, leur évolution et leur la simplification dans cette période charnière, riche en débats, faisant ainsi apparaître les prémices de la modernité premier quart du XXe siècle. Ces études ont permis d’affiner, voire de redéfinir les orientations d’analyse telles qu’elles avaient été émises dans les textes pionniers publiés dans les années 1980, comme celles de Michel Ragon, en 1979 celle de François Loyer (1979) sur Hector Horeau 1801-1872 et du même auteur 1985 Les Ambiguïtés de Charles Garnier.

L’architecture du XIXe siècle à Lyon n’a pas été oubliée dans ce renouveau des analyses, avec un intérêt spécifique depuis les dix dernières années, pour l’architecture religieuse, objet d’études monographiques ou de textes de synthèse. Dans ce cadre-là, Louis Challéat réalisa une maîtrise sur La Basilique de Fourvière : étude historique en 1983 puis soutint une thèse en 1990 sur La Construction de la basilique de Fourvière à travers la correspondance des architectes (1872-1888), de même Didier Lardy rédigea une maîtrise sur Bossan et l'église de l'Immaculée Conception en 1984, puis Olivier Savey une Monographie de l'église Saint-Georges de Lyon en 1996, Aurélie Cruz-Mounier sur L'Église Sainte-Blandine de Lyon : monographie d'édifice en 1997, en 2004 Philippe Dufieux a publié les recherches de son doctorat sur Le Mythe de la primatie des Gaules : Pierre Bossan (1814-1888) et l'architecture religieuse en Lyonnais au XIX e siècle.

Moi-même, j’ai travaillé sur l’architecture religieuse de Sainte-Marie Perrin (1835-1917). Ces travaux m’ont permis de mettre en évidence combien le décor est important. Pour cet architecte, toute œuvre d’art doit être conçue dans l’esprit de l’édifice qui l’abrite, afin de former un ensemble parfaitement harmonieux.

‘« S’il [le peintre] accepte ces conditions de dépendance imposée non par le caprice, mais par les exigences absolues de l’unité, son œuvre alors s’incorpore en quelque sorte avec le monument, elle vit de la même vie, elle prend un caractère de grandeur et de durée qu’elle ne saurait acquérir sans ce secours, elle devient monumentale et, chose admirable, cette composition décorative qui n’est venue qu’à la dernière heure, qui s’est faite ce qu’elle est pour complaire à l’architecture, reçoit d’elle maintenant un merveilleux hommage ; l’architecture s’efface en quelque manière devant cette sœur ; La peinture s’est présentée dans l’édifice en servante, elle y est accueillie et honorée en reine, et tout semble fait pour elle. »2

De même, dans ses constructions on observe que l’ornementation et le mobilier sont réalisés dans cette intention d’unité. La sculpture est intimement liée à l’architecture par la place qui lui est réservée et par ses formes qui s’en adaptent.

Pourtant, au cours de ces recherches antérieures, j’ai constaté combien la sculpture religieuse – notamment à Lyon – au XIXe siècle reste méconnue et peu étudiée. La sculpture du XIXe siècle a fait l’objet de deux études généralistes, en 1972 par Maurice Rheims Sculpture au XIX e siècle, puis en 1986 à l’occasion de l’exposition au Grand Palais Sculpture française au XIX e siècle ; cette même année Gilbert Gardes soutint une thèse sur le thème Le Monument public français, l’exemple de Lyon. La question du monument public a été à nouveau l’objet de travaux de fond en 2005 dans La Statuaire publique au XIX e siècle par Ségolène Le Men et Aline Magnien. Ces dernières années, en 2002, la sculpture du XIXe siècle a été abordée sur le thème de la sculpture animalière avec l’exposition du musée des Arts décoratifs de Bordeaux Autour de Barye et de Pompon : Sculptures animalières des XIX e et XX e siècles, Hommage au legs Cruse-Guestier. Cependant la question de la sculpture religieuse du XIXe siècle reste quasiment inabordée. Seule l’exposition De plâtre et d'or, Geoffroy-Dechaume sculpteur romantique de Viollet-le-Duc et sa publication en 1998, a manifesté de l’intérêt pour ce sujet. Enfin à Lyon, Stéphanie Spinosi effectua un bon Catalogue des œuvres religieuses de J.-H. Fabisch (1812-1886), pour une maîtrise en 19963.

Dans les études sur les arts religieux comme dans celles sur le XIXe siècle, on constate l’omission de la sculpture religieuse du XIXe siècle. La peinture religieuse, le vitrail, les arts liturgiques, la paramentique et bien sûr la peinture religieuse du XIXe siècle ont été au centre d’études ou d’expositions, depuis une vingtaine d’année. Citons l’étude très complète de Bruno Foucart en 1987 Le Renouveau de la peinture religieuse en France (1800-1860), et celle publiée récemment – 2007 – d’Emmanuelle Amiot-Saulnier sur La Peinture religieuse en France : 1873-1879, un âge d'or pour cet art en France dont l’essor fut favorisé par la politique artistique de l'État. Le cas de Lyon fut spécialement analysé, entre autre dès 1986, avec l’exposition Bossan, Armand-Calliat, au musée des Beaux-Arts de Lyon, en 1992 l’exposition Lyon et le vitrail du néo-médiéval à l'Art nouveau au Palais Saint-Jean et Paramentica, Tissus lyonnais et art sacré, 1800-1940 (par Bernard Berthod, Élisabeth Hardouin-Fugier) au musée de Fourvière, puis en 1996 avec le Dictionnaire des arts liturgiques XIX e - XX e siècle par Bernard Berthod et Élisabeth Hardouin-Fugier, et en 2000 avec le catalogue de l’exposition L'Orfèvrerie de Lyon et de Trévoux du XV e au XX e siècle par Maryannick Chalabi et Marie-Reine Jazé-Charvolin.

La sculpture religieuse demeure la seule grande oubliée. Est-ce en raison de son peu d’intérêt ou par désappointement face aux différentes difficultés auxquelles son étude se heurte ? En effet, face à l’abondance de cette production, la dispersion des sources documentaires, la multiplicité des problématiques que soulève son examen, le chantier est immense. De plus, l’étroite imbrication de cet art à l’architecture perturbe, voire occulte, sa perception. Son caractère souvent fusionnel à l’architecture la dissimule à l’attention du visiteur comme du chercheur. Cette union est une question intéressante dans l’étude de la sculpture religieuse, mais elle a vraisemblablement nui à la mise en place d’expositions qui auraient pu donner lieu à des recherches et des publications. Par ailleurs, il est probable que le caractère dévot de cette production, ainsi que sa déconsidération depuis le concile de Vatican II, masquent son identité artistique et sa reconnaissance à part entière. Cet art reçoit souvent l’étiquette de désuet : il est soit considéré comme emphatique et d’un lyrisme affecté, soit au contraire comme conventionnel et rigide. En conséquence, les responsables de l’entretien des églises tentent bien souvent de l’évacuer. Serait-ce un art obsolète n’ayant eu aucun lien significatif avec son époque, ni aucune répercussion ?

Les difficultés – plus ou moins attendues – n’ont pas manqué à la réalisation de cette thèse. La première tâche fut de cerner ce nouveau sujet : sa problématique et ses limites. Pour appréhender ces deux questions et voir si une thèse sur ce sujet était réalisable, j’ai d’abord réalisé un repérage comprenant toutes les sculptures du XIXe siècle dans les églises de Lyon et procédé à des sondages dans une zone correspondant environ aux limites du diocèse4 de Lyon, élargie à une partie des départements de la Loire et de l’Ain. Cette prospection m’a permis de constater que l’échantillonnage fourni dans les églises de Lyon était suffisamment ample pour fournir des exemples variés et représentatifs de la région ; et que l’attention devait se concentrer sur la seconde moitié du XIXe siècle, période prolifique mais ignorée. Le paradoxe entre la richesse productive de cette période et son omission dans l’histoire de l’art m’a d’autant plus intriguée. Si l’on réduit l’histoire de l’art à l’étude des œuvres et des artistes d’avant-garde, alors oui, il semblerait normal de renoncer à porter de l’attention à cette florissante mais conventionnelle production de sculptures religieuses au XIXe siècle. Néanmoins, il est prématuré de juger ces œuvres conformistes et sans avenir, sans avoir au minimum cherché à comprendre leurs raisons d’être et leurs aboutissements. Car, même si cet art est loin des idéaux du XXe siècle et de ceux d’aujourd’hui, il est nécessaire de cerner les caractéristiques d’un domaine si prolifique. Ignorer un tel domaine de l’histoire de l’art parce qu’il semble n’avoir aucune postérité est une erreur ; elle empêche d’avoir un regard entier sur les relations entre les beaux-arts et cette époque. Il est le fidèle indicateur de l’esprit d’une époque ; comprendre ses origines, ses desseins, la cause de ses succès et de ses déboires, est d’autant plus important, afin de ne pas sauter un passage de l’évolution des idéaux artistiques sans lequel l’art du XXe siècle n’aurait aucun sens.

L’intérêt singulier du sujet étant indéniable et le corpus abondant, j’ai tout de suite commencé à chercher des archives. À ce moment, je n’ai pas voulu restreindre le corpus – ayant pensé au départ uniquement étudier la statutaire et les ensembles sculptés des églises du XIXe siècle – dans la crainte de ne pas trouver suffisamment de documentation. C’est ici que les difficultés étaient le plus attendues. Pour cela, j’ai cherché un maximum d’informations dans les archives diocésaines ainsi que dans les archives très lacunaires des paroisses. La fouille des archives a été longue et peu fructueuse, comme je le craignais. Parallèlement, les recherches bibliographiques et documentaires ont été faites. À cette étape, la grande surprise fut de découvrir dans des critiques contemporaines sur la sculpture religieuse, la vigueur des débats, traitant d’interrogations esthétiques sagaces, et témoignant fréquemment – implicitement ou explicitement – des caractéristiques de la vie spirituelle à l’époque. Le vif intérêt de ces questions – que ce soit au XIXe ou maintenant, car elles relient l’art et son époque et éclairent mutuellement leur compréhension – m’a paru si décisif et incontournable que j’ai voulu lui consacrer une partie de cette thèse. Cependant, il faut reconnaître que beaucoup de ces problématiques dépassaient largement le champ de mes connaissances et qu’il a fallu m’appliquer à pallier autant que possible ces lacunes.

Puis, en retournant observer précisément et photographier les œuvres à retenir pour cette étude, le problème du corpus s’est imposé. Il parut absolument impossible de le limiter aux œuvres des églises du XIXe siècle : parmi les rares archives trouvées, beaucoup concernaient les églises de Saint-Bonaventure et de Saint-Nizier ; de même, les églises antérieures au XIXe siècle possèdent quelques chefs-d’œuvre de la période étudiée qu’il aurait été inconcevable d’écarter.

De plus, dès le départ, le choix de prendre en compte la statuaire industrielle s’est imposé, même si sa valeur artistique est, semble-t-il, considérée à juste titre comme nulle aujourd’hui. Cette abondante production est significative d’aspirations d’une époque et j’aurais aussi voulu connaître leur processus d’élaboration. Malheureusement, ce n’est pas dans les archives examinées que des informations ont pu être trouvées ; c’est à peine si par l’intermédiaire de quelques factures et coupures de presse, il a été possible de reconnaître quelques maisons fabriquant et vendant ce genre d’articles. Il faudrait étendre les prospections archivistiques à d’autres secteurs ; je n’ai pu le faire et cette voie reste à explorer. Toutefois, il était impossible d’écarter totalement cette part de production de l’étude : les critiques contemporaines liaient aisément les problèmes soulevés par ces œuvres manufacturées à celle de la sculpture artistique religieuse ; ces deux domaines étaient bien plus imbriqués qu’il serait aujourd’hui commode de présumer, afin d’écarter ces objets dont bien souvent on ne comprend plus le goût et le sens.

Parmi l’ensemble des sculptures religieuses de la seconde moitié du XIXe siècle, il était donc malaisé de réduire le corpus : chaque élément pouvant fournir une information complétant celles, insuffisantes ailleurs, ou apportant une lumière utile pour l’entendement des autres.

Vint le temps d’organiser les informations obtenues et les idées ; de cette manière, les problématiques se sont progressivement liées entre elles et ont trouvé leur place dans l’étude. La rédaction a été commencée par les analyses d’œuvres afin de se familiariser le plus étroitement possible avec elles et de les avoir à l’esprit lors du développement des autres parties.

Malgré la nouveauté du sujet et le peu d’archives trouvé, ceci paraît antinomique, mais il n’a pas été possible de consulter tout ce qui est à disposition. Toutes les publications qui pouvaient nourrir des comparaisons n’ont pu être examinées, ainsi que les ouvrages de l’époque traitant de la sculpture et des idéaux artistiques. Les ressources des archives nationales sont à explorer, de même les archives départementales du Rhône pourraient permettre de trouver la trace des industries de statuaire religieuses dans la ville et dans les environs. Impossible, également, de me pencher autant que je le souhaitais sur les rapports entre la spiritualité, les usages dévotionnels et la sculpture religieuse de cette époque. Devant le grand nombre d’œuvres concernées, je regrette de ne pas avoir traité avec soin l’iconographie qui reste abordée superficiellement et mériterait davantage de comparaisons à travers les époques et avec les autres productions contemporaines – dans la mesure du possible en l’état actuel de la recherche, ou par observation directe. Trois années sont courtes face à un tel sujet. Avec un peu de recul, le fait de limiter davantage le sujet aurait facilité les recherches, mais il n’aurait pas permis de saisir l’ampleur et l’intérêt des problématiques soulevées par la sculpture religieuse du XIXe siècle ; de plus, s’agissant d’un premier travail sur ce thème – à Lyon –, il paraît normal de garder une vue large, comme un défrichage devant permettre à d’autres travaux plus pointus de se développer. Ainsi, en cette fin de thèse, la question de la sculpture religieuse dans la seconde moitié du XIXe siècle me semble un sujet encore plus vaste à explorer qu’il ne me paraissait au départ.

Je remercie tout particulièrement Monsieur François Fossier d’avoir accepté de me suivre, ainsi que Madame Dominique Bertin. Je sais gré à toutes les institutions qui m’ont donné accès à leurs archives et à leurs documentations, plus particulièrement aux archives diocésaines, la bibliothèque et la Documentation du musée des Beaux-Arts de Lyon –Mesdames Dominique Dumas, Laurence Berton, Géraldine Heinis, et Monsieur Gérard Bruyère –, la Fondation Fourvière et Monsieur Boulot, les archives municipales de Lyon et le dévouement de Messieurs André Maire et Michel Catheland. Je remercie vivement toutes les prêtres des paroisses et les bénévoles qui m’ont ouvert leur porte et accordé du temps. Enfin, des remerciements particuliers pour ceux qui m’ont soutenus dans l’achèvement de ce travail ainsi que mes proches.

Notes
1.

Avec en en 2001 la publication des actes du colloqueFélix Duban : les couleurs de l'architecte : 1798-1870 sous la direction de Bruno Foucart.

2.

Sainte-Marie Perrin Louis-Jean, « Peintres et Architectes, Lecture faite à la Société académique d’Architecture de Lyon dans la séance du 7 avril 1892 », Annales de Société Académique d’Architecture de Lyon, tome XI, Lyon, Imprimerie L. Perrin, 1891-1894, p 59.

3.

Il est possible d’ajouter celui moins recherché de Myriam Civier sur Charles Dufraine 1827-1900, inventaire de la sculpture religieuse 1996 ; et dans un domaine voisin, celui de Sabine Massina, Sculptures et ornementations funéraires au XIX ème siècle, Cimetière de Loyasse,en 1995.

4.

Aux limites actuelles du diocèse, qui correspondent à peu prêt à celles du département du Rhône. Au XIXe siècle, le territoire du diocèse de Lyon était immense, il couvrait le Rhône, la Loire et l’Ain (jusqu’en 1823)