i) Jean-Baptiste Larrivé (Lyon 1875 – 1928)

Jean-Baptiste Larrivé décora plusieurs œuvres de son camarade à la villa Médicis, Tony Garnier, dont le Monument aux morts du Parc de la Tête d'Or. Aussi, ne put-il achever ses travaux pour Fourvière où il souffrit des critiques incessantes de la part de la commission. Cependant les deux anges de la Tour de la Force, "dénués des étrangetés" du Samson déchirant le lion (cat. 159), furent bien accueillis. Il dut modifier deux fois son projet pour la chaire, dessinée par Antoine Sainte-Marie Perrin et mourut sans avoir pu la réaliser. Il exposa en 1925 au Salon du Sud-Est, participa à l'exposition internationale des arts déco à Paris (25), et à l'exposition d'art contemporain à la chapelle Ampère en 1937.

René Jullian, dans un commentaire sec, estime à propos de son style :

‘« La sculpture et surtout la peinture ont connu à Lyon, depuis cinquante ans, une activité abondante. Le sculpteur le plus marquant du début du siècle a été Jean Larrivé, qui fit des hauts-reliefs pour la façade de la basilique de Fourvière et sculpta le groupe principal du Monument aux morts ; ces œuvres imposantes, aux formes parfois un peu molles, ne manquent pas d'une certaine grandeur dramatique. »’

Le Progrès commenta une première fois et précisa dans un second article :

‘« Larrivé avait le génie de la vie frémissante, harmonieuse, de l’équilibre splendide. Il avait aussi bien, dans l’existence quotidienne que dans la pratique exquise de son art, le sens du rythme, de la mesure. »178 ’ ‘« Descendant fidèle des grands carriers de Montalieu, il adorait la belle matière pour sa couleur, le grain, la valeur en plein jour. Il excellait à pétrir l’argile, à modeler l’esquisse à doigts attentifs, subtils ; mais il aimait mieux encore s’attaquer à la pierre dure, faire jaillir du bloc, à patients coups de ciseau, les étincelles de la vie. Il avait conquis de haute lutte le prix de Rome avec son Saint Jean prêchant dans le désert, mais il revenait, comme d’instinct, à l’équilibre heureux, à l’euphorie radieuse des marbres antiques […]. Il créa ainsi une belle famille d’œuvres, où l’inspiration religieuse elle-même s’avivait au plus pur et splendide canon de la statuaire grecque. […] Larrivé n’en gardait pas moins le sens frémissant de la vie actuelle. »179

Son goût pour la pierre, sa stylisation particulière d’inspiration de la fin de la période archaïque sont indéniables, rappelant par exemple la simplicité et la vigueur de l’Archer du fronton du temple d’Egine, conservé à Munich. Cependant, cette vie « frémissante » dans ses sculptures est une appréciation beaucoup plus subjective. C’est un paradoxe de son art : la stylisation est forte, les formes souvent puissantes, avec quelque chose de schématique ; cependant, derrière cela, une certaine « vie » se perçoit, tout à fait à la manière dont parlait Sainte-Marie Perrin :

‘« Le sculpteur doit donner au type qu’il représente un caractère de durée, d’immortalité, de sérénité qui exclut tous les détails inutiles. La statue est aperçue de loin […]. Il faut qu’elle frappe l’esprit autant que les sens. […] Il ne faut pas qu’elle soit l’anatomie du médecin et du physiologiste. L’expression générale serait diminuée par une trop grande profusion de détails […]. Il faut que l’on sente la vie en puissance plutôt que la vie réelle ; la beauté n’est plus chaste quand on commence l’analyse. Il suffit qu’elle tienne l’âme dans une contemplation religieuse, qu’elle l’appelle comme un rêve, qu’elle l’éclaire de son rayon surnaturel. »180. ’

L’art de Larrivé s’applique si parfaitement aux propos de Sainte-Marie Perrin qu’on pourrait le croire son élève. L’architecte et le sculpteur ont simplement collaboré ; notons cependant que le fils de L.-J. Sainte-Marie Perrin, Antoine (Lyon 1871 – Lyon 1826), fut un ami très proche de Larrivé. Leurs idéaux devaient donc être identiques.

La sculpture de Larrivé illustre à merveille le passage entre le XIXe siècle et le XXe siècle. À propos de la maquette de la chaire de la basilique de Fourvière, Luc Roville mettait en avant le renouveau qu’apportait cet artiste dans la sculpture religieuse (voir citation pp. 50-51). Pour le critique, après la prise de conscience des limites de la sculpture religieuse du XIXe siècle, trop rigoureuse, finalement conformiste et vaine, l’art de Larrivé était la réaction positive. Le sculpteur était parvenu à trouver des solutions en respectant la matière, en travaillant en accord avec ses propriétés, en revisitant les compositions pour leur rendre souplesse et vie, et veillant toujours à l’esprit spécifique des lieux181.

La sculpture de Larrivé sort de la tendance étriquée dans laquelle était tombée la sculpture religieuse lyonnaise du XIXe siècle, qui frôlait toujours le stéréotype et la froideur par crainte de tomber dans le mauvais goût et de l’irrévérence : à un siècle où la foi est inquiète, où la spiritualité est devenue scrupuleuse et formaliste, leur correspondait une sculpture stricte et engourdie. Le style de Larrivé coïncide avec les prémices du renouveau de la spiritualité chrétienne182 ; en sculpture religieuse, sa manière marqua les esprits et ouvrit de nouvelles portes. Le même critique témoigne explicitement de ce nouvel espace artistique dans un article traitant des arts religieux contemporains183 ; il cite l’exemple de ce que fit Pierre Bossan en son temps, puis de Larrivé et de Décôtes. De là, il invite à prendre parti de la « glorieuse pauvreté » des matériaux modernes ! Ce que faisait le modelé particulier de Larrivé.

Parmi les artistes de sa génération ayant touché à la sculpture religieuse à Lyon et travaillant dans cet esprit : Louis Castex (Saumur 1868 – 1954) ; son art est très proche de celui de Larrivé, son ami, qui lui céda d’ailleurs la réalisation de L’Annonciation à la basilique de Fourvière ; Louis Prost (Lyon 1876 – Lyon 1945), que Sainte-Marie Perrin fit travailler sur la châsse de saint Jean-Marie Vianney, à la basilique Sainte-Philomène d’Ars (Ain), pour le Saint Benoît Labre et le Saint Jean-Baptiste en 1905 ; Jean Chorel (Lyon 1875 – 1946) au style puissant et un peu archaïque, à propos duquel le Salut Public estimait :

‘« L’art de M. Chorel possède deux grandes qualités qui expliquent, à elles seules, le succès ; il est à la fois simple et sain ; la grâce s’y allie à la vigueur en proportions harmonieuses ; rien de tourmenté, d’alambiqué, ni d’obscur. La pensée de l’artiste se dégage de son œuvre avec une netteté admirable, une clarté lumineuse, et ce n’est pas là un éloge banal. »184

Plus tardivement, Joseph Belloni (Rancate (Suisse/Italie) 1898 – idem 1964), qui arriva à Lyon en 1921, semble avoir été le praticien de Larrivé pour le Monument aux morts au parc de la Tête d'Or, avant de s'installer à son compte rue Saint-Jean vers 1931. Sa carrière, toute lyonnaise, fut entièrement consacrée à la sculpture sacrée, dans un style clair, aux formes à la fois douces et vigoureuses, parfaitement monumental. La sculpture religieuse lyonnaise du XIXe siècle, celle que cherchait l’école de Pierre Bossan, ne trouva-elle pas son apothéose dans l’art de ce sculpteur venu d’Italie ? Tout à fait dans l’idéal de l’école de Bossan, Belloni disait lui-même (voir citation p. 43) que dans les arts sacrés, l’artiste doit traduire le sentiment religieux du sujet, l’œuvre doit être comme une prière, traduire l’harmonie, comme une porte entre Dieu et les hommes, plongeant dans la grâce. Pour lui, l’artiste est un missionnaire qui ne peut travailler sans le secours de Dieu185.

Notes
178.

Le Progrès, « Les Funérailles de M. Jean Larrivé directeur de l’Ecole des Beaux-arts ont eu lieu hier à Lyon ».

179.

Le Progrès, « Le sculpteur Jean Larrivé, directeur de l’École des Beaux-arts de Lyon est mort hier », 21 mars 1928.

180.

Archives personnelles de René Sainte-Marie Perrin, Carnet de citations relevées par Louis-Jean Sainte-Marie Perrin, p 59-60.

181.

Luc Roville, « Au Salon de l’art décoratif moderne – Rétrospective Larrivé », Le Salut Public, 19 décembre 1929.

182.

Par exemple la spiritualité de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus (1873-1897 ; canonisée en 1925), de Charles de Foucaud (1858-1916). Voir aussi pp. 29-32 de la partie « Le contexte religieux ».

183.

Luc Roville, « L’art religieux et la société de Saint-Jean », Le Salut Public, 11 mars 1925. Voir page 41 de la thèse.

184.

Salut Public, « Jean Chorel, statuaire lyonnais », 5 septembre 1907.

185.

Jean Rochedix, « Belloni, imagier de Fourvière, poursuit, chaque jour, avec les saints et les anges, un dialogue de pierre », Écho Liberté, 11 (ou 1) août 1856.