Le Christ en croix est certainement la représentation sculptée la plus courante dans les églises ; car la mort du Christ Jésus sur la croix est la clef de compréhension de la foi chrétienne : le Verbe de Dieu s’est fait chair pour manifester aux hommes son amour, sa miséricorde et le salut pour tous. Chacune devait en posséder une, que ce soit en face de la chaire, ou dans le chœur (surtout de nos jours)
Cependant, par rapport à l’état des trente-neuf églises étudiées, treize exemplaires ont sans doute été changés412, voire totalement supprimés413, ou semblent n’avoir jamais existé414 ; enfin trois cas sont inconnus415.
Les dix exemplaires originaux toujours en place permettent de constater une certaine unité et de légères variantes. Tous les dix sont des Crucifix de grande taille – à la différence de ceux actuellement placés dans le chœur des églises –, les proportions du corps du Seigneur sont justes, ces croix sont appuyées contre un mur ou un pilier. Ces spécimens demeurent assez modérés dans l’expressivité, les types de poses sont distinguables en trois configurations : les exemplaires de Notre-Dame de Bellecombe (cat. 347) et de Saint-Bernard (cat. 481) sont très droits ; ceux du Saint-Nom-de-Jésus (cat. 316), de la primatiale Saint-Jean (cat. 905), de Saint-Denis (cat. 556), de la basilique de Fourvière, de l’Assomption (cat. 365), de Notre-Dame de Bon-Secours (cat. 362) introduisent un léger mouvement, enfin ceux de Saint-Bruno des Chartreux et de Saint-Pierre de Vaise (cat. 779) possèdent des déhanchements avérés mais qui ne sont pas forcément réalistes.
Les techniques ou matériaux employés peuvent tempérer ou accentuer l’effet produit par la position. Ainsi, l’aspect rigide et stéréotypé du Christ en croix de Notre-Dame de Bellecombe est accentué par sa blancheur un peu brillante, alors que les couleurs discrètes et relativement naturelles de celui de Saint-Bernard – ainsi que sa forme un peu naïve – lui donnent un aspect touchant.
À l’inverse, la blancheur des exemplaires du Saint-Nom-de-Jésus et de l’Assomption, leurs confère de la raideur et un aspect décalé. Malgré son léger déhanchement, la sculpture de marbre de la Crucifixion à la basilique de Fourvière, insérée dans le retable de Notre-Dame de la Compassion (cat. 99), est très conventionnelle, en décalage avec le sujet et le titre, l’expression de la douleur est extrêmement retenue. Sa représentation semble passer par un poncif pudique que tous les croyants pouvaient comprendre ; ici cette modération est teintée de classicisme et de grâce. L’exemplaire en carton-pierre de la primatiale qui imite la pierre patinée lui confère un aspect plus souple même si le geste demeure très conventionnel. La polychromie de celui à Saint-Denis apporte un réalisme toujours contenu, à la mesure de l’idéalisation de ses couleurs. Le grand Crucifix couleur de bois de Notre-Dame de Bon-Secours possède un mouvement plus prononcé, avec les bras plus en « V » et la tête en arrière, son aspect de bois évoque lointainement la sculpture du XVIIIe siècle.
Le Christ en Croix de Saint-Pierre de Vaise est le modèle de Lyon le plus maniéré. Sa position déhanchée n’est ni naturelle, ni n’exprime la souffrance de l’homme suspendue. Cette position stéréotypée ne correspond pas non plus au modèle appelé « Christ janséniste », dont les bras sont tendus dans la verticale de l'effondrement du corps, évoquant le supplice avec réalisme. Lorsqu’on lui prête un peu d’attention, elle est difficilement compréhensible : Si le XIXe siècle préfère une statuaire peu expressive, ni originale pour ne pas troubler la décence, même si ce mouvement est devenu des plus conventionnels, son déhanchement reste paradoxalement à la fois affecté et ambigu.
Le modèle de l’église Saint-Bruno-des-Chartreux date du XVIIIe siècle ; à juste titre – dans une église baroque –, il présente un contrapposto plus plausible. Celui de Saint-Polycarpe est aussi très contorsionné ; il semble se replier sur lui-même, mais malgré cette pose torturée, le visage est relâché, comme celui de quelqu’un inanimé. Cette position étrange et la croix dorée ornée de motifs peints rendent l’attribution au XIXe siècle improbable.
Enfin, des photographies anciennes permettent d’apercevoir des Crucifix disparus face aux chaires des églises de Saint-Martin d’Ainay, de Saint-Paul, de Saint-Just, de la Rédemption et du Saint-Sacrement (cat. 329). Ils sont de tailles inégales. Les modèles plus grands de Saint-Pothin et de Saint-Just auraient permis d’avoir un meilleur échantillonnage pour percevoir les ressemblances et divergences des modèles de Christ en Croix du XIXe siècle et des choix propres aux églises de Lyon.
Que cherchaient les sculpteurs du XIXe siècle en figurant le Christ en croix ? Aujourd’hui, on peut être déçu par le caractère édulcoré de ces œuvres. À l’inverse, en 1921, Luc Roville estimait à propos d’une œuvre de Mlle Monot « Le buste de M. Dulac est d’un bon style. Son Christ n’est qu’un homme suspendu »416. Le réalisme n’était donc pas apprécié – le modèle douloureux du Christ en croix en bois d’Augustin Préault pour l’église Saint-Gervais et Saint-Protais en 1840 ne fit pas d’émules à Lyon – et l’idéalisme était de mise pour ce sujet difficile.
À Saint-Pothin (il s’agissait à l’origine d’une grande Croix suspendue après une colonne en face de la chaire, maintenant supprimée, remplacée par une petite croix du XIXe siècle dans le chœur) de même à la Rédemption, Saint-Bonaventure, à Saint-Nizier, Saint-Paul, Notre-Dame Saint-Alban, Saint-Irénée, Saint-André, Sainte-Croix (exemplaire du XXe siècle à la place d’une grande peinture sur le chevet), Saint-François-de-Sales (XXe, cat. 594), Saint-Camille (XXe) ; à Notre-Dame Saint-Vincent, Saint-Augustin, Sainte-Blandine, les Croix ainsi rapportées dans le chœur sont vides (croix vide)
À Saint-Martin d’Ainay, à Saint-Just, à Saint-Pothin.
À l’église de l’Hôtel-Dieu, il s’agit d’une peinture dans le chœur, inconnu à Saint-Euscher
Bon Pasteur (non visité), Saint-Charles de Serin et l’Annonciation (qui sont détruites).
Salut Public « Salon de la Société lyonnaise des Beaux-arts (Premier article) », 22 mars 1923, Luc Rouville.