Il semblerait normal que la personne qui finance et commande l’œuvre ait son mot à dire sur le choix du sculpteur, le sujet, et même peut-être la composition. Cependant, cela ne semble pas avoir été fréquemment le cas.
Premièrement, la source de financement ne correspondait pas forcément au commanditaire. Le commanditaire était presque systématiquement le conseil de fabrique de la paroisse, alors que le financement pouvait provenir du compte de la fabrique, d’une collecte, d’un ou de plusieurs dons particuliers, d’une confrérie, ou même pour selon les cas, de la municipalité ou de l’État239. Ces dons exceptionnels étaient dus soit à un décès – dans ce cas, l’offrande était le plus souvent employée pour réaliser un élément manquant, une restauration, un embellissement –, soit d’un riche et généreux paroissien répondant à une sollicitation de la paroisse pour financer un élément dont l’absence devenait criante. Dans ces conditions, existaient-ils des cas où le donateur imposait un choix ? Ou, existaient-ils des cas où une sculpture était réalisée pour l’église, sans passer par le conseil de fabrique ? Les archives n’ont pas été suffisamment conservées pour qu’il soit possible de l’affirmer, mais ces cas ont vraisemblablement été exceptionnels. Le registre des délibérations du conseil de fabrique de Notre-Dame Saint Vincent permet d’avoir une idée de la manière dont devaient s’arranger le mécène, le conseil de fabrique, l’architecte et le sculpteur :
‘« M. le curé entretient ensuite le Conseil d’autres dons auxquels leurs auteurs affectent une destination particulière : ainsi il a reçu 1 400 fr. pour un petit autel de St Joseph ; pareille somme lui est offerte pour un petit autel de Ste Anne. Il serait peut-être à souhaiter pour le moment que la piété des donateurs fut moins fantaisiste ; mais il faut se conformer autant que possible à leurs intentions. M. le Curé a soumis un projet à M. Franchet. »240 ’ ‘« M. le curé sur l’invitation de M. le président adresse quelques mots au conseil : il est toujours satisfait du zèle des paroissiens, et compte sur leur générosité. Mais cette générosité est quelque fois impérative dans ses vœux. C’est ainsi qu’une nouvelle somme vient d’être donnée pour élever à gauche de l’autel du Sacré-Cœur un petit édicule destiné à supporter la statue de saint Louis. Pour compléter l’ornementation de cet autel et la faire correspondre à celle de l’autel de la Vierge il faudrait à droite un édicule pour supporter la statue de saint Vincent, le patron des vignerons. Quand le phylloxera cessera ses ravages, la reconnaissance fera sans doute ce que n’a pas conseillé le malheur du temps. »241 ’ ‘« Legs de 200 francs pour l’entretien de la chapelle de la Vierge et de 200 francs pour la chapelle du Sacré-Cœur. Accepté. »242 ’Il ne semble pas exister de cas où le financier prescrit un choix. Toutefois, son avis est pris en compte, comme le montre le registre du conseil de fabrique de Saint-Nizier au 23 novembre 1864 pour la chaire de l’église Saint-Nizier (cat. 709) : « M. Chatron annonce que Mme veuve Durand lui a remis une somme de 10 000 fr., acompte d’une plus forte qu’elle destine à faire une chaire en marbre pour l’église Saint-Nizier ». Quant à lui, le conseil exigea du style néogothique. Benoît père & fils proposèrent un projet en bois qui fut soumis à l’approbation de Mme Durand243. Autre exemple, une lettre244 envoyée par la veuve Limousin, le 2 septembre 1887, au président du conseil de fabrique de Sainte-Blandine, permet de savoir que cette dernière prit à sa charge, sur la demande du curé de Sainte-Blandine, tous les frais du maître-autel (cat. 840), construit à l’occasion de sa consécration. Sa seule exigence était de se réserver, et à ses héritiers, le droit de disposer de cet autel dans le cas où, l’église cesserait d’être affectée au culte catholique en communion avec le Saint Siège. Aucun témoignage de revendications sur la composition n’a été trouvé.
Le donateur impose son « choix » seulement quand celui-ci offre une simple statue manufacturée, comme à l’église Sainte-Blandine, où M. Roucheton, entrepreneur de l’église, offrit une statue de la sainte patronne à condition que la Fabrique supporte les frais d’installation. Après avoir délibéré, le conseil « accepte avec reconnaissance le don de cette statue et vote des remerciements à M. Roucheton pour cet acte de générosité »245. L’exemple de la séance du 9 février 1876 du conseil de fabrique de Saint-Nizier, lorsque « M. le curé annonce qu’il a reçu de la famille Laserve un nouveau don de 4 000 fr. destinés à la restauration et à l’embellissement de la chapelle du Sacré-Cœur »246, tend à montrer que la préoccupation des donateurs n’est ni le choix du sculpteur, ni le rendu de l’œuvre, mais uniquement le souci de faire une bonne action pour sa paroisse.
Cette absence de sollicitudes artistiques des bienfaiteurs est assez surprenante ; on peut croire qu’une bonne partie des archives nous échappe, ou bien que ces donateurs n’avaient aucun goût, aucune éducation artistique. Ne s’interrogeaient-ils pas sur la qualité et le rendu de ce qu’ils permettaient de créer ? Avaient-ils totalement confiance dans le choix du conseil de fabrique ou de l’architecte ? N’avaient-ils pas le choix ? Il est difficile de croire que les familles fortunées n’aient pas pu avoir leur mot à dire, ni favorisé un artiste apprécié.
L’influence du commanditaire, qui est le plus souvent le conseil de fabrique ou le curé, est plus probable. À Notre-Dame de Bon-Secours à Paris, l’architecte dessina le maître-autel et la chaire d’après les indications du Père Arthur Martin247. Quelques cas sont connus à Lyon.
À l’église Saint-Nizier, le compte-rendu du conseil de fabrique du dimanche 4 octobre 1877 témoigne que l’homologation du conseil est nécessaire lors de la création d’une sculpture : « M. le curé soumet au conseil le petit modèle de la statue de la Vierge de Bonnassieux ; le sculpteur devra s’entendre avec Benoît pour la pose et la date de l’achèvement de la statue (profiter de l’échafaudage) Le conseil désire l’inauguration pour mai, le mois de Marie »248. Ceci va parfois plus loin. Pour l’église de Notre-Dame de Bellecombe, l’architecte Louis Michel croit reconnaître sur le maître-autel (cat. 396), figurant Le Repas des disciples à Emmaüs, le portrait de MM. Vincent et Félix Serre. L’un deux serait sculpté d’après un croquis de Pierre Duret qui était conservé dans un portefeuille des dessins d’exécution de l’église249.
Au Saint-Nom-de-Jésus250, le Père Antonin Danzas (1817-1888) – forte personnalité, dominicain qui fut à l’origine un membre de la confrérie Saint-Jean fondée par le Père Lacordaire – conseilla J.-H. Fabisch pour la Vierge du Rosaire (cat. 304) et pour la chaire. Mais il s’agit d’une église dominicaine et non d’une église paroissiale ; la collaboration entre le commanditaire et le sculpteur se fait plus rapprochée.
Tout proche de Lyon, l’exemple de l’élaboration des sculptures de la chapelle du Noviciat des frères des écoles chrétiennes à Caluire est révélateur de cette collaboration entre le commanditaire et le sculpteur. La création des groupes sculptés du Sacré Cœur et de la Vierge à l’Enfant fut confiée à Paul-Émile Millefaut, sous la direction de Sainte-Marie Perrin. Cependant, ces thèmes auraient été choisis par un frère de la communauté – le frère Rogationus – en rapport avec la vocation de la congrégation. Ainsi, la chapelle de gauche montre le Christ du Sacré-Cœur confiant à Jean-Baptiste de La Salle l’éducation de trois enfants et Jésus prononce ces paroles : Accipe puerum istum et nutri mihi, Prends soin de ces enfants et élèves les pour moi 251. Celle de droite est vouée à la Vierge du Rosaire, « personnalisée », par la présence à sa droite d’un novice agenouillé après sa vêture, recevant de ses mains un chapelet, un scapulaire et un nouveau testament ; tandis qu’à sa gauche, l’Enfant Jésus qu’elle tient remet à un jeune profès, le crucifix en échange de la formule de profession : Mon bien aimé est à moi et moi tout à lui. Toutefois dans ces circonstances – il s’agit là d’une chapelle pour une congrégation et non d’une église paroissiale – les sculpteurs et l’architecte s’adaptent aux spécificités des communautés religieuses, plus précises que celles des paroisses où l’architecte prend davantage les décisions aux dépends d’un conseil de fabrique plus ou moins résolu.
Citons enfin le cas bien particulier de l’élaboration du Saint Joseph avec l’Enfant Jésus à l’église de la Rédemption. L’abbé de Saint-Pulgent fournit le dessin à E. Brulat. Pierre-Alexis Chamoduc de Saint-Pulgent, qui appartenait à une des familles les plus anciennes du Forez, étudia la peinture à Paris dans l’atelier d’Hippolyte Flandrin, puis à Rome ; mais il renonça à sa brillante situation dans le monde pour embrasser l’état ecclésiastique et entrer dans à la Mission des Chartreux ; plus tard, il devint chanoine titulaire de la primatiale Saint-Jean. Il avait écrit, dans plusieurs publications locales, des études sur les questions d’art religieux. Malheureusement, les circonstances de cette belle collaboration pour l’œuvre de cette église n’est pas connue.
Pour les édifices alors à l’État, par le ministère de la justice et des cultes, sous la direction de l’architecte diocésain. Par exemple pour la chaire de la primatiale Saint-Jean (Lyon, Archives diocésaines, Saint Jean : I 521)
Séance du Conseil de Fabrique 3 octobre 1886.
Séance du conseil de Fabrique dimanche de quasimodo 8 avril 1888.
Séance 20 novembre 1902.
Lyon, Archives diocésaines, Saint Nizier : I 595 (registre des délibérations 1852-1871)
Lyon, Archives diocésaines, Sainte-Blandine : I 323, Registre des délibérations du Conseil de Fabrique 1872-1895, Séance du 2 octobre 1887.
Lyon, Archives diocésaines, Sainte-Blandine : I 322, Procès verbaux des séances de la Fabrique 1841-1871, assemblée du 16 avril 1871.
Lyon, Archives diocésaines, Saint Nizier : I 596 (registre des délibérations 1871-1906).
Catherine Brissac, Chantal Bouchon, Nadine Chaline, Jean-Michel Leniaud, Ces Églises du XIX e siècle, Amiens, Encrage, 1993, p. 150.
Lyon, Archives diocésaines, Saint Nizier : I 595 (registre des délibérations 1852-1871).
Lyon, Archives diocésaines, Notre-Dame de Bellecombe : I 1152, notes manuscrites de Louis Michel, architecte, 4 rue des Prêtres à Lyon, 6 8bre 1922.
Élisabeth Hardouin-Fugier, « L'hôtel du Rosaire par Fabisch au Saint Nom de Jésus », Revue Rive Gauche, n°65, juin, Lyon, 1978.
Inscriptions en latin et en français gravées sur le socle des statues.