Qu’une œuvre sculptée soit intégrée à une église juste à la fin du chantier ou une trentaine d’année après, n’est pas sans importance. Il est avéré que lorsque le sculpteur intervient à la fin du chantier, il travaille sous le contrôle de l’architecte, ce qui n’est plus aussi évident lorsque le laps de temps s’allonge. Toutefois, même longtemps après la construction d’une église, dans bien des cas le sculpteur intervient sous la direction d’un architecte.
Donc, le plus souvent, les sculpteurs obtiennent des commandes par l’intermédiaire des architectes. C’est ainsi qu’agissait Sainte-Marie Perrin lorsqu’il construisait des églises213 : choisissant généralement les mêmes sculpteurs et statuaires pour les autels, retables et statues associées. Lorsque les archives des constructions sont conservées – par exemples à Saint-Héand (Loire)214, à Grézieu-le-Marché (Rhône)215, pour la chapelle des Frères des écoles chrétiennes à Caluire (Rhône)216 – on observe que l’architecte fait appel à Paul-Émile Millefaut, à Joannis Rey, et que lui-même se charge de les payer. Ce procédé était usuel à l’époque.
Lorsque les archives des constructions et décorations des églises de Lyon sont conservées, on observe le même phénomène. Ainsi, à Notre-Dame de Bellecombe, l’architecte Pierre Duret choisit de confier entièrement à Joseph Chenevay le maître-autel (cat. 396) et tous les ornements de l’église (cat. 336), travaux qu’il effectua sur sept ans, de 1892 à 1899. Le 10 février 1893, le sculpteur-staffeur s’engageait sous sa direction : « Ces travaux seront exécutés conformément aux ordres de monsieur Pierre Duret architecte à Lyon […] quant aux autres travaux qui pourront m’être confiés leur prix sera fixé par l’architecte, suivant leur nature et leur importance »217. À Notre-Dame Saint-Vincent, le choix adopté par le conseil de fabrique se fait sur la demande de l’architecte Charles Franchet :
‘« M. le Curé expose ensuite au Conseil que l’architecte désire qu’il soit pris une résolution du renvoi indéfini de la commande des trois statues des bas-reliefs, qui, d’après les plans arrêtés, doivent orner la façade sur le quai Saint-Vincent, ou sur leur exécution immédiate, et que dans le dernier cas, le travail soit confié à M. le sculpteur Dufresne [sic], dont la paroisse a déjà pu apprécier le talent, avec un ordre de l’entreprendre sans délai, pour que ces œuvres d’art soient terminées en même temps que les grands travaux extérieurs ».218 ’Pour l’église Saint-Bonaventure, l’état des honoraires dus à l’architecte Claude-Anthelme Benoît – auquel fut confiée toute la réhabilitation de l’église –, montre qu’il fit très régulièrement appel aux sculpteurs Vaganay et Robert d’environ 1848 à 1865. Benoît devait les apprécier, puisqu’il fit aussi travailler Robert en 1846 et Vaganay à la fin des années 1880 à l’église Saint-Nizier219.
Dans ces exemples, on remarque que lorsqu’un architecte est chargé de la construction ou de la restauration d’une église sur plusieurs années, le même sculpteur est souvent sollicité, certainement par confiance en son travail et parce que ces collaborations se passent dans de bonnes conditions. Cette manière de faire n’était apparemment pas adoptée partout. À Paris, la paroisse Saint-Vincent-de-Paul fit appel à Lebœuf-Nanteuil pour le fronton, à Bosio pour le maître-autel, à Rude pour le Calvaire. En 1851, douze statues du porche de l’église Sainte-Clotilde à Paris furent commandées à des artistes différents : Préault, Mercier, Cordier, Dantan, Husson, Pollet, etc. ; dans la même église, les statuettes du maître-autel furent confiée à Jean-Auguste Barre ; Pradier fut chargé d’une moitié des stations du Chemin de croix – mais mort avant, ses élèves Guillaume et Lequesne les achevèrent – et Duret fit l’autre moitié.
Le système lyonnais implique tout particulièrement des liens entre les architectes et les sculpteurs ; alors que les multiples interventions dans les églises parisiennes laissent penser que l’émulation et la variété étaient préférées, faisant davantage confiance à la réputation des artistes appelés et leur laissant peut-être plus d’autonomie220. Si l’architecte pouvait s’en remettre à celui qui lui proposait le meilleur devis (surtout pour l’ornementation), en pratique, il choisissait de préférence celui qu’il connaissait et dont la manière de travailler était sûre. C’est ce qui se passait avec Sainte-Marie Perrin et vraisemblablement avec Benoît. Sainte-Marie Perrin avait un souci d’harmonie au sujet de l’intervention des peintres et des sculpteurs dans ses édifices. En conséquence, sa direction fut certainement rigoureuse, par obsession d’unité, et le choix de ses collaborateurs fut restreint221. La personnalité plus ou moins assurée de l’architecte influençait certainement beaucoup la méthode de décoration d’églises.
Séverine Penlou (dir. François Fossier), La décoration des églises de Louis-Jean Sainte-Marie Perrin (1835-1917) (2 vol.), Université Lyon 2, mémoire de master 2 d’histoire de l’art, 2005, tapuscrit.
Archives paroissiales de Saint-Héand.
Archives municipales Grézieu-le-Marché, dossier « Dépenses payées par l’architecte ».
Lyon, Archives Lassaliennes, boîte sur la chapelle des Frères de la Doctrine Chrétienne
Lyon, Archives diocésaines, Notre-Dame de Bellecombe : I 1152.
Lyon, Archives diocésaines, Notre-Dame Saint-Vincent : I 513, Délibérations Conseil de Fabrique ND de Saint Vincent 1879-1906, 5 octobre 1879.
Lyon, Archives diocésaines, Saint Nizier : I 591, I 592,
voir les propos de Charles Garnier dans À travers les arts ; et pp. 118-119
Séverine Penlou (dir. François Fossier), La décoration des églises de Louis-Jean Sainte-Marie Perrin (1835-1917) (2 vol.), Université Lyon 2, mémoire de master 2 d’histoire de l’art, 2005, pp. 50-71.