c) Autres représentations du Christ

1) Le Christ en gloire : trônant ou bénissant

Le Christ en gloire est une des plus anciennes représentations et l’un des modèles les plus traditionnels de figuration du Seigneur. À l’origine, son cadre figuratif est rigoureux et précis, que ce soit dans l’art byzantin ou dans l’art médiéval occidental ; cette liberté atteste de l’éloignement de la sculpture du XIXe siècle du symbolisme intransigeant (voir pp.191-194). Cependant, les églises de Lyon possèdent sept sculptures rappelant plus ou moins ce modèle, à cause des éléments de composition qui se rapportent à ce thème inspiré de la vision d’Ézéchiel : le Christ est assis, il bénit de la main droite et tient de la gauche le Livre, sa mandorle est souvent portée par des chérubins ou séraphins, une sphère sous ses pieds rappelle sa domination du monde visible et invisible, et les figures des évangélistes l’accompagnent (Ez 1, 5-6. 10, 12).

Les représentations les plus traditionnelles du Christ en gloire dans les églises de Lyon sont peut-être celles des tympans des églises de Saint-Martin d’Ainay (cat. 671) et de Saint-Pierre de Vaise (cat. 768) : elles citent clairement les Christ Pantocrator entourés du Tétramorphe qui se rencontrent dans la sculpture médiévale – à la manière des tympans des églises romanes, par exemple celui de Saint-Trophime d'Arles (deuxième tiers du XIIe siècle) ou bien de l'église de Saint-Julien-de-Jonzy (Saône-et-Loire, milieu du XIIe siècle). Cette référence à ce style passé illustre une des nombreuses tendances historicistes417 de l’art chrétien de la seconde moitié du XIXe siècle. Par exemple, pour l’architecture, le gothique418, le roman, voire le romano-byzantin, sont considérés comme des idéaux à suivre. Charles de Montalembert, dans L’Avenir, suivit par l’architecte Louis-Alexandre Piel, défendit le néogothique comme le style national et catholique approprié à la construction des églises. L’architecte Félix de Verneilh419 et l’archéologue Melchior de Vogüe défendirent le romano-byzantin en faisant découler le roman français du byzantin des églises de Terre Sainte, par le même chemin qu’avait pris l’évangélisation.

Sur le tympan de l’église Saint-Martin d’Ainay (cat. 671) réalisé en 1860 par J.-H. Fabisch, le Christ en majesté trône dans une mandorle. Il bénit de la main droite et tient de sa gauche le Livre de la Vie ; la mandorle est encadrée des quatre symboles animaliers des évangélistes (voir p. 274, 276-277). Les animaux sont vus en entier, posant la patte sur les Évangiles pour le lion et le taureau en bas, et le tenant dans les « bras », ou plutôt les serres, pour Matthieu et Jean au-dessus. Ces figures sont un peu stylisées de manière à rappeler l’art roman.

Le même schéma avait été employé pour le tympan de l’église Saint-Pierre de Vaise sculpté par Guillaume Bonnet vers 1853, avec en plus deux grands anges passant devant les quatre vivants pour tenir la mandorle. Cependant, ils ne tiennent pas leurs Évangiles, et la stylisation est différente, plus ronde.

Le maître-autel de Saint-Pierre de Vaise (cat. 775) présente une autre version du Christ trônant, entouré plus lointainement des évangélistes sous leur apparence humaine, chacun dans une arcade (voir pp. 275-276). Il est assis dans un quadrilobe sur fond de mosaïque doré, tenant à sa gauche le Livre ouvert et à sa droite un ciboire. Le drapé très plissé et complexe du vêtement rappelle les enluminures carolingiennes420. Ce plissé particulier fut aussi employé par d’autres artistes du XIXe siècle, comme Ernest Hébert (1817-1908).

Sur le maître-autel de l’église Sainte-Blandine (cat. 840), le Christ trônant entre sainte Blandine et saint Pontique, donnant à l’une la couronne et à l’autre la palme des martyrs, qui symbolisent leur victoire sur la mort, est la sculpture la plus éloignée du modèle traditionnel. Cependant, la pose hiératique du Seigneur, le plissé de ses vêtements et le geste large des bras évoquent lointainement – à cause de l’idéalisation selon les critères académiques et du contexte tout autre – le Christ du Jugement sur le portail de Sainte-Foy de Conques ; son pied posé sur l’escabeau rappelle le sarcophage du VIe siècle figurant Jésus au milieu des douze apôtres (musée du Louvre), aussi employé par Ernest Hébert pour les dessins de Sainte Geneviève et Jeanne d’Arc intercédant en faveur de la France auprès du Christ 421. Cette proximité des deux jeunes martyrs de Lyon avec le Dieu de gloire rappelle qu’en raison de leur partage de la Passion du Christ par leur martyre, ils sont invités à partager sa gloire.

Les trois autres Christ en gloire sont debout, bénissant et tenant le globe de la main gauche, à l’exemple du Christ sur le trumeau du portail de l’église Saint-Sauveur des Andelys (Eure, 27) au XIIIe siècle ; il s’agit du Christ Sauveur du monde – Salvator muni. Celui de Saint-Martin d’Ainay (cat. 691) est ainsi représenté très simplement, avec à la fois un peu de maladresse – sa chevelure et son visage – et de rigidité qui lui donne un aspect stylisé qui pourrait faire penser à une œuvre de peu de qualité du début du XXe siècle. Mais il s’agit très certainement de la sculpture de Léopold-Marie-Philippe de Ruolz-Montchal (an XIII – 1879) qui se situait à l’origine dans la chapelle de Saint Martin dont le style fut expliqué ainsi :

‘« L’art grec était son objectif préféré, mais il l’entendait en homme de son temps. Comme Chénier aspirait à faire des vers antiques avec un esprit nouveau, il tentait, lui, d’unir la belle forme hellénique aux expressions supérieures de l’esprit moderne et chrétien. C’est ce que prouvent les trop rares créations qui nous restent de lui, et notamment le Christ qui orne une des chapelles de notre église d’Ainay. »422

À la primatiale Saint-Jean, Le Sauveur du monde est représenté au centre de l’autel des archanges et de saint Maurice (cat. 893) où les cinq figures, délicatement sculptées, s’insèrent sous des arcades en plein-cintre dans un style néo-roman fin et gracieux. Pour la figure très soignée du Christ, ses pieds nus, la manière originale dont il est drapé, les proportions un peu courte de son corps – par rapport à la tête, aux pieds et aux mains – lui donnent un petit aspect primitif, alors que son visage et la finesse du ciselé sont caractéristiques de l’académisme de la seconde moitié du XIXe siècle. Le mélange est cependant très harmonieux.

L’église du Saint-Nom-de-Jésus possède une statue du Christ bénissant du XXe siècle, insérée dans le monument aux morts (cat. 309). Il est à la fois hiératique et simple ; les volumes sont nets et tranchés. Il existait peut-être un jeu voulu sur les proportions, mais le nez et les doigts de ma main droite bénissante ont été cassés et refaits de manière si maladroite que la statue est devenue disgracieuse et impossible à considérer avec justesse.

Notes
417.

Tendances historicistes ou archéologique qui ne cherchent qu’à reproduire ou poursuivre un modèle du passé, comme Jean-Baptiste Lassus, Tony Desjardins à Lyon.

418.

Les adeptes du néogothique ne s’attachaient pas forcément à ce style comme étant le plus approprié pour l’architecture religieuse, mais aussi pour sa méthode constructive et/ou son caractère national (qui faisait débat). Robin Middleton, David Watkin, Architecture au XIX e siècle, Gallimard/Electa, 1993, pp. 333-338. Jean-François Loyer, Histoire de l’architecture française, De la Révolution à nos jours, Paris, Mengès/éditions du patrimoine, 1999, pp. 124-125.

419.

Félix de Verneilh, L’Architecture byzantine en France, 1851 ; Melchior de Voguë, Syrie centrale, archéologie civile et religieuse (2 tomes), 1865 et 1877.

420.

Par exemple Le Tétramorphe, de la Bible de Vivien, dites première Bible de Charles le Chauve, Saint-Martin de Tours, 845, BNF ; Saint Marc des Évangiles d’Ebbon, Hautvillers, 2e quart IXe siècle, BM Épernay ; Saint Jean, des Évangiles du couronnement.

421.

Voir les nombreuses esquisses au musée Ernest Hébert à Paris, pour le décor de l’abside du Panthéon inauguré en 1884 (base Joconde).

422.

Antoine Mollière, Décentralisation, 20 mai 1879 (Lyon, Archives Municipales, coupures de presses sur Ruolz-Montchal).