Introduction

La sculpture religieuse du XIXe siècle est-elle dépourvue de valeur artistique et d’intérêt dans l’histoire de l’art ? Au début de son étude sur la peinture religieuse de la première moitié du XIXe siècle, Bruno Foucart se posait une question analogue, quant à savoir si cet art, tant attaqué, méritait une étude, s’il n’était pas d’ordre secondaire. Il constate que la peinture religieuse semble hors du temps, c’est-à-dire en dehors des passages du néoclassicisme au romantisme puis au réalisme, éloignée des débats sur la ligne et la couleur, entre Ingres et Delacroix. « Comment le genre qui restreint le plus l’expression personnelle, dont les sujets sont limités et fixés par la tradition, aurait-il pu se développer ? ». Pourtant, sa production fut abondante et elle souleva vivement les débats dans la critique, tout comme la sculpture religieuse de la seconde moitié du même siècle.

Si l’on considère que l’histoire de l’art doit être uniquement celle des avant-gardes, l’omission dans la recherche de la plus grande part de cette statuaire religieuse est justifiée. Entre l’élucubration lyrique – absente à Lyon –, la complaisance d’un pieux sentimentalisme, ou au contraire l’académisme et la rigueur, les tendances de la sculpture religieuse au XIXe siècle sont toujours empreintes d’un certain conformisme, que ce soit dans l’outrance ou dans la froideur. Cette redondance, cette régularité sont le gage que cet art est la parfaite expression de l’esprit d’une époque. Il n’est plus possible de laisser de côté un tel témoignage. Bien sûr, cet art paraît en total décalage avec l’art contemporain. Parce qu’on ne lui perçoit pas de « descendance » directe et explicite, la solution de facilité serait de conclure sur un jugement hâtif que c’est un art obsolète et sans aboutissement. Mais quels fruits le XXe siècle aurait-il pu donner, quel sens aurait son art, sans les tourbillonnantes et longues pérégrinations, sans les recherches et essais du XIXe siècle ? Il ne s’agit pas d’une période ni d’une branche méprisable : aucun courant n’a de valeur solide ni de portée s’il méconnaît son passé, même s’il s’agit de s’y « opposer » ceci ne peut se faire sans lucidité sur ce qui l’a précédé. La sculpture religieuse du XIXe siècle reflète les préoccupations artistiques et spirituelles du moment, ce témoignage est précieux pour comprendre l’époque elle-même et la suite. L’impasse est donc à rectifier, c’est ce que ce travail a pour dessein d’entreprendre.

Par un aperçu dans les églises de Lyon, cette étude a pour but d’attirer l’attention sur ces œuvres, de les faire connaître et d’amorcer des pistes de réflexions à leurs propos. Ceci nécessite de déceler, définir et expliquer les spécificités de la sculpture religieuse de la seconde moitié du XIXe siècle – dans la mesure du possible – dans le champ restreint de l’échantillon choisi.

Pour ce faire, dans un premier temps cette étude tente d’identifier et de mettre en évidence les rapports – étroits – de cet art avec la situation religieuse et artistique ; ce contexte est nécessaire à son appréciation, tout comme cet art est évocateur de l’esprit d’une époque et est une porte d’accès à sa compréhension. La critique contemporaine permet de dégager les objectifs et le foisonnement des difficultés que rencontra cet art, devant gérer et répondre au plus juste entre les différents idéaux religieux, ceux de créativité, tout en veillant autant que possible à respecter l’harmonie architecturale. Par le biais de la critique, les différents objectifs seront identifiés, les échecs et les réussites seront mis en avant, ainsi que les conseils ou aspirations, ce qui permettra de saisir si l’ensemble de ces enjeux était conciliable.

Pas d’art sans artistes. Quel était le métier de sculpteur au XIXe siècle ? Il semble qu’à Lyon les artistes ayant travaillé à la sculpture religieuse soient en nombre limité ; si cela est véridique, quelles en étaient les raisons ? Existait-il vraiment un milieu particulier et homogène, consacré à cette branche, comme on pourrait l’imaginer ? Les meilleures chances pour répondre à cette question sont de chercher les points communs entre ces artistes et d’identifier les personnalités majeures. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’une bonne part de la sculpture religieuse à Lyon, est une statuaire industrielle.

Le double objectif de ces œuvres – elles doivent souvent s’adapter à l’église dans laquelle elles s’insèrent, ayant même parfois un rôle décoratif ; en même temps qu’elles obéissent à leur devoir « fonctionnel » dans la dévotion des fidèles – est une des spécificités pour la compréhension de leur aspect formel. La troisième partie touche à sa corrélation avec les styles des architectures. Pour cela, il est d’abord nécessaire d’observer le mécanisme de la commande et de l’élaboration de ces œuvres, afin de déterminer la part d’influence que peut prendre le commanditaire ou l’architecte, ou simplement le style de l’architecture préexistante, sur le goût et la tournure adoptée par la sculpture. C’est ici l’occasion de discerner s’il existe de véritables courants ou des traits dominants en sculpture religieuse ; quelles sont leurs correspondances avec les autres arts, ou au contraire leurs démarcations ? Si ces « goûts » sont identifiables, quel fut leur succès ou leur déconvenue ?

Enfin, la troisième partie commence par une courte analyse typologique ayant pour but de mettre en évidence les caractéristiques communes par genre d’objet, d’établir des parallèles, ou de dégager l’originalité et la pertinence des solutions apportées à leur fonction et dans leur iconographie. Elle est suivie d’une étude iconologique par thèmes illustrés, afin d’appréhender la nouveauté ou la conformité des réponses apportées, ainsi que leur adaptation aux besoins dévotionnels de cette seconde moitié du XIXe siècle.

(Rappelons que l’ampleur du champ problématique de cette étude a été conservé de manière consciente dans le but de garder une vue la plus ouverte possible sur la variété des intérêts que soulève cette branche de l’art ; mais qu’en conséquences, ces parties sont davantage des pistes de travail à élargir et approfondir, que des réponses achevées aux questions posées.)