b) Critique religieuse

Viollet-le-Duc comparait le fort développement de cette statuaire au phylloxéra. Une maladie ? Le ton est donné. De même, Lucien Bégule s’insurge contre la disparition des œuvres originales et anciennes, en accord avec le style des églises, remplacées par des statues manufacturées qu’il juge laides et viles207.

Le procès « esthétique » de l’industrie d’objets de dévotion n’est-il pas plutôt la condamnation de ce qu’elle véhicule ? En leur reprochant leur mièvrerie, voire selon lui leur manque de dignité, Lucien Bégule souligne un vide de sens, une absence de « spiritualité » :

‘« Il ne suffit pas, dit M. l’abbé Moeller pour faire un tableau représentant, par exemple, la Mère de Dieu, - je parle bien entendu, d’une œuvre d’art, - il ne suffit pas, dis-je, de peindre ou de sculpter une femme quelconque et lui mettre dans les bras un bébé quelconque et de placer au-dessous une inscription : Sainte Vierge Marie, priez pour nous’. […] Ces misérables statues de saints et de saintes […] ont une physionomie stupide, un air sentimental idiot, elles regardent bêtement le ciel, elles sont laides à faire pleurer. Le seul moyen de ne pas perdre toute dévotion à l’objet qu’elles ont la prétention insolente de représenter, c’est de fermer les yeux pour ne point les voir. Bien loin d’inspirer l’enthousiasme pour l’idéal religieux, elles en donneraient la nausée. »’

En fin de compte, Bégule ne condamne pas la technique industrielle, puisqu’il rêve d’un éditeur s’inspirant de Dufraine, son sculpteur favori.

‘« [L’œuvre de] Charles Dufraine, qui comprend une foule de sujet religieux, d’un accent si personnel et d’un sentiment toujours si élevé, n’a jamais été livré à l’industrie. […] L’œuvre de Dufraine est un exemple à suivre. Bien mieux ; les modèles et les maquettes de l’artiste existent encore dans son ancien atelier de la rue de la Croix-Jordan et pourraient être le point de départ le plus précieux d’une rénovation de la sculpture religieuse entre les mains d’un éditeur éclairé. »’

Toujours dans le même texte, où sa révolte est très spontanée et sans frein, il est possible de comprendre exactement son état d’esprit. Il s’en prend aux expressions de la ferveur populaire contemporaine : allant des décors éphémères dans les églises, jusqu’aux chants. Sentimentalisme, voire obscénités, « romances ultra passionnelles », le critique d’art chrétien n’en peut plus : « Mais de grâce, que l’on nous délivre de toutes ces compositions édulcorées, de ces rengaines qui tiennent trop de place dans nos offices ! ». Pour lui, ce sont les pires parodies du culte de Dieu. Il va loin dans ses accusations et son ressentiment est bien au-dessus de la statuaire industrielle ; car elle n’est finalement qu’un symbole de ce qui apparaît clairement être pour lui la décadence de la foi chrétienne.

De même, c’était ni le procédé technique, ni la médiocrité artistique que Viollet-le-Duc semble avoir finalement reproché à cette statuaire, mais d’avantage la conception religieuse qu’elle véhiculait : « ce fétichisme qui n’a rien de commun avec la religion ». En quelques mots, l’architecte exprimait l’épreuve de la foi chrétienne et en conséquence celle que l’art chrétien vivait conjointement en cette seconde moitié du XIXe siècle. Négligeant l’apport de la raison, la foi catholique avait alors tendance à s’enfermer dans le fidéisme : La religion tendait à donner d'importance uniquement aux formes extérieures, s’affadissant dans le traditionalisme ou/et la sentimentalité, loin d’une dévotion profonde et vraie. En 1909, l’écrivain Romain Rolland, dans Jean-Christophe, faisait dire à son héros « Votre éducation religieuse, en France, réduite au catéchisme; l'évangile châtré, le Nouveau Testament affadi, désossé... ».

Notons aussi la corrélation du terme « bondieuserie », apparu pour la première fois en 1865208. Il est employé aussi bien pour dénoncer une religiosité lénifiée par le formalisme, réduite à des aspects traditionnels et sentimentaux, que pour qualifier des représentations de sujets religieux mièvres et conformistes.

Combien de fois dans l’histoire de la chrétienté, la dévotion populaire envers les saints a-t-elle frôlé la superstition ? L’Église devait-elle enrayer cette piété populaire ? Non, son rôle était de veiller sur la bonne intuition populaire, de l’orienter de manière juste et équilibrée quand il en était besoin. C’est ce qu’elle fit en encourageant les dévotions à la Vierge, au Sacré-Cœur, et bien d’autres. C’est encore ce qu’elle faisait quand elle reconnaissait officiellement certains modèles de statues, par le biais du saint Père Pie IX, ou des cardinaux, des archevêques et des évêques. Aussi, le catalogue de la « Sainterie » de Vendeuvre-sur-Barse certifiait-il que ces statues demeuraient dans la ligne traditionnelle et donc, dans l’authentique, en union avec l’Église.

Notes
207.

Lyon, Archives Municipales, 0009 II 10 : Fonds Lucien Bégule, maître-verrier, « La déchéance de l’art religieux » (1916). Voir citation p. 59.

208.

Jules VALLÈS, Les Réfractaires, p. 20. (source : TLFI)