1) Le Christ parmi les enfants

Le Christ et les enfants, est figuré trois fois dans les églises de Lyon. Ce sujet s’inspire entre autre du passage de l’Évangile de saint Matthieu : « Alors, on présenta des enfants à Jésus pour qu'il leur impose les mains en priant. Mais les disciples les écartaient vivement. Jésus leur dit : "Laissez les enfants, ne les empêchez pas de venir à moi, car le Royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent." Il leur imposa les mains » (Mt 19, 13-14 ou Mc 10, 13-14), d’où le titre parfois donné à ces scènes Sinite parvulos. Mais ce thème se fonde aussi sur les nombreux moments où Jésus enseigne au peuple, femmes et enfants compris (Mt 15, 30-38). Dans ces trois exemples, le Christ est assis au centre, entouré de plusieurs enfants avec quelques adultes se tenant un peu en retrait.

Le modèle du tympan latéral de l’église du Bon Pasteur (cat. 264) est le plus solennel. Le Christ est assis sur un trône et pose un pied sur un escabeau à la manière d’un Christ en gloire. Il ouvre les bras, regarde droit devant lui et est vêtu d’une tunique longue et d’une toge très plissées. Les enfants sont répartis symétriquement de chaque côté, ainsi que les adultes qui les accompagnent. Si l’attitude du Christ peut rappeler les schémas médiévaux des Christ en gloire, les personnages qui l’entourent sont par contre tout à fait classiques ; ainsi, le tympan allie un caractère « archéologique », à la manière de l’architecture de cette église construite par Clair-Tisseur, à la rigueur académique de la seconde moitié du XIXe siècle.

Le Christ et les petits enfants (cat. 746) sur l’autel de la chapelle de Saint-Vincent-de-Paul à l’église Saint-Paul présente toujours Jésus assis au centre sur un trône avec une composition très équilibrée. Mais, malgré cette première impression hiératique et la qualité relative de ce relief, les attitudes des enfants offrent un aspect vivant et charmant. Si le Christ demeure dans une attitude majestueuse – avec cependant de la grâce et un visage aux traits doux – deux petits enfants n’ont pas hésité à venir se blottir contre les jambes du Seigneur qui les accueille ; leurs attitudes distinctes sont à la fois intimistes et respectueuses. Sur la gauche une sœur aînée présente son petit frère qui touche du bout de ses doigts ceux du Christ ; il semble totalement absorbé et émerveillé dans sa « contemplation » du bout des doigts du Sauveur. De part et d’autre, ce sont deux mères agenouillées qui présentent leurs enfants.

Sur le tympan de Notre-Dame de Bon-Secours, Le Christ et les petits enfants (cat. 351) est représenté de manière plus souple. Jésus est assis au centre sur un muret qui traverse tout le tympan ; il pose son bras sur un enfant à sa gauche, tandis qu’il tend son autre bras vers trois plus petits qui se précipitent vers lui ; l’un d’eux a déjà nonchalamment appuyé ses bras croisés sur sa cuisse. Un homme à l’extrême gauche et une femme à droite, tous deux habillés à l’orientale, accompagnent les plus petits. En arrière plan, deux palmiers se dressent et donnent à la scène un contexte qui se veut fidèle, tout comme les costumes des parents. Ainsi, ce tympan allie un schéma assez traditionnel pour le Christ – qui le met toujours évidence – à une tonalité originale pour un édifice néo-roman, due à la fois à une composition relativement vivante et à cette touche orientale426.

Il est possible de rapprocher de ces trois scènes le relief de la chaire de la basilique de Fourvière (voir p. 173 et cat. 77) où Jésus est représenté en train de prêcher parmi le peuple, en particulier femmes et enfants. Malgré toutes les difficultés que rencontra la réalisation de ce projet à cause de son audace iconographique pour le début du XXe siècle, cette sculpture offre une quatrième vision du Christ parmi les enfants, qui témoigne d’une évolution dans la manière d’envisager cette figuration : elle va d’un conventionnalisme raide et sec à une image plus facile à aborder.

Sainte-Marie Perrin établit dans un premier temps un dessin général, qui sera repris par son fils Antoine ; le relief sculpté devait représenter Jésus prêchant. En 1920, Larrivé proposa un projet original pour ce sujet, sous la direction d’Antoine Sainte-Marie Perrin. Il provoqua la controverse parce que le Christ prêchant était représenté comme un enfant et que ses auditeurs étaient vêtus à la mode de 1920. Fernand Saint-Olivie, le chanoine Berjat et Mgr Lavallé jugèrent ce procédé « inadmissible dans le sanctuaire ». Le sculpteur rejeta les critiques alors que de son côté la Commission décida que, tant que cette idée ne serait pas modifiée, le projet ne serait pas approuvé. Ainsi, elle refusa un second projet présenté en 1924427. Le sculpteur mourut en 1928 sans avoir vu d’issue. Son ami Louis Bertola reprit l’iconographie de manière plus classique et le relief fut enfin exécuté en 1930 par la maison Guinet.

Le Seigneur est assis au centre, les jambes de profil ; il se tourne et ouvre les bras. Cette attitude n’est pas naturelle – ni usuelle dans la représentation de ce type de sujet – mais elle traduit cependant très bien la simplicité avec laquelle il enseigne les choses du royaume des cieux et accueille dans sa bienveillance tout un chacun. L’attitude de ceux qui l’entourent est très réussie : l’artiste a su rendre l’attirance personnelle qu’éprouve chaque membre de la foule qui arrive et reste pour écouter Jésus-Christ. On reconnaît à travers les costumes à la fois antiquisants et intemporels de ces gens, des personnes simples qui, dans leur quotidien, s’arrêtent un instant pour écouter Dieu qui leur parle par le Messie. Ils semblent sortir des feuillages – de leurs errements –, pour venir à la vérité, à la lumière qui les porte à l’épanouissement et leur donne la vie.

Ainsi, en osant déroger modérément au stéréotype, l’artiste n’a pas porté atteinte au sujet mais a su donner plus de vie et de sens à cette figuration ; elle parle au-delà du symbolisme figé des représentations conventionnelles de ce thème.

Notes
426.

Cette touche d’orientalisme dans les sujets religieux fut aussi exploitée en peinture comme moyen de renouveau iconographique, recherche de vérisme biblique et expressivité (voir Foucart, pp. 323-329)

427.

Commission du 3 septembre 1920 ; 14 mars 1924.