III. La postérité de la sculpture de la seconde moitié du XIXe siècle

1) Des exportations

Les exigences rigoureuses de la sculpture religieuse lyonnaise ont sans doute plus ou moins opprimé les artistes – même si ce défi et ces contraintes ont pu en stimuler certains – ; du reste, comme nous venons de le voir (pp. 129-131), quelques-uns ont quitté la région, peut-être pour tenter de faire une meilleure carrière dans la capitale. Aucun n’artiste de l’extérieur n’est venu travailler dans les églises de Lyon, donc pas d’importation de sculpteurs ; et finalement, le cercle des artistes consacrés à cet art est resté étroit, peu ont pu épanouir leur talent dans ce domaine. Dans ces conditions, « l’exportation » de ce petit nombre de sculpteurs lyonnais semble peu probable.

Certains ont pu travailler dans les régions voisines. Par exemple Charles Dufraine sculpta à la cathédrale Saint-Charles de Saint-Étienne (Loire) une Vierge à l’Enfant trônant en 1887290 ; le même participa largement à La Louvesc (Ardèche) dans la basilique Saint-Jean-François-Régis sous la direction de Pierre Bossan entre 1865-1880 ; encore sous cette direction, il conçut deux Anges debout en bronze sur les colonnes amortissant le maître-autel de Notre-Dame à Bourg-en-Bresse (Ain) ; à Saint-Héand (Loire) pour le tympan du porche de l’église, il figura le Bon Pasteur sous la direction de Sainte-Marie Perrin ; à la chapelle du château de La Brunerie (Isère) pour un Ange. Ces opportunités trouvent leur cause dans les relations proches qu’avait l’artiste avec ces commanditaires et architectes. Plus étonnantes sont les réalisations des Trophées des stalles du chœur de l’église de Neuville-sur-Saône (Rhône) en 1859, de la Vierge colossale du clocher de Notre-Dame de Verdelais près de Bordeaux en 1865, de Saint Louis de Gonzague dans la cour de récréation du collège de Montgré à Villefranche-sur-Saône (Rhône), de Saint Michel pour le tympan de la porte de la chapelle du château de La Salle (vers Mâcon), et des rondes-bosses pour le reliquaire des Rois Mages de Solesmes. Elles s’expliquent certainement par la connaissance des commanditaires.

De même, Paul-Émile Millefaut, sculpteur favori de Pierre Bossan et de Sainte-Marie Perrin, obtint des commandes en divers lieux, en fonction du travail de ces architectes.

J.-H. Fabisch qui fut un temps professeur de dessin au lycée de Saint-Étienne (Loire) reçut encore beaucoup de commandes pour la région stéphanoise même quand il s’installa à Lyon. En dehors de ces deux régions, il fit quelques œuvres dans des départements proches : le maître-autel en pierre de l’église de Bourbon-Lancy en 1857 (Saône-et-Loire), une statue de la Vierge en pierre pour Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), un édicule religieux en pierre pour la place Coligny en 1858 (Jura), une statue de pierre du Christ au Sacré-Cœur en 1874 à l’église de Gex (Ain), et même le maître-autel en pierre de la chapelle du couvent des Jésuites à Avignon en 1871.

J.-M. Bonnassieux qui s’installa dans la capitale, réussit à se faire connaître et obtint ainsi des commandes de diverses provenances291 en dehors de sa région d’origine et de Paris. De même pour Émilien Cabuchet, originaire de l’Ain : il étudia un temps à Lyon avant de s’installer à Paris ce qui lui permit d’obtenir des commandes d’origines plus variées. Aucune commande à Guillaume Bonnet n’est connue en dehors de la région, excepté la maquette de l’ostensoir de Notre-Dame de La Garde à Marseille en 1868. Jean Larrivé, mort à 53 ans, laissa assez de maquettes et de sculptures projets inachevés et n’intervint que peu en dehors de Lyon292. Legendre-Héral quitta Lyon une douzaine d’années avant sa mort pour la capitale où il reçut deux principales commandes : la statue en pierre de Saint Paul en 1845 à église Saint-Paul et Saint-Louis, et la statue en pierre de Saint Pierre en 1849 à l’église Saint-Denis-du-Saint-Sacrement. Vincent Fontan, Pierre-Marie Prost, Jean-Pierre Robert eurent des carrières modestes et travaillèrent pour des commandes locales – trouvant de manière inégale une compensation en pratiquant la sculpture funéraire –, excepté l’autel de l’église de Saint-Amour (Jura) par Prost, pour sa ville natale.

Toutefois, l’art religieux lyonnais est fortement présent au sanctuaire de Lourdes, par l’intermédiaire de J.-H. Fabisch pour la statue de la Vierge en marbre en 1864 à la grotte, la statue de la Vierge en marbre en 1865 à la crypte de la basilique, le groupe pierre de Saint Dominique recevant le chapelet en 1865 à la basilique ; par Charles Dufraine qui réalisa les maquettes de Saint-Joseph couronné et de l’Immaculée-Conception pour l'ostensoir de Notre-Dame de Lourdes ; par Émilien Cabuchet pour deux marbres non-identifiés293 (vraisemblablement une Notre-Dame de Lourdes 294 et un Sacré-Cœur 295).

Pour la Vierge de la grotte, Fabisch la sculpta en marbre de Carrare, d’après les données de Bernadette Soubirous qu’il rencontra en septembre 1863. Réservée lorsqu’elle vit la maquette, la jeune fille ne reconnut pas sa « Dame » dans l’œuvre finale, estimant « on lui a fait un goitre ! »296. Malgré tout, l’Écho de Fourvière estimaient que Fabisch avait su répondre aux conditions de l’art, à la tradition et aux circonstances297.

La sculpture religieuse dans la seconde moitié du XIXe siècle à Lyon importa peu d’artiste ; hormis François-Édouard Clauses (Paris 1824 – Lyon 1884), sculpteur ornemaniste travaillant aussi le bois, semble être venu faire carrière dans la région lyonnaise et avoir travaillé en partie dans le domaine religieux298. Enfin, elle exporta vraisemblablement modérément, c’est-à-dire davantage grâce à l’opportunité de relations, que par notoriété publique.

Notes
290.

L’autel de cette chapelle fut réalisé par Sainte-Marie Perrin fils : Myriam Civier, Charles Dufraine 1827-1900, inventaire de la sculpture religieuse (2 vol.), Université Lyon II, mémoire de maîtrise d’histoire de l’art, 1996, tapuscrit, pp. 154-155. H. Rivoire, Monographie de la paroisse de Saint-Charles à Saint-Étienne, 1825-1927, 1927

291.

Ange, pour le tombeau du duc d'Orléans, chapelle royale de Dreux (Eure-et-Loir), 1845. Résurrection, bas-relief, pierre, 1846, chapelle royale à Dreux. Vierge, bois, 1847, Wimille (Pas-de-Calais). Multiplication des pains, bas-relief, 1856, Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées). Vierge aux anges, groupe marbre, 1856, chapelle du baron Menu du Ménil à Brest (Finistère) ; répétition pierre à Salies-du-Salat (Haute-Garonne), 1891. Immaculée Conception, statue de pierre, 1857, Lanterne de la cathédrale de Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais). Notre-Dame de France, statue de bronze coulée avec les canons pris à Sébastopol, 16 m de haut, 1860, Le-Puy-en-Velay (Haute-Loire) ; répétition aluminium, 1869, Grand Séminaire de Nantes ; pierre, 1874, Grand séminaire de Bourges. Vierge, statue bois doré, 1860, église de Saint-Pierre-des-Trépieds (Lozère). Le Christ, Saint Pierre, Saint Paul, statues pierre, 1862, cathédrale de Boulogne-sur-Mer. Cardinal Gousset, statue marbre, 1872, église Saint-Thomas à Reims. La Naissance du Christ et La Fuite en Égypte, bas-reliefs terre-cuite, 1880, église de Tremblay (vers Gonesse, Seine-et-Oise). Vierge Mère, statue bronze, 1882, à Villers-Bocage (Calvados). Mgr Guérin évêque de Langres, statue marbre, 1883, cathédrale de Langres. Mgr de La Bouillerie, monument de marbre, 1885, cathédrale de Bordeaux. Mgr Pie évêque de Poitiers, statue de marbre, 1887, cathédrale de Poitiers.

292.

Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, pierre, chapelle de l'Institution Saint-Joseph, à Roanne. Masque de Jeanne d'Arc, marbre, étude pour la statue de la cathédrale de Bourges.

293.

Alpes illustrées, « Émilien Cabuchet », Alfred POIZAT, 23 juillet 1892 (Grenoble).

294.

Express, « Une statue d’Émilien Cabuchet », 20 mai 1893.

295.

Journal de l’Ain, « Nécrologie, Émilien Cabuchet », J.-M. VILLEFRANCHE, mercredi 26 février 1902.

296.

Cette statue fut quand même copiée en quatre modèles et vingt-deux tailles par Tusey, en deux modèles par Durenne. Notons que la Vierge dorée sur le clocher de Notre-Dame de Fourvière par Fabisch, connaît le même défaut.

297.

« Faits Divers – Inauguration solennelle et bénédiction de la très sainte Vierge dans la grotte de l’apparition, à Lourdes », Écho de Fourvière, 1864, p. 133. Voir pp. 49

298.

Tombeau de la famille Teillard, 1865, cimetière de Loyasse à Lyon, avec l'architecte J.-J. Farfouillon, buste attribué à Elisabeth Guitton née Teillard. Tombeau ?rappe, d'après Giniez, cimetière d'Oullins. Lutrin de la cathédrale de Belley (Ain). Prie-Dieu, noyer, style gothique, exposition Lyon, 1884. collaboration à la décoration sculpturale de la basilique de Fourvière. collaboration aux travaux de l'église des Chartreux à Lyon.