3) Caractéristiques de cette statuaire et impact sur l’architecture

Quel est le but de cette statuaire ? Décorative ? Dévotionnelle ? Quels sont ses impacts sur les dispositifs intérieurs des églises ? Sa présence est-elle prévue par l’architecte ? Il ne semble pas y avoir d’église lyonnaise qui ait soigneusement voulu faire place à ces multiples statues ; exceptée peut-être l’église Sainte-Blandine où furent installés en 1895196 deux autels et retables en bois dans les collatéraux, pourvus par une statue industrielle de Saint Antoine de Padoue (cat. 834) et une de Sainte Blandine (cat. 832) – toutes deux disparues197 – choisies sans doute pour des raisons budgétaires.

Lorsque de nouvelles églises sont construites, quelques chapelles sont bien prévues. Le plus souvent elles sont au nombre de deux, une de chaque coté du chœur ; elles sont vouées aux dévotions majeures du Sacré-Cœur et de la Vierge, et surmontées par des rondes-bosses artistiques en fonction du budget de la Fabrique paroissiale. Lors des rénovations des églises de Lyon pendant cette période, et lorsque les chapelles des travées latérales furent réaménagées, ce fut le plus souvent au profit d’œuvres originales.

À la fin du XIXe siècle, les statues industrielles s’ajoutent donc, se posant selon les possibilités : contre les murs des collatéraux ou contre les piliers, sur des bases ou sur des consoles. Les consoles rythmant régulièrement les travées des collatéraux furent certainement la solution la plus harmonieuse. Ce système se rencontre par exemple dans les églises de Thizy (Rhône) et de Saint-Héand (Loire) – construites par Sainte-Marie Perrin –, où les agencements laissent penser qu’elles étaient prévues. Dans les églises de Lyon, ces statues sont disposées moins régulièrement ; toutefois, il est difficile d’en juger, non seulement à cause de certaines disparitions, mais encore à cause des déplacements effectués, ayant rompu les éventuels équilibres initiaux, par exemple à Notre-Dame Saint-Louis de la Guillotière, à Saint-Eucher198. Comme ces statues n’étaient prévues ni par les architectes à la construction, ni lors des réaménagements, elles semblent avoir une fonction décorative minime, voire nulle199.

Luc Roville témoigne de la même inquiétude, à l’occasion de la consécration de l’église de la Sainte-Famille le 23 octobre 1927. Son architecture témoigne d’un souci de création originale, dégagée des formules anciennes. Construite en béton par Mortamet, l’architecte tira parti du matériau, mais le critique s’inquiétait de ce qu’il en serait des éléments sculptés.

‘« L’autel est une reproduction de celui dessiné par M. Sainte-Marie Perrin pour l’église de Chaponost, je crois. « Coetera desiderantur ». Je n’ai vu ni la lustrerie, ni les confessionnaux, ni la table de communion, ni la porte d’entrée. Nul doute que dessinés par l’architecte lui-même, ils soient soumis au rythme général de l’édifice et le complètent. Puis il y aura les statues que des socles attendent, et les ornements de l’autel, et les accessoires du culte. Je ne puis m’empêcher de redouter des statues polychromes, des fleurs en papier, des dorures et tous ces ornements puérils par quoi tant d’églises sont défigurées. Celle-ci vaut surtout par sa simplicité. Qu’on évite avec soin toute surcharge et toute couleur qui romprait l’harmonie. Je souhaite que pour tous ces détails on continue à consulter l’architecte. Il a réalisé vraiment une œuvre belle, neuve et hardie sans excès, convenable à sa grande destination […] »200

Ces statues prennent des aspects divers : allant du blanc et se faisant discrètes jusqu’aux couleurs les plus naturalistes ou vives et des attitudes enflammées ou caricaturales. On comprend bien que lorsqu’une statuaire industrielle polychrome est placée dans une église au décor sobre, ou lorsqu’un saint, dans une attitude un peu excentrique201, est ajouté à un emplacement inopiné, les hommes à la sensibilité artistique en soient choqués. Ce genre de cas ne semble pas avoir existé à Lyon – bien que les modifications dans les agencements rendent la chose incertaine – le goût et le jugement lyonnais n’auraient pas toléré d’excès.

Cependant, à l’église Saint-Georges à Lyon, quelques statues surprennent par leur emplacement inattendu. Un Sacré Cœur (cat. 620) et un Saint Antoine de Padoue (cat. 615) sont posés dans les collatéraux, près de l’entrée, sur des colonnettes qui leur servent de socle ; une statuette de Sainte Thérèse de Lisieux est posée sur la table d’un autel. Les lumignons devant eux laissent comprendre que la piété populaire procure leur place, mais ces arrangements sont à l’encontre de l’harmonie architecturale. Notons en particulier le cas du Saint Antoine de Padoue dont la suavité, la polychromie naturaliste et la brillance, contrastent avec les lignes austères et élégantes de l’architecture ; l’effet rapporté se trouve ici accentué par son socle, en forme de pilier, peint en rouge et bleu. Dans la même église, les attitudes emphatiques du Saint Curé d’Ars et de Sainte Jeanne d’Arc sont aussi en dissonance avec le style de l’architecture. Leur support, leur emplacement (ils sont adossés contre des piliers) et l’absence de couleur leur permettent de mieux s’insérer, mais leur attitude est pose question. On pourrait leur appliquer cette phrase de l’écrivain catholique Léon Bloy :

‘« ... quel poncif! mes enfants! Quelle bondieuseriedéchaînée! Il y a peut-être cinq cent mille paires d'yeux comme ça, en peinture, qui contemplent le séjour des élus! Que diable pourrais-je bien lui faire regarder, à sainte Philomène? Le truc des visions célestes est insoutenable... C'est tout de même dur à peindre, un sujet pareil, ... »202

En s’interrogeant sur la raison d’être de ces statues au sein des églises, il est alors possible de comprendre leur apparence. Leur but est moins la perfection esthétique que de toucher la piété populaire : nul souci créatif ou conventionnel mais plutôt une réponse à la sensibilité du plus grand nombre. Souvent polychromes, parfois naturalistes, leur retentissement visuel peut être fort et surprenant. C’est le cas à l’église de Saint-Germain-au-Mont-d’Or (Rhône). Elle avait été décorée au XIXe siècle – certainement lorsque Sainte Marie Perrin l’avait réaménagée en 1867 – et ces ornement peints pouvaient permettre à ces statues de s’intégrer un peu mieux qu’elles ne le font actuellement. Car, les statues polychromes de cette église paraissent très vivantes, cela frappe d’autant plus que l’intérieur de cette église d’origine médiévale a été entièrement blanchie.

De manière générale, les couleurs ou la finesse anatomique de ces statues industrielles leur donnent un aspect vivant qui les détache de l’architecture ; elles semblent vouloir créer un lien direct et intimiste entre le croyant et le saint, comme si celui qui est représenté était tout disposé à écouter et à intercéder en faveur du fidèle. Cette production joue parfois sur un autre ton : le réalisme est inexistant, laissant place à un idéalisme qui nous semble aujourd’hui douceâtre et factice. Cependant la méthode est la même, elle se sert fortement de la sensibilité et de l’affectif.

Notes
196.

décembre 1895 : deux autels en chêne ciré : autel Sainte-Blandine offert par l’abbé Chabrier vicaire, autel Saint-Antoine de Padoue offert par M. le Curé Nitellon « qui avait à cœur d’inaugurer dans son église la dévotion à ce grand thaumaturge » ; exécutés par Sèbe sur dessin de Malaval. . Lyon, Archives diocésaines, Sainte-Blandine : I 312.

197.

Sans précision sur leur provenance ; simplement connues par les archives : des photographies pour le Saint Antoine et par les Procès verbaux des séances de la Fabrique pour la statue de Sainte Blandine. Lyon, Archives diocésaines, Sainte-Blandine : I 322 et I 323 (séances de la Fabrique), I 328 (photographies)

198.

Lyon, Archives diocésaines, 1 PH 111 à 1 PH 1110 photographies anciennes.

199.

Les archives trop lacunaires ne nous permettent pas de savoir si leur origine provenait de dons.

200.

Luc Rouville, Salut Public « La nouvelle église de Croix-Luizet », 6 octobre 1927.

201.

Saint Bernard prêchant la croisade par Jean-Désiré Ringel d’Illzach, , 1888, marbre, église Sainte-Geneviève à Paris.

202.

Léon Bloy, La Femme pauvre, 1897, p. 52.