4) L’accueil de cette production – ambiguïté de son succès

a) Critique artistique

Il se peut que l’antipathie pour la statuaire industrielle – souvent gracile et sentimentaliste, sans rapport à l’architecture – soit à mettre en relation avec l’insatisfaction de la critique qui avait en dégoût les œuvres des intérieurs bourgeois. Il leur était reproché de se présenter comme un art d’agrément, et les critiques souhaitaient voir les sculpteurs s’intéresser avant tout à la recherche de l’effet majestueux, portant leur attention aux monuments publics ou religieux (voir pp. 38-39).

Les statues stéréotypées de saints se multiplient durant cette période. Communément, on parle de statuaire ou de style sulpicien. L'expression s'explique par le fait que les magasins vendant des objets religieux se concentraient tout particulièrement dans le quartier autour de l’église Saint-Sulpice (il en subsiste guère actuellement). J.K. Huysmans dénonçait l’invasion des « bondieuseries » sulpiciennes dans Les Sœurs Vatard (1879, chap. II, p. 22), lors des descriptions de la rue de Sèvres :

‘… ces nombreuses boutiques, ces innombrables bondieuseries dont la rue est pleine. (...) il y avait des statues coloriées de Vierges, des Madones sérieuses et bonnes à mettre en niche, des Christs, grandeur nature, avec du lilas sur le ventre et du carmin aux doigts, des Jésus bénisseurs, frisottés et blonds, les bras en avant, accueillants et bien vêtus, puis, sur le rayon du bas, des Saints-Sacrements, des patènes, des ciboires, resplendissaient avec leurs dorures et leurs mosaïques; des veilleuses étranges, des cœurs en verre rouge, montés sur du bronze, des lys aux pistils et aux tiges de cuivre, des vases avec des J. M. entrelacés et des bouquets de roses, en papier blanc, s'empilaient sur une cloison, encadrant un petit Rédempteur, de cire rose, qui batifolait sur de la paille, serré comme un joujou de vieille femme, sous un globe de verre. Et tous ces magasins s'échelonnaient, ... […]
les imageries religieuses reprenaient de plus belle, tournant au jouet, se dédorant, se fanant, se fondant, se couvrant d'épaisses couches de crasse; de gravures pleines de petits garçons à genoux, de femmes prosternées, d'anges bouffis et montrant le ciel, des Mater dolorosa, fabriquées d'après la formule de Delaroche, les yeux en larmes et les mains pleines de rayons, des enfants avec un agneau sur le cou, des crucifix avec une coquille en bas pour y mettre de l'eau, des coeurs en platine, en maillechort, en vermeil, des coeurs percés de glaives, flambant par le haut et saignant par le bas, des Immaculées creuses en stéarine et en biscuit, des saint Joseph mal moulés et mal vernis, des crèches enluminées, des ânes pelucheux, toute une Judée de carton-pâte, tout un Nazareth de bois peint, toute une religion en toc s'épanouissaient entre des bocaux de chocolats poudreux et de vieilles boules de gomme!’

Dans La Cathédrale, le même parle de « l’appétit de laideur qui déshonore l’Église » (1898, chap. I). Le peintre Maurice Denis, tertiaire de l’ordre de saint Dominique, voit dans cette camelote le reflet des pires médiocrités de la décadence italienne du temps de Guido Reni et de l’académisme édulcoré des Nazaréens allemands : « L’objet religieux est un article de bazar qui tient la place de l’objet d’art. Il passe pour économique parce qu’il est fait en série. Il donne à bon compte l’illusion de l’art dont il n’est qu’une basse contrefaçon. »203 Il précise son indignation : « Qui reconnaîtrait l’ardeur virile de saint Antoine de Padoue dans cet enfant de chœur en saindoux qui surmonte le tronc des pauvres ? Qui prendrait pour saint Michel cet écuyer de cirque qui jongle avec un gros lézard ? ». De même, Paul Claudel exprime son écœurement devant la fadeur de ces « images d’Épinal ». Lucien Bégule en dit davantage sur son choc lorsqu’il considère les œuvres industrielles comme des caricatures « grossières et ineptes », « misérables statues de saints et de saintes » faites « non dans des ateliers d’artistes, mais dans des fabriques de mannequins ! Elles ont une physionomie stupide, un air sentimental idiot, elles regardent bêtement le ciel, elles sont laides à faire pleurer »204. L’angoisse du critique sur la créativité et le respect de l’image de ces saints personnages est compréhensible lorsqu’on lit sur le catalogue de la « Sainterie » de Vendeuvre les étranges combinaisons proposées : « pour un ange, prendre l’enfant Jésus debout, lui mettre des ailes de 0,6 m. ; saint Philippe Néri : prendre saint Pierre Fourrier, supprimer le manteau, mettre la tête de saint Joseph ; saint Nicolas de Tolentino : prendre saint Ermite sans son cochon… »205. Avec cela, on comprend que la production soit stéréotypée et que ces saints se ressemblent.

La critique mettait son espoir dans l’éducation artistique des curés, pour lutter contre le mauvais goût de la statuaire des églises, pour que ces derniers soient, à leur tour capables, de former le jugement des paroissiens. Ce fut un des objectifs de la section lyonnaise de la société Saint-Jean, comme le rappelait Luc Roville : « Cette société a pour but de développer, perfectionner l’art sacré, créer un mouvement chez les artistes, les intéresser à cette branche, faire connaître, former le goût des clercs et des laïcs, d’assurer à la maison de Dieu une parure digne de Lui »206.

Notes
203.

Maurice Denis, Nouvelles théories sur l’art moderne, l’Art Sacré, Paris, 1921.

204.

Lyon, Archives municipales, 0009 II : Fonds Lucien Bégule, maître-verrier, « La déchéance de l’art religieux » (1916), conférences de L. B. documentation sur la sauvegarde de l’art religieux. Voir p. 59

205.

Abbé Jean Durand, Une manufacture d’art chrétien. La sainterie de Vendreuse-sur Barse (1842-1961), Villy-en-Trodes, Vendreuse-sur Barse, 1978, p. 189.

206.

Luc Roville, « L’art religieux et la société de Saint-Jean », Le Salut Public, 11 mars 1925.