2) Situation artistique

L’art du XIXe siècle semble une quête de nouveauté et d’émancipation. De la Renaissance jusqu’au Néoclassicisme, les Beaux-arts s’inspirent de l’Antiquité, sans cesse de manière renouvelée ; jusqu’à la lassitude ? Au XIXe siècle, les artistes cherchent d’autres modèles dans le passé, ces époques sont érigées en parangon en fonction des idéaux ; ainsi apparaissent les goûts néogothiques, néo-romans, éclectiques, etc. Oser s’inspirer d’autres périodes du passé que l’Antiquité classique était une nouveauté qui devint rapidement aussi insatisfaisante que dans les siècles précédents : le processus était le même. Aucune multiplication des références, aucune synthèse ne semble parvenir à bout de cette soif intarissable de nouveauté. Cependant c’est en parcourant ces pistes que l’art arriva à s’émanciper, découvrant de nouvelles voies de créations et trouvant le moyen d’aller au-delà de l’emprunt.

L’apothéose du Néoclassicisme est incarnée par le peintre Jacques-Louis David (Paris 1748 – Bruxelles 1825). Ennuyés ou ne trouvant plus cet art adapté à l’esprit de leur temps, des peintres cherchent à introduire une touche de lyrisme dans cette rigueur classique : Anne-Antoine Girodet, puis Eugène Delacroix créent dans un goût qualifié de Romantique. Ces artistes ouvrent grand les portes à de nouvelles influences picturales – procédés et compositions – dans les Beaux-arts.

En 1802, Chateaubriand avait fait l’éloge de l’architecture gothique dans le Génie du Christianisme. Il expliquait poétiquement sa capacité de suggérer le divin et son adaptation au culte chrétien, et ouvrait ainsi la voie à l’architecture religieuse néogothique française. Il lui donnait un caractère national en établissant un parallèle entre ses formes et l’atmosphère des paysages « des Gaules ». La peinture n’était pas en reste ; au contraire, dès le début de leur carrière, Fleury Richard (Fleury François Richard, dit, 1777-1852) et Pierre Révoil (Lyon 1776 – Paris 1842) peignaient des sujets médiévaux à vague connotation religieuse nostalgique, mais toujours avec une facture néoclassique.

Si peinture et architecture se talonnèrent tout au long du siècle dans cette soif de nouveauté, qu’en est-il en sculpture ? Les noms de ses représentants Jean-Marie Bonnassieux (1810-192), Charles Marochetti (1805-1867), Jules-Pierre Cavelier (1814-1894), Antoine Etex (1808-1888), Augustin Dumont (1801-1884) sont méconnus du grands public ; à l’exception de quelques figures marquantes tels que le néoclassique James Pradier (1790-1852), les romantiques François Rude (1784-1855) et Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) peut-être Pierre-Jean David d’Angers (1788-1856), Antoine Bayre (1796-1875), Auguste Préault (1809-1879). Les sculpteurs de la période éclectique sont presque oubliés : Jean-Baptiste Clésinger (1814-1883), Pierre-Charles Simart (1806-1857), Hippolyte Maindron (1801-1884), Marcello (Adèle d’Affry dite, 1836-1879), Victor Geoffroy-Dechaume (1816-1892), Charles Cordier (1827-1905), Auguste-Nicolas Cain (1822-1894), Albert Carrier-Belleuse (1824-1887), Jean-Paul Aubé (1837-11916), Louis Ernest Barrias (1845-1905), Alexandre Falguière (1831-1900), etc. Le sculpteur animalier Emmanuel Frémiet (1824-1910) et le sculpteur de monuments Auguste Bartholdi restent peut-être plus dans les mémoires à cause de leur spécialisation. La sculpture au XIXe siècle était un art qui vivait avant tout de commandes publiques dont le goût dominant est l’Académisme, style « officiel » ; ou de petites commandes des classes aisées, dans lesquelles se manifestent les mêmes goûts, pour marquer leur appartenance. Entre monuments publics et petits plaisirs des milieux fortunés, la sculpture du XIXe siècle n’a guère de marge pour s’essayer à l’originalité.

À Lyon, où la vie religieuse est dynamique, à l’exemple de la multiplication des congrégations, des érections de nouvelles paroisses, de l’éclosion de mouvements chrétiens, les arts religieux sont aussi d’une grande vigueur. Ainsi, les artistes partageant les mêmes convictions religieuses se regroupent pour œuvrer à un renouveau. Ce mouvement pour un renouveau de l’art catholique est commun à travers l’Europe sous différents aspects ; il débuta dans la peinture religieuse dès 1800 ; ce sont les nazaréens en Allemagne, quelques préraphaélites15 en Grande-Bretagne. Ces peintres sont souvent caractérisés par leur idéal chrétien de vie proche de la sainteté, et par leur tendance à l’historicisme inspirée par le modèle d’artiste chrétien tel fra Angelico (vers 1395 Florence – 1455 Rome). Les peintres Pierre Révoil (Lyon, 1776 – Paris, 1842) et Victor Orsel (Oullins, 1795 – Paris, 1850) sont les fondateurs de l’École mystique de Lyon. Le Bien et le Mal de Victor Orsel présenté au Salon en 1833 « peut être considéré comme un véritable manifeste esthétique et moral »16. L’influence du Quattrocento qui se fait sentir dans ce tableau, le lie à d’autres courants contemporains admirateurs de cet art, comme le préraphaélisme et plus particulièrement les nazaréens, dont les artistes étaient aussi de fervents chrétiens. Ces initiateurs furent suivis par les fortes personnalités du peintre Louis Janmot (Lyon, 1814 – Lyon, 1892), de l’architecte Pierre Bossan (Lyon, 1814 – La Ciotat, 1888), puis du maître-verrier Lucien Bégule (Saint-Genis-Laval, 1848 – Lyon, 1935) ; ajoutons encore à titre d'échantillons les peintres Dominique Meynis (1800-1887), Paul Borel (1828-1913), Étienne Couvert (1856-1933), Tony Tollet (1857-1935), les architectes Sainte-Marie Perrin (1835-1917), Charles Franchet (1838-1902), le maître-orfèvre Thomas-Joseph Armand-Calliat (Abrets, 1822 – Lyon, 1901) ; et dans le domaine de la sculpture, Joseph-Hugues Fabisch (Aix-en-Provence, 1812 – Lyon, 1886), Charles Dufraine (Saint-Germain-du-Plain, 1827 – Lyon, 1900) et Paul-Émile Millefaut (La-Roche-de-Glun, 1848 –Lyon, 1907). Ce courant pictural mystique lyonnais s’épanouit autour des années 1840 en une école formée de ce groupe d’artistes chrétiens convaincus (mentionnés ci-dessus). Martine Villelongue précise :

‘« Le chef de file de ces artistes est Pierre Bossan (1814-1888), aux côtés de qui tous travaillent ou collaborent et dont la spiritualité marque chacun. C’est de lui que tous tiennent leur respect pour l’art ancien allié à une volonté de renouvellement du décor ; c’est de son enseignement que tous tirent leur goût pour une exécution parfaite. Ils mettent leur art au service de la religion qu’ils défendent. Ils ont une communauté de choix esthétiques et de conduite de vie que Lucien Bégule définit en « ce goût de la méditation (…) cette humeur casanière, pudiquement défiante d’une réclame éhontée, qui caractérise si manifestement le Lyonnais et dont n’ont jamais pu se dépouiller les plus remarquables de nos artistes contemporains, tels Bossan, Janmot, Dufraisne, Ravier, Paul Borel » (L. Bégule, « Thomas-Joseph Armand-Calliat », discours de réception à l’Académie, 1903, p. 19). Chacun détient l’excellente maîtrise d’une technique qui lui est propre et l’édifice religieux est l’imbrication de leurs œuvres soumises à une même spiritualité qui en fait l’unité architecturale et décorative. » 17

Nombre de ces artistes passèrent dans la classe de philosophie de l’abbé Noirot (mort en 1880). Aumônier au Collège Royal puis titulaire d’une classe de philosophie à partir de 1827, l’abbé Noirot fut une des figures de la spiritualité lyonnaise qui influença fortement la foi chrétienne et le jugement critique de ses élèves, en particulier la seconde génération de ce courant mystique lyonnais :

‘« On a jamais bien su, a dit quelque part M Aynard, en quoi consistait la philosophie de l’abbé Noirot : elle s’alliait à l’économie politique, à la poésie, à la connaissance et à l’examen des mouvements sociaux : elle procédait par cette interrogation incessante, qui forçait l’élève à se découvrir à lui-même son esprit, et qui en un mot ne s’appliquait qu’à former les hommes aptes à se connaître et à connaître la vie de leur époque. » 18

Cette formation intellectuelle commune qui marqua ces artistes, permet de saisir pleinement qu’il ne s’agit pas seulement d’un courant esthétique, mais d’une École d’artiste avec le même idéal intellectuel et tendant au même but, en conscience de cette spécificité et de leur mission.

Notes
15.

ils sont cependant plus « mystiques » que chrétiens.

16.

Musée des Beaux-arts de Lyon, Guide des collections, Lyon / Paris, Musée des Beaux-arts de Lyon / Réunion des musées nationaux, 1995, p 198 (notice de Dominique Brachlianoff).

17.

VILLELONGUE Martine, Lucien Bégule (1848-1935) Maître verrier, Université Lyon 2, thèse d’histoire de l’art, 1983, p 113.

18.

Notice nécrologique écrite par Édouard BISSUEL, « Sainte Marie Perrin architecte 1835-1917 », Annales de la Société Académique d’Architecture de Lyon, A. Rey, 1918, page 312.