4) Le Christ au tombeau

Le Christ au tombeau est figuré cinq fois dans les églises de Lyon, toujours dans des « tombeaux » d’autel. On appelle ainsi la partie sous la table d’autel, en raison de la ressemblance de leur forme à celle des sarcophages antiques des premiers siècles de l’ère chrétienne. Le parallèle fait dans le vocabulaire et la configuration explique peut-être le choix assez fréquent – par amalgame – de représenter le Christ au tombeau à cet emplacement. De plus, le sacrifice de la messe qui y est accompli rappelle la mort et la résurrection de Jésus-Christ.

Deux types de représentation du Christ au tombeau se distinguent. L’une est la scène narrative de la mise au tombeau, moment où le corps du Christ est déposé, entouré de ses disciples et des saintes femmes. À Lyon, les exemples sont deux reliefs, sur le maître-autel de l’église Saint-Georges et sur le devant d’autel de la chapelle du Saint-Sépulcre à la primatiale Saint-Jean. L’autre type est le gisant du Christ, placé dans le tombeau de l’autel qui est alors creux comme le dessous d’une table ; c’est trois fois le cas à Lyon, pour l’autel de la chapelle du Calvaire à l’église de la Rédemption, pour la chapelle du Sacré-Cœur à l’église Saint-Bruno-des-Chartreux, et pour un élément récupéré de l’église précédente à Saint-Charles de Serin, aujourd’hui posé sur un socle de béton brut à côté d’une croix en bois dans le porche ; à titre de comparaison, mentionnons aussi un gisant du Christ dans le maître-autel de l’ancienne chapelle de l’Adoration Réparatrice, rue Henri IV.

À la primatiale Saint-Jean (cat. 892), le Christ est porté, avec le linceul sous son corps, par deux disciples barbus d’âge mûr, qui le tiennent aux pieds et à la tête au-dessus du sarcophage dans lequel ils s’apprêtent à le déposer. Comme une résonance, le devant du sarcophage rappelle fortement celui d’un devant d’autel, avec ses arcades et son quadrilobe au centre, marqué des initiales « IHS ». En arrière plan, un peu décalées sur la droite, les saintes femmes voilées pleurent. L’expression est sobre mais sans être inexistante ; le sculpteur a représenté la scène avec noblesse et humanité, aussi dignement et simplement que son ciseau est délicat.

À Saint-Georges (cat. 608), le Christ est posé au sol sur son linceul que deux disciples agenouillés tiennent à la tête et aux pieds. Derrière, les saintes femmes sont debout ; la Vierge au centre a les mains jointes en attitude de supplication, avec deux compagnes à la droite et une à gauche, probablement Marie femme de Cléophas et Marie Salomé, qui forment le groupe dit des « trois Marie(s) ». De plus, Marie-Madeleine accoure en venant de l’extrême droite ; à gauche saint Jean lui fait pendant en esquissant un mouvement vers le Christ. Dans les angles, dans des sortes de niches à l’intérieur de la scène, deux anges debout portent la couronne d’épines et les clous de la Passion. Ainsi, la composition est parfaitement équilibrée sans être écrasante ; la facture de la sculpture est assez fine, classique, mais le rendu des figures demeure stéréotypé.

Les quatre gisants du Christ au tombeau – en comptant celui de la chapelle de l’Adoration Réparatrice – témoignent de différents degrés entre l’idéalisme et un relatif réalisme ; toutefois, il ne prend jamais l’apparence d’un « transi ». Même au XVe et XVIe siècle430, son apparence n’alla jamais jusqu’au macabre, parce que le Christ avait affirmé « Je suis la résurrection et la vie » et parce que ressuscité avant trois jours, son corps ne connut pas la corruption.

L’œuvre à l’église de la Rédemption (cat. 245), à en juger par l’apparence du corps, serait parmi les plus idéalisées : aucun de ses os n’est saillant, son corps est posé à plat, parfaitement détendu. Il repose à même le sol sans coussin, ce qui est très dépouillé, voire réaliste ; pareillement, dans une intention funèbre mais sans morbidité outrageuse, sa bouche est entrouverte, son visage amaigri, les tendons de son cou sont bien apparents.

Le Gisant (cat. 140) réalisé par Fabisch431 entre 1876-1877 pour le maître-autel de la chapelle de l’Adoration Réparatrice est aussi dans un esprit assez pudique, avec des solutions formelles assez différentes. Ainsi, le Christ est enveloppé d'un linceul ; seul son côté droit est découvert et laisse entrevoir son épaule, la moitié de sa poitrine et surtout son côté transpercé par la lance. Sous sa tête, un gros coussin/reposoir relève son buste, ce qui est traditionnel. Néanmoins, le corps du Seigneur y est mal posé, sa tête tombe en arrière, attitude douloureuse qui évoque aussi l’abandon et le provisoire ; dans une attention semblable, sa jambe droite est un peu repliée : son corps mort semble avoir été déposé précipitamment, en référence au sabbat qui commençait (Lc 23, 53-56) et suggère la Résurrection inconsciemment attendue. Ce sculpteur, de goût assez proche du néoclassicisme, traduit le sacrifice du Sauveur en évitant de tomber dans une représentation macabre complaisante : il conserve la dignité du Seigneur en le représentant avec un corps athlétique pudiquement caché sous le suaire, la douleur est suggérée par la posture du corps mort.

Le Gisant (cat. 519) sculpté par Rodolphe Galli432 dans l’autel du Sacré-Cœur à l’église Saint-Bruno-des-Chartreux possède une disposition voisine de celui de Fabisch, c’est-à-dire le buste remonté sur un appui-tête. Cependant, il est représenté avec un peu plus de réalisme. Le corps du Sauveur est simplement masqué par un pagne, ce qui laisse voir son ventre creusé, une large cage thoracique à l’ossature un peu apparente, ses clavicules très marquées, et ses jambes assez fines aux muscles légèrement saillants, un peu repliées et croisées, comme pour permettre au corps de tenir dans un tombeau trop court ; son visage semble aussi plus âgé que la normale, peut-être vieilli par cette mort douloureuse. Sacrifiant un peu de pudeur pour quelques accents de vérisme, cette représentation du Christ au tombeau reste respectueuse et posée, grâce à un corps qui laisse deviner une saine vigueur, même après le martyre subit, et un visage digne même dans cet abandon.

Le Christ au tombeau de Charles Dufraine pour l’église Saint-Charles de Serin est le plus naturaliste des quatre et sans doute le plus expressif. Tout comme celui de Fabisch, il est posé sur un appui-tête qui remonte son buste, mais sa tête part en arrière et sa nuque est un peu cassée. Il est couché sans reposer totalement à plat sur son linceul, dont un pan revient et masque ses hanches. En effet, son bassin se tourne légèrement de profil, et sa jambe gauche, à l’opposé du spectateur, vient passer devant l’autre. Cette attitude permet aux fidèles de mieux le voir, tout en donnant une impression plus spontanée, comme s’il avait été déposé là dans la précipitation, sans avoir été bien disposé. Aussi, ce geste fait davantage penser à la déposition, qu’au Christ dans son tombeau. Ses bras sont le long du corps mais sa main gauche est posée sur la hanche ; son corps semble complètement décontracté tout comme l’expression de son visage, la tête un peu relâchée en arrière et les lèvres légèrement entrouvertes. Charles Dufraine a rendu avec beaucoup de soin sa musculature et son anatomie, sans idéalisation exagérée, ni réalisme choquant : son ventre s’est creusé et on devine sa musculature, les os de sa cage thoracique qui ressortent, conformes, mais sans décharnement trop prononcé, ils rappellent simplement que ce corps est mort, de même, le bras droit visible au premier plan possède des muscles bien représentés, marqués et détendus à la fois, suggérant ainsi que ce corps a perdu son souffle de vie. Tout en restant très pondéré, Dufraine a davantage osé rappeler qu’il s’agit d’un cadavre avec plus d’exactitude anatomique, mais en respectant sa dignité ; il a aussi joué sur sa disposition, il lui donne un aspect abandonné qui rappelle la solitude du Christ sur la croix qui a accepté ce martyr par amour des hommes et pour les sauver.

Notes
430.

Michel Martin, La statuaire de la Mise au tombeau du Christ, 1997, Paris, Picard éditeur, p. 83.

431.

Signé sur le socle dans l’angle à droite sous les pieds.

432.

Signé Galli sur l’appui-tête.