Les sculpteurs ayant travaillé plus spécialement à cet art sont-ils tous croyants ?
J.-H. Fabisch est certainement le sculpteur du XIXe siècle ayant eut la production religieuse la plus prolifique (voir liste en annexe). Sa foi est confirmée par sa décoration comme chevalier de l’ordre de Saint-Grégoire le Grand86, mais aussi par la critique. L’abbé Roux, dans son article sur le groupe de Jésus chez Marthe et Marie de Fabisch estimait : « comme art religieux, c’est plein de pensée et admirable d’expression, et il fallait la foi de M. Fabisch pour mener à bien une œuvre qui eût embarrassé peut-être plus d’un artiste à la mode. »87 Pour lui, il apparaît nettement que la foi est nécessaire à un sculpteur de sujets religieux pour produire une bonne œuvre d’art dans ce domaine. Dans le même esprit, Lecoy de la Marche affirmait dans son histoire de la peinture religieuse : « Il y a entre nos meilleurs peintres contemporains et les maîtres des vieux âges un abîme qu’aucun effort ne semble pouvoir combler. Ceux-ci avaient la foi, ceux-là n’ont trop souvent que la science ». Il précisait que « ni l’étude la plus patiente, ni le don d’assimilation, ni le savoir archéologique » ne peuvent remplacer la première88.
Bonnassieux était de même dévoué à la cause de l’art chrétien. Son talent tout particulièrement approprié (voir pp. 66-67), sa sincère conviction religieuse, puis les relations qu’il ébaucha à Rome (voir pp. 73, 83-86) avec les milieux ecclésiastiques, lui permirent de se spécialiser et de réussir dans la sculpture religieuse. Ainsi, son œuvre comporte presque89 uniquement des sujets religieux. Citons entre autre la Résurrection, bas-relief en pierre pour la chapelle royale de Dreux (1846), Sainte Catherine, statue en pierre (1854) à la Tour Saint-Jacques-la-Boucherie à Paris, la Multiplication des pains, bas-relief à Bagnères-de-Bigorre (1856), Saint Augustin, sainte Monique, saint Ambroise, haut-relief à église Saint-Augustin à Paris (1865), Sainte Claire, statue en bois à l’église des Missions étrangères à Paris (1879), Mgr de La Bouillerie, monument de marbre à la cathédrale de Bordeaux (1885). Ayant exécuté un nombre important d'effigies de la Vierge, Bonnassieux fit paraître en 1879 un album de Douze statues de la Vierge 90 avec des gravures d'Audibran et Dubouchet.
La presse atteste de ses convictions :
‘« M. Bonnassieux fut avant tout, une âme de croyant, et il sut, jusqu’à la mort, garder la foi de ses premières années. […] c’est bien vers les idées chrétiennes que M. Bonnassieux se laisse entraîner. Elles sont ses grandes inspiratrices. Sa foi d’artiste et sa foi de croyant rencontrent en elles le double idéal qu’il chérit. […] Un talent si varié aurait pu réussir, sans doute, dans tous les genres, et dans tous les temps ; à son époque, il mérita constamment la faveur du public, mais il ne la chercha jamais : de 1849 à 1892 il n’exposa qu’une fois au Salon. Pourtant, les commandes affluèrent toujours à son atelier. »91 ’Un épisode de la carrière de ce sculpteur, relaté par L’Express, est autrement révélateur de son engagement. Il témoigne de ce dévouement pour la sculpture religieuse et de la sincère reconnaissance des commanditaires chrétiens pour la profondeur de leur attachement à la foi :
‘« Après avoir exécuté pour le nouveau Louvre une statue de la Prière, Bonnassieux reçut du ministère d’État la commande d’une statue de Voltaire pour la décoration du même édifice. Mais catholique convaincu, il refusa de reproduire les traits du philosophe de Ferney92 ; le ministère ne lui garda par rancune de ce refus et lui confia l’exécution d’une statue de Fénelon. L’affaire eut d’ailleurs un certain retentissement et valut à Bonnassieux de nombreuses sympathies. »93 ’Dans ces années 1880-1890 marquées par l’anticléricalisme (voir pp. 19-25), la pression endurée par les catholiques explique leur vif besoin d’attacher de la considération aux porte-étendards de leur foi. L’architecte Sainte-Marie Perrin – lui-même engagé – traduit ce climat dans ses notes personnelles, amer de voir les moins fidèles se laisser aller à l’ambiance en désavouant leur foi ; il exprime aussi la soif de rencontrer la foi vive et profonde des autres : « J’ai vu Flandrin s’agenouiller à Saint-Germain-des-Prés. Combien y en a-t-il aujourd’hui qui s’agenouillent dans l’église qu’ils décorent »94. Alors, c’est un beau compliment que fit J.-M Villefranche pour Cabuchet lorsqu’il écrit à propos de sa formation dans l’atelier de Flandrin : « Ce dernier surtout, qui s’inspirait comme lui d’une foi vive et simple, eut sur la direction de son talent et sur sa méthode la plus heureuse influence, tellement qu’on a appelé Cabuchet le Flandrin de la sculpture. »95
Citons aussi l’article rédigé par L. Vismara dans le Salut Public à la mort de Cony, véritable panégyrique, très significatif de l’idéal que possédait le milieu artistique chrétien de l’époque :
‘« Toutes ces œuvres, marquées au sceau d’un talent supérieur, d’un style toujours pur et correct, sont empreintes d’un sentiment profondément chrétien : c’était un œil éclairé des lumières d’une foi vive qui guidait cette main d’artiste, c’était un cœur entrevoyant dans son exquise noblesse au-delà du fini un idéal plus parfait qui inspirait ce ciseau délicat et sûr ! M. J.-B. Cony fut vraiment le type de l’artiste chrétien, allant chercher dans les seuls enseignements de la religion toutes ses inspirations et ce divin idéal que son âme avait si bien compris !... […] Après avoir parlé de l’artiste, que dire maintenant de l’homme ? Chrétien convaincu avant tout, M. J.-B. Cony avait puisé dans les doctrines d’une religion sincère, non seulement les saines inspirations d’un beau talent, mais encore et surtout toutes les vertus de l’homme de bien. »96 ’À cause de cette nette préférence pour les artistes ayant la foi, considérés comme plus compétents pour exprimer le sentiment religieux, certains sculpteurs ont sans doute été évincés. Cependant, dans ce contexte d’affrontement entre les partisans d’une laïcité extrême et les chrétiens défendant la place et les valeurs de l’Église, certains sculpteurs travaillant beaucoup aux chantiers de l’État97 ont peut-être été écartés volontairement, par engagement idéologique. Jean Mathelin qui s’intéressa à quelques sujets religieux98, ne travailla plus dans ce domaine après la réalisation d’un buste de Jules Favre 99, défenseur de la République et de la laïcité ; dans un contexte tendu, cette œuvre fut peut-être considérée comme une infidélité ou laissa des doutes sur ses opinions. Toutefois, ces raisons n’expliquent pas que certains soient restés à l’écart de ces commandes. Par exemple, il serait facile d’imaginer qu’Isaac Jarnieux aurait été exclu par discrimination religieuse, néanmoins son intérêt pour les sujets chrétiens100 et sa nécrologie dans l’Écho de Fourvière le 4 juillet 1891, montre que cela n’avait pas lieu d’être. De même, l’absence d’œuvres de Léopold-Marie-Philippe de Ruolz-Montchal dans les églises de Lyon demeure mal expliquée (voir p. 70). Il semblerait que son style classique aurait pu s’adapter aux églises, vu la position de la critique à propos du bas-relief Jésus-Christ présentant à l’Église les Sept Sacrements : « Ce que nous devons louer sans réserve dans ce morceau d’art, c’est le caractère parfaitement religieux de toutes les têtes et l’habilité avec laquelle l’expression, la pose de chaque figure ont été adaptées à la nature du sujet »101 ou encore ce commentaire « C’est une belle et grande composition que ce groupe représentant la Sainte-Trinité ; elle a bien le calme, la noblesse et le grandiose qui convenait au sujet. – Le Christ-Sauveur est une figure arrangée dans le style byzantin, d’un caractère simple et religieux, dont les draperies sont traitées avec habilité »102. Le sculpteur avait-il trop de caractère pour s’accorder aux exigences des commandes ? N’avait-il pas vraiment de goût pour ce domaine ? Le cas d’André-César Vermare (voir pp. 89-90) peut paraître étrange. Ce talentueux sculpteur, prix de Rome, était le fils de Pierre Vermare propriétaire d’un atelier spécialisé dans la décoration d’églises et collaborera avec son père pour des modèles de sculpture. Hormis le marbre du Curé d’Ars à la primatiale, il ne réalisa pas d’oeuvres d’art originales dans les églises de Lyon mais en produisit dans d’autres églises103. Ni son goût, ni ses conviction, ne le portaient peut-être à travailler dans ce domaine, à moins que son style ne convint pas aux commanditaires lyonnais.
Ainsi, les principaux sculpteurs ayant œuvré dans les églises de Lyon étaient des chrétiens. Il semblerait donc que les Lyonnais étaient d’accord avec les propos de C.-F. Chévé dans son Dictionnaire des bienfaits et beautés du christianisme en 1867 :
‘« J’ose bien dire que la condition sine qua non de cet art est la foi et une foi vive… Aussi voyons-nous de nos jours que les seuls artistes qui obtiennent quelques succès, comme peintres chrétiens, sont ceux qui commencent comme commençait le bienheureux frère Angelico de Fiesole, en faisant le signe de croix et en demandant des inspirations d’en haut »’Il est vrai qu’une pleine adhésion à la foi devait permettre à ces artistes de rendre les sujets religieux avec une compréhension pénétrante et plus d’authenticité. Mais, la distinction entre des artistes pratiquants la religion sans adhésion complète et ceux vivant de la grâce est pour la plupart du temps impossible. Pourtant, c’est uniquement une vraie intelligence de la foi qui pouvait être à l’origine de la subtile différence des résultats. Mais la restriction des commandes à des artistes croyants comportait le risque – que notait déjà Bruno Foucart à propos de la peinture religieuse de la première moitié du XIXe siècle (p. 44) – de négliger le talent artistique aussi nécessaire, apportant qualité technique et originalité.
Fondé le 1er septembre 1831 par le pape Grégoire XVI, ses sont décorations accordées par le Saint-Siège.
Abbé J. ROUX, Revue du Lyonnais, « Jésus chez Marthe et Marie, groupe en marbre par M. Fabisch, placé dans l’église de l’Hôtel Dieu de Lyon », t. I, 3e livre, 30 septembre 1850.
Bruno Foucart, Le Renouveau de la peinture religieuse en France (1800-1860), Paris, Arthéna, 1987, p. 2.
Il exposa peu au Salon et obtint toutefois des commandes officielles : une statue de Jeanne Hachette pour le jardin du Luxembourg (1844-1848). Sous le Second Empire, il travailla en particulier au décor du Louvre et à la Bourse de commerce de Lyon.
Jean Bonnassieux, Douze statues de la Vierge par J. Bonnassieux,... gravées par MM. Dubouchet et Cuivibran, Paris, Firmin-Didot, 1879.
D.-F., Salut Public, « Bonnassieux », jeudi 12 novembre 1896.
Voltaire étant contre les religions et anticlérical, prenant la foi chrétienne pour une superstition et une oppression.
Express, « Le statuaire Bonnassieux », 5 juin 1892.
Archives personnelles de René Sainte-Marie Perrin, Carnet de citations relevées par Louis-Jean Sainte-Marie Perrin, p 178.
J.-M. Villefranche, « Nécrologie, Émilien Cabuchet », Journal de l’Ain, mercredi 26 février 1902.
L. Vismara, « Nécrologie – J.-B. Cony, statuaire lyonnais », Salut Public, 10 juin 1873.
À Lyon, en particulier aux travaux de la Préfecture.
Saint Louis, statue plâtre, Salon Lyon, 1872. Résurrection du Christ, statue, Salon Lyon, 1875. Saint Jean, buste plâtre, Salon Lyon, 1880. Jeanne d'Arc, bas-relief, Salon Lyon, 1899. Jeanne d'Arc, buste, Salon Lyon, 1900. Bas-reliefs pour les portes de l'église de L'Horme (Loire).
marbre, 1887, h.85 x l.62 x pr.40, Lyon, musée des Beaux-arts, Inv. B 416.
Mort de Savonarole, médaillon plâtre?, Salon Lyon, 1854-55. Immaculée-Conception, statuette plâtre, pour la pierre, Salon Lyon, 1857. Saint Laurent, statuette plâtre, Salon Lyon, 1858. Vierge, buste albâtre, Salon Lyon, 1858-1859. Vierge, buste bronze, Salon Lyon, 1883. Vierge immaculée, statue de marbre, Salon Lyon, 1890.
A. J., Le Courrier de Lyon, 18 février 1840, « Exposition Lyon »
« M. Léopold de Ruolz. Le Christ Sauveur. – Deux Bustes en marbre. – Seize pochades en terre », L’Art à Lyon, revue critique de la 1ère exp SADA, 1836, pp. 89-96.
Saint Curé d'Ars, 1905, plâtre, Vatican ; autre tirage : église Saint-Denis, à Sainte-Adresse (Haute-Normandie). Saint Curé d'Ars, plâtre moulé, H. 120 cm, église de Chanac (Languedoc-Roussillon), acheté au marchand Barbarin. Saint Curé d'Ars, plâtre patiné, H. 157 cm, église de Charnay (Rhône), acheté au marchand Barbarin. Saint Curé d'Ars, plâtre, H. 108 cm, église paroissiale de Châtillon-d'Azergues (Rhône). Sainte Jeanne d'Arc, église Saint-Louis des Français, à Rome. Curé d'Ars, primatiale Saint-Jean, à Lyon. Jeanne d'Arc, Orléans. Sainte Marie-Marguerite Alacoque, Paray-le-Monial. Chemin de Croix, Longwy-Haut. Chemin de Croix, Saint-Céry de Cambrai. Chaire à prêcher et fonts baptismaux, à Séclin. Piéta, bas-relief, marbre, à Bandonvilliers. Saint Martin, à Bandonvilliers.