1) Situation en France et à Lyon au XIXe siècle

Au XVIIIe siècle, la foi fut affaiblie par les libres-penseurs ; à la Révolution française les pouvoirs écartèrent l’Église de la vie publique et la persécutèrent. Après ces épreuves, le Concordat, signé le 15 juillet 1801 par le premier consul et le pape Pie VII, permit au nouveau pouvoir de se consolider, en échange de quoi l’Église de France put se reconstruire. Cependant, il s’agit d’échange de procédé et non plus d’une entente simple et naturelle, culturelle.

Le XIXe siècle fut une période où l’Église en France connut une vie très mouvementée pendant laquelle ses relations avec l’État continuèrent de se dégrader, après une première crise vécue à la Révolution française. L’histoire de Lyon, par les relations à la fois proches et tendues entre Église, peuple et politique, témoigne de cette situation difficile ; en même temps le dynamisme religieux de cette ville fut particulièrement important dans la seconde moitié du XIXe siècle, à l’image des cardinaux qui se sont succédé.

Le premier d’entre eux, le cardinal Joseph Fesch (archevêque de Lyon de 1802 à 1836) oncle de Napoléon, s’attacha à réorganiser matériellement et spirituellement son diocèse. Il commença à faire restaurer des églises, en construisit d’autres5, encouragea les vocations de prêtres, de religieux, et les croyants à une pratique assidue, s’occupa de l’éducation des enfants et du développement des œuvres caritatives, etc. À la suite du Concordat en 1802, le Conseil municipal de Lyon et Bonaparte confièrent les écoles primaires de garçons aux frères de la Doctrine Chrétienne et les écoles primaires de filles aux sœurs de Saint-Charles. Durant cette période les anciennes congrégations religieuses telles que les jésuites, les ursulines, dominicains, carmes, se réinstallèrent à Lyon. De nouvelles œuvres apparaissent : en 1817, Marcellin Champagnat (Marlhes (Loire) 1789 - 1840 Saint-Chamond) fonda de la Société des Petits Frères de Marie6, dits « Frères Maristes des Écoles » ; en 1822, Pauline Jaricot (Lyon 1799-1862) conçut la Société de la Propagation de la Foi, et Jean-Claude Colin (Saint Bonnet le Troncy 1790 - 1875) l’ordre des Maristes7 ou « Société de Marie », proche de la Société des Petits Frères de Marie mais distincte.

Au plan national, par une loi du 24 mai 1825, les congrégations féminines purent être légalisées à titre individuel par ordonnance royale. Cette reconnaissance leur permit de recueillir dons et legs, sous le contrôle de l’État. Leurs principales missions étaient l’éducation des enfants et le soin des malades (ursulines, sœurs de Saint Charles). Face aux congrégations masculines, l’État se fit moins encourageant. Mais comme pour les religieuses, ces communautés masculines bénéficiaient d’un soutien populaire qui leur apportait argent et immeuble (procure des Missions Étrangères des Pères Capucins).

Cependant, lors de la première Restauration (1814-1815) des courants anticléricaux exprimèrent un rejet de l’alliance du fait religieux et du fait politique8. Ces hostilités provenaient à la fois des populations des zones rurales et d’une certaine partie de la bourgeoisie des villes. Ainsi, la révolte de 1830 à Lyon fut soutenue par des notables s’insurgeant notamment de la place de l’Église dans les domaines intellectuels et sociaux, par exemple des écoles fondées par des congrégations. Les révoltes sociales de novembre 1831 et d’avril 1834 à Lyon, n’étaient toutefois pas contre le clergé. Durant ces années, un certain détachement religieux fut peut-être accentué en raison de la migration d’ouvriers vers cette ville et du nombre insuffisant de prêtres. Après les insurrections de 1831 et 1834, un catholicisme social, plus près des ouvriers, apparut à Lyon ; Félicité de Lamennais (1782-1854), Lacordaire et Montalembert en étaient les initiateurs. C’est à ce moment, en 1833, que Frédéric Ozanam (Milan 1813 – Marseille 1853) fonda avec un groupe d’étudiants et Sœur Rosalie Rendu, fille de la Charité, la Société de Saint-Vincent-de-Paul, composée de laïcs pour s’occuper des pauvres.

Durant l’épiscopat du cardinal de Bonald (1838-1870), la désunion se poursuivit, malgré sa prudence dans le domaine politique. Politiquement, conservateurs et socialistes s’affrontèrent et les élections de la Seconde République en septembre 1848 donnèrent la victoire au parti de l’Ordre. Mais le ralliement du clergé au pouvoir impérial (1852-1870), associé à son caractère autoritaire, ranima le sentiment anticlérical ; davantage encore à la chute de l’Empire et lors de la Commune, moment où un véritable mouvement politique anticlérical naquit. Ainsi à Lyon, l’accusation de concurrence déloyale portée contre les ateliers d’apprentissage, créés pour aider les jeunes ouvriers, reflète ce climat tendu. Une insurrection ouvrière eut lieu à Lyon pendant l’été 1848. La loi Falloux en 1850, donna à l’enseignement catholique une reconnaissance officielle avec le statut d’école libre ; mais à la moitié du siècle, les instituteurs religieux étaient pris à parti pour leurs préférences politiques.

Le Second Empire (1852-1870) fut proche des institutions catholiques. Cela s’exprimait par exemple par des aides accordées aux congrégations. À Lyon, en l’absence d’un Conseil municipal9, le cardinal de Bonald put bénéficier de subventions directes du préfet pour les édifices du culte. De plus, entre 1830 et 1876, la population lyonnaise augmenta considérablement, passant de 150 000 à 342 000 habitants, puis 460 000 à la fin du siècle. Il s’agissait, entre autres, de populations ouvrières ayant migré des campagnes. La rive gauche du Rhône (La Guillotière et les Brotteaux) se développa particulièrement du fait de cette immigration et de l’installation d’industries et d’ateliers. Les faubourgs de Vaise, de la Croix-Rousse et de la Guillotière furent annexés en 1852 à la ville de Lyon. Le cardinal tâcha de fidéliser les nouveaux quartiers très pauvres où s’établissaient ces ouvriers, en créant au total douze nouvelles paroisses, alors qu’il en existait seulement dix-neuf en 1839. Le néogothique était le style principalement utilisé. En témoignent les églises de Sainte-Blandine construite entre 1863 et 1869 par Clair-Tisseur et de la Rédemption entre 1867 et 1877 par Claude-Anthelme Benoît. Pierre Bossan, quant à lui, mit au point un nouveau style10 avec l’église de l’Immaculée-Conception entre 1853 et 1858. Ce fut aussi une période pendant laquelle les architectes s’activèrent à la restauration des anciens édifices de culte comme Saint-Bonaventure, Saint-Martin d’Ainay, Saint-Nizier, Saint-Paul, etc. Cette activité de construction et de réparation témoigne du dynamisme et de l’importance de la vie religieuse.

Dans sa gestion de l’archevêché de Lyon, le cardinal de Bonald (de 1839 à 1870) évita l’engagement politique, mais s’occupa particulièrement de la classe laborieuse, invitant le patronat à créer de nouvelles relations avec sa main-d’œuvre et à respecter le repos dominical. Le cardinal encouragea l’encadrement des écoles publiques par des congréganistes malgré les critiques, et soutint la presse catholique11. Par ailleurs, sous son archiépiscopat, l’Église de Lyon connut un conflit contre l’autorité romaine de l’Église à propos de la romanisation de la liturgie. Le cardinal voulut introduire l’usage du missel romain et de l’orgue, mais les Lyonnais ainsi que les prêtres, attachés à leur propre liturgie résistèrent jusqu’en 1869. Cette réforme ayant eu lieu dans toute l’Église de France, ces tensions sont à l’image de ce que connurent bien des diocèses, comme Paris et Orléans. Toutefois, elle illustre aussi l’affirmation identitaire de la ville qui refuse le centralisme dans tous les domaines : politique, intellectuel, artistique12… et jusque dans les faits religieux.

De plus, la ville était un foyer où la pensée et l’action chrétiennes étaient dynamiques : Diverses tendances chrétiennes, des plus traditionnelles aux plus innovantes s’y rencontrent. C’est ici que Frédéric Ozanam (Milan 1813 – Marseille 1853), partisan d’un catholicisme dynamique et démocrate, se fit remarquer dès ses premières études ; que le Père Antoine Chevrier (Lyon 1826 – 1879) fonda la Société du Prado pour soigner la misère ouvrière sous toutes ses formes, dénonçant les conditions de travail inhumaines et dégradantes ; c’est aussi la ville de l’écrivain socialiste Edgar Quinet (1803-1875).

La chute du Second Empire mit fin à cette accalmie pour les catholiques. À Lyon, la lutte contre l’invasion prussienne prit deux visages qui reflétèrent des tendances opposées : les uns firent appel à Garibaldi, héros de la République italienne et adversaire du Pape, les autres demandèrent la protection de la Vierge, ainsi l’archevêque Mgr Ginoulhiac fit-il le vœu d’élever une basilique à Notre-Dame de Fourvière si la ville était épargnée par cet envahisseur. Les deux partis qui s’opposaient en France se retrouvèrent à Lyon. Notons que les catholiques lyonnais étaient eux-mêmes divisés entre conservateurs, à l’image de Joseph Bard (1803-1861), et partisans d’un catholicisme innovant et actif (démocrate) à l’image de Frédéric Ozanam.

Sous la Commune, les vifs mouvements anticléricaux furent comme une alerte annonçant la désunion de l’État avec l’Église. La Troisième République (dès 1870) donna accès au pouvoir à une bourgeoisie adepte de la libre-pensée13 qui souhaitait voir l’État prendre ses distances avec l’Église. À Lyon les pouvoirs municipaux, rancuniers du ralliement peu motivé des catholiques lyonnais à la Seconde République et de leur adhésion à l’Empire, participèrent pleinement à la politique anticléricale de la Troisième République. Le conflit fut très marqué sous les maires Antoine Gailleton (1881-1900) et Victor Augagneur (1900-1902).

Sous l’Ordre Moral, premier gouvernement de la Troisième République, le cardinal Ginoulhiac (de 1870 à 1875), modéré, réussit à rester proche de l’État. Cinq autres paroisses lyonnaises purent ainsi être fondées. Cette situation se prolongea jusqu’en 1875, date à laquelle la création de paroisse se ralentit nettement. Mais les factions se durcirent ; la classe ouvrière voulut se détacher de l’Église en raison des questions sociales que tentèrent de faire passer les conservateurs du parti de l’Ordre Moral. Par ailleurs, le pouvoir républicain en place à la municipalité de Lyon (années 1870) prit des mesures d’interdiction et de confiscation envers les congrégations, les écoles furent laïcisées.

En 1877, l’échec des conservateurs, proches de l’Église, incita la Troisième République à prendre ses distances avec cette dernière. Les aides que l’État apportait à l’Église se firent rares et peu de temps après, les radicaux entreprirent les premières mesures anticléricales. La République installée, une période de désunion avec l’Église débuta. Les dirigeants catholiques avaient exprimé leur attachement à la cause monarchique ; en réponse contre l’Église, les pouvoirs nationaux et locaux organisèrent la sécularisation des activités de la population.

En politique, Jules Ferry (ministre de l’Instruction publique de 1879 à 1883 et président du Conseil de 1880 à 1883) prit les premières mesures contre l’Église, visant à séculariser la société. Par exemple, en 1879, chaque département eut l’obligation de créer une école normale d'instituteurs, les processions furent interdites dans la plupart des villes et beaucoup de campagnes. La loi Camille Sée du 21 décembre 1880 établit des collèges et lycées laïcs réservés aux jeunes filles afin de désavouer l'instruction offerte jusqu’alors uniquement par l’Église. L’enseignement primaire gratuit fut instauré en 1881, il devint obligatoire et laïc en 1882. Malgré cela, les religieux enseignants, grâce à des souscriptions catholiques, ouvrirent de nouvelles écoles libres et le nombre d’élèves de l’enseignement catholique demeura plus important que celui de l’enseignement public. En 1880, par un décret du 25 mars, les congrégations religieuses durent demander des autorisations sous peine de dissolution, celles qui avaient encore l’espoir d’être tolérées eurent trois mois pour ce faire. 261 couvents furent investis par la force publique et fermés, 5643 religieux furent expulsés. Le 12 juillet 1880 le repos dominical fut supprimé (rétabli sous la pression conjointe des catholiques et des socialistes), les cimetières, les tribunaux furent laïcisés. La laïcisation du personnel des hospices prit plus de temps, les sœurs restant difficiles à remplacer. Le 30 juillet 1881 le délit d’outrage à la religion dans la presse était annulé. Le 14 août 1884, les prières publiques furent interdites. Enfin, en 1886, tous les religieux furent interdits d'enseignement dans le public. Ces lois promulguées attaquaient clairement l’implication de l’Église dans la vie des Français. À Lyon, cette politique nationale trouvait un écho sur le plan municipal ; par exemple en 1879, les processions furent interdites. Dans ce contexte difficile, Mgr Caverot (1876-1887) demeura ferme pour soutenir son Église : il encouragea les vocations, s’occupa de la formation des séminaristes, dénonça les lois visant les congrégations et l’enseignement donné par les religieux.

Pour l’Église de France, la situation continuait à se détériorer, malgré le fait qu’en 1891, l’Église mit officiellement en place une idéologie de politique sociale. Le pape Léon XIII publiait le 15 mai 1891 l’encyclique « Rerum novarum ». Il n’était plus seulement question que le pauvre fasse « son salut par la patience et le riche par la libéralité » (encyclique de 1882 par Léon XIII), le patron devait soutenir fermement l’ouvrier par son salaire afin qu’il puisse vivre décemment ; de plus l’Église dénonçait les excès du capitalisme, défendait les droits des travailleurs et incitait l’État à intervenir en leur faveur. Aussi, le cardinal Foulon (1887-1895) adopta-t-il une attitude conciliatrice et évita les heurts politiques, grâce à laquelle il réussit discrètement à obtenir le retour de certaines congrégations.

Mais, entre 1898 et 1905, la politique anticléricale se poursuivit sous Waldeck-Rousseau (ministre de l’Intérieur de 1881 à 1885) et Combes (président du Conseil de 1902 à 1905). C’est ainsi qu’une loi sur les associations fut votée le 7 juillet 1901. Elle accordait la liberté d’association civile, mais interdisait les congrégations religieuses. En 1902, seules cinq congrégations contemplatives étaient autorisées, trois mille écoles religieuses furent fermées. Cette période de législation en défaveur de l’Église n’empêcha pas, malgré tout, l’éclosion d’unions et d’associations catholiques, fédérées au niveau diocésain, aspirant à maintenir une certaine place de la religion dans la vie des catholiques français.

La loi de séparation de l’Église et de l’État, votée le 9 décembre 1905, acheva la mise à l’écart de l’enseignement par les religieux. De plus, les catholiques français, sous la pression de Rome, refusèrent le plus souvent de se constituer en associations cultuelles, les bâtiments religieux furent donc laïcisés, d’où des séquestrations de biens ecclésiastiques à Lyon en 1906. Mgr Coullié (1893-1912) prit le parti de ne pas s’insurger contre ces mesures et de s’occuper discrètement de maintenir l’Église de Lyon.

Les œuvres de charité demeurèrent vigoureuses jusqu’à la première Guerre Mondiale. Les anticléricaux en prirent ombrage et fondèrent, à leur tour, des œuvres laïques. Cependant, la guerre provoqua une cohésion nationale où se retrouvèrent sur fond de nationalisme, pour un temps, l’État et l’Église. L’entre-deux-guerres fut marqué par une reconquête religieuse et en 1924, les catholiques purent enfin retrouver un statut juridique en se constituant en associations diocésaines14.

On remarque que les années de l’épiscopat de Mgr de Bonald de 1839 à 1870 furent relativement « fastes » pour l’Église à Lyon, bien que ce fût une période de récession pour l’Église de France. Cette récession n’eut vraisemblablement aucune conséquence sur l’abondance des commandes de sculptures religieuses, même si leur style parut pâtir indirectement de ces difficultés.

Notes
5.

La construction d’une église, à partir de l’an X et jusqu’en 1905, fait appel à de multiples compétences. Ces constructions, fruit d’une demande populaire ou d’un curé, sont décidées par l’évêque. Ce dernier fait alors une proposition au préfet. Un dossier est constitué, comprenant l’avis du Conseil Municipal. Le tout est envoyé au ministère du Culte et des Finances qui délivre ou non son accord. Les difficultés matérielles, financement, terrain, sont bien souvent les soucis du prêtre. Il obtient des notables le soutien matériel nécessaire à l’édification.

6.

dont la vocation était de promouvoir l'enseignement primaire dans les campagnes.

7.

Aux multiples apostolats : retraites, éducation des enfants avec la création de collèges secondaires, missions dans les paroisses les plus pauvres et jusqu’aux pays les plus lointains (notamment en Océanie).

8.

Dieu est exclu de la vie publique et relégué à quelque chose de privé et personnel : La religion est considérée comme une superstition ; car l’existence même de Dieu est mise en doute, de même la philosophie ne pense plus atteindre la vérité. C’est le début du relativisme, du scepticisme, du subjectivisme.

9.

Sous le Second Empire, l’administration de la ville fut confiée uniquement à un préfet : Claude-Marius Vaïsse.

10.

Dont la particularité a été mise en avant par Philippe Dufieux.

11.

Le Courrier de Lyon (1831), La Gazette de Lyon (1845), Le Salut public, L’ É cho de Fourvière, La Semaine religieuse du diocèse de Lyon (1863).

12.

voir la partie « Identification des objectifs », p. 30, et « Des « traits dominants » dans la sculpture religieuse lyonnaise ? », pp. 118-122.

13.

Relativisme, scientisme, scepticisme.

14.

Historique basé sur : BAYARD Françoise, CAYER Pierre, Histoire de Lyon du XVI e siècle à nos jours, Le Coteau, Éditions Horvath, 1990, 479 p.; CADIEU-DUMONT Céline (illustrations par Noëlle Chiron), Architecture du sacré : les lieux de culte à Lyon au XIX e siècle, livret de l’exposition, Lyon, Archives Municipales de Lyon, 1996, 63 p.