c) Architecte et sculpteurs : l’exemple de l’école de Bossan

La recherche de l’équilibre et de la complémentarité dans cette coopération – d’autant plus complexe à cause des enjeux qui s’y ajoutent – fut certainement une des principales raisons233 de la tentative de Pierre Bossan pour créer une école de formation pour les sculpteurs, lorsque ce dernier se retira vers 1860 dans le sud de la France. L’abbé Didelot, curé de la cathédrale de Valence qui fit appel à lui pour des travaux de restauration234, l’appuya. Devenus de proches amis, l’architecte vint chercher conseil auprès de lui en matière d’iconographie et de symbolique chrétienne. L’école ouvrit le 19 mars 1863, sous le patronage de Saint-Joseph, dans le presbytère même de la cathédrale Notre-Dame235. Cette école était faite non seulement pour former des artistes intervenant dans le décor d’architecture, pour qu’ils soient capables de s’adapter à l’édifice, mais il s’agissait aussi d’une école d’art chrétien cherchant à soutenir et vivifier les arts religieux. Pierre Bossan s’inspire de la conception des anciens « maîtres d’œuvres » du Moyen Âge, l’architecture étant un art dans lequel d’autres œuvres sont abritées, ces arts doivent être sous l’égide de l’architecture et la seconder. C’est le principe essentiel pour réaliser l’unité et l’harmonie, condition de la beauté de l’œuvre dans son ensemble.

Au départ, les élèves affluèrent dans la petite école ; ils furent près d’une cinquantaine. Bossan avait fait venir Dufraine en 1863 pour y enseigner et préparer de futurs collaborateurs : Johannis Rey sera son adjoint pour le chantier de La Louvesc. Paul-Émile Millefaut (1848-1907) entra à quatorze ans comme élève de Bossan pour le dessin puis pour la sculpture avec Dufraine. Par ailleurs, il étudia à l’École des beaux-arts de Lyon, mais resta attaché à Bossan jusqu’à sa mort en 1888, moment auquel il revient à Lyon. Il fut le sculpteur préféré du maître et de son disciple Sainte-Marie Perrin. Levasseur y vint aussi ; il exécutera la plupart des modèles de la sculpture de Fourvière. Suite à des différents, Charles Dufraine rentra à Lyon en 1867, Lucien Bégule qui passa un temps à Valence témoigne :

‘« mais l’entente – ou plutôt la vie commune – ne pouvait durer longtemps ; le régime quasi monacal que Bossan imposait à l’institution ne convenait pas à Dufraine. Il eut séparation, sans rupture toutefois. L’architecte, néanmoins, lui en garda toujours rigueur. Si, plus tard, une partie importante des travaux de Fourvière lui fut confiée, c’est grâce au collaborateur de Bossan, M. Sainte-Marie Perrin, qui prit la direction de l’œuvre après la mort de l’auteur de la basilique. » 236

Leur collaboration se poursuivit quand même : aux Dominicains d'Oullins, à l'Immaculée-Conception de Lyon, à l'église d'Ars-sur-Formans, à l’église Saint-Georges à Lyon.

Bossan délégua alors le rôle de directeur à Johannis Rey. En 1871, l’architecte est choisi pour construire Fourvière, il se retire à La Ciotat. Le chanoine Didelot est, quant à lui, nommé à la cure de Saint-Apollinaire. L’école s’établit dans la basse-ville dans un vaste enclos où il fut possible de construire des ateliers de sculpture et de marbrerie. Cette école devint ensuite l’agence de Johannis Rey237.

Néanmoins, ce ne fut point l’idée d’une école des arts aux services de l’architecture qui fut conservée au sujet de cet essai, mais davantage à la volonté de regrouper des artistes afin d’unir leur effort pour un renouveau artistique. C’est ce qu’a retenu Luc Roville :

‘« Lyon possède en ce moment dans les différentes branches de l’art appliqué, un certain nombre d’artistes de grand mérite […] Travaillant de concert à embellir nos rues ou nos maisons, ils pourraient, me semble-t-il, créer un mouvement local et comme une de ces écoles provinciales disparues depuis si longtemps. Ainsi jadis les artistes groupés autour de Bossan avaient su créer un art religieux original et donner à nos églises, à leur décoration et à leur mobilier un style propre. »238

C’est aussi ce concept qui relie l’école de Bossan aux confréries d’artistes (voir p. 84).

Notes
233.

Avec celle, bien entendu, de renouveler les arts religieux.

234.

Didier Lardy, Bossan et l'église de l'Immaculée Conception, 2 vol., Université Lyon 2, maîtrise d’histoire de l’art, 1984, tapuscrit, p. 38.

235.

Myriam Civier, Charles Dufraine 1827-1900, inventaire de la sculpture religieuse (2 vol.), Université Lyon II, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, 1996, tapuscrit, p. 16.

236.

Lucien Bégule, L'œuvre de Charles Dufraine statuaire lyonnais, Lyon, Vitte, 1902, p. 6.

237.

Bulletin de la société d’archéologie de statistique de la Drôme, 1919, tome 53, pp. 209-215. La nécrologie de J. Rey donne quelques renseignements sur l’école de Valence.

238.

Luc Roville, Le Salut Public, « Le Salon d’Automne », 8 novembre 1924.