g) Saint Joseph

Saint Joseph est représenté quarante-quatre fois dans les églises de Lyon. Sur les trente-neuf églises prises en comptes, seules cinq482 semblent en n’avoir jamais possédé. C’est là un rapport qui témoigne du succès de cette dévotion. Ce chiffre est d’autant plus impressionnant lorsqu’on constate qu’une seule de ces statues ne date pas du XIXe siècle : il s’agit de celle à l’église Saint-Polycarpe (cat. 793), datant du XVIIIe siècle.

Ces figurations de saint Joseph483 se répartissent en trois grands types relativement équilibrés. Les deux principaux sont des statues de Saint Joseph seul – dix-sept exemplaires –, puis Saint Joseph avec l’Enfant Jésus – treize – ; viennent ensuite huit sculptures de la Mort de saint Joseph, dévotion d’une importance toute particulière à cette époque. À celles-ci s’ajoutent six représentations plus exceptionnelles, quatre figures d’épisodes narratifs de la vie du saint sur un retable qui lui est consacré à l’église Saint-Bonaventure (cat. 510) ; de même un sur le devant d’autel de la chapelle Saint-Joseph à l’église de l’Hôtel-Dieu ; une autre illustre symboliquement un concept, sur un tympan de l’église du Bon Pasteur.

La dévotion à saint Joseph s’est développée relativement tardivement. Le théologien Jean Gerson le mit à l’honneur à la fin du XVe siècle. Il demanda au Concile de Constance en 1414-1418 d’instituer la fête des Fiançailles de saint Joseph484, et ce fut le pape Sixte IV (pape de 1471 à 1484) qui introduisit cette fête au calendrier liturgique romain. La Mort de saint Joseph fut prise comme idéal, d’après des écrits apocryphes485 et grâce à promotion par le dominicain Isolanus au XVIe siècle. En effet, le saint aurait été soutenu à ce moment-là par le Christ et les archanges Michel et Gabriel auraient protégé son âme, d’où son invocation comme patron de la Bonne mort. Il devint aussi le saint patron des corporations de charpentiers et menuisiers486. Toutefois, ce fut seulement en 1847 que Pie XI établit officiellement le patronage de saint Joseph. Cette dévotion se répandit d’abord parmi les carmes et les servites, des ordres religieux ayant une dévotion particulière pour la Vierge ; puis après le Concile de Trente, chez les carmélites par l’intermédiaire de sainte Thérèse d’Avila, et chez les jésuites avec saint Ignace de Loyola (qui vénèrent tout particulièrement la sainte Famille) ainsi que les visitandines avec saint François de Sales. En 1621, le pape Grégoire XV décida la célébration de la mémoire du père nourricier du Christ par toute l’Église le 19 mars. Mais, le jour fut institué en fête seulement en 1870, par Pie IX, en même temps qu’il fut proclamé patron de l’Église universelle. On comprend ainsi la multiplication des représentations du saint dans la seconde moitié du XIXe siècle. Toutefois, il faudrait connaître la datation exacte de ces statues pour savoir si l’Église n’a fait que confirmer un zèle populaire, ou au contraire si les décisions de l’Église ont favorisé le développement de cette piété.

À Lyon487, où la figuration de Saint Joseph solitaire est la plus répandue, il est possible de distinguer deux sous types, en fonction de l’attribut qui lui est adjoint : le lys ou les outils de charpentier. Ainsi, il est accompagné dix fois du lys488, deux fois de ses outils489 – mais il s’agit de deux œuvres du début du XXe siècle –, deux fois avec ces deux attributs490, et trois fois sans attribut491. La présence des outils est sans équivoque dans le symbolisme, ils rappellent le métier du père nourricier du Christ, qui apparaît alors comme exemple en tant que chef de famille travailleur et consciencieux. Cependant, l’emploi du lys est plus ambigu. Cette tige pourrait témoigner de l’épisode du choix de l’époux de Marie, lorsque le prêtre désigne comme fiancé le prétendant dont la baguette fleurit miraculeusement ; dans ce cas, il ne s’agirait pas de représenter cette plante avec naturalisme, mais un bâton avec des fleurs – d’amandier selon la légende –, comme cela est clairement le cas pour les modèles jumeaux des églises de Saint-Martin d’Ainay (cat. 675) et de Saint-Bruno-des-Chartreux (cat. 516). Le lys est avant tout le symbole de la chasteté, il renvoie donc essentiellement à l’absence de consommation charnelle du mariage avec Marie, à la virginité de son épouse et à la conception de Jésus par l’Esprit Saint. Aussi, cette fleur représente parfois plus que la chasteté et la pureté, c’est l’attribut des vierges ; selon certains théologiens du Moyen-âge, saint Joseph était lui-même vierge ; toutefois, cette croyance ne s’est jamais développée et était peut-être même ignorée au XIXe siècle. Dans la statuaire du XIXe siècle, ce lys est certainement avant tout le rappel et le cautionnement que Joseph n’est pas le père charnel mais l’éducateur et protecteur de l’Enfant Jésus, que ce dernier est bien le Fils de Dieu et le Messie.

Figurer saint Joseph seul, ne semble pas avoir été toujours évident pour les sculpteurs. La réussite de ce sujet repose principalement sur l’expressivité du visage, et il ne s’agit pas non plus de traduire une émotion passagère mais les caractéristiques de son âme : humilité, dignité, bonté. Aussi, la délicatesse des traits de sa personnalité sont un véritable piège pour le sculpteur, menaçant de faire échouer la représentation dans le naïf, voire l’insipide. C’est le cas des figures au Saint-Nom-de-Jésus (cat. 311) – dont le style se veut peut-être naïf pour rappeler la sculpture médiévale, et l’harmoniser au style de l’église – et à l’église de Notre-Dame de Bon-Secours (cat. 357) où l’absence d’expression se combine à un sourire niais qui aurait peut-être voulu exprimer la bonté. L’exemplaire à Saint-Polycarpe (cat. 791) est de même décevant : au vide de son regard et de son visage s’ajoute un geste esquissé incompréhensible ; rappelons qu’il s’agit d’une des statues décoratives de l’architecture, dans un goût baroque tempéré. Cinq statues expriment avant tout la douceur et la bonté, mais aussi la dignité et l’humilité de Joseph, il s’agit de celles à Saint-Irénée (cat. 630), à Saint-Charles de Serin (cat. 529), à Saint-Georges (cat. 605), à Saint-Eucher (cat. 564) et à Sainte-Blandine (cat. 838). En les comparant avec attention, il est possible de distinguer avec quelle subtilité chacune porte un accent différent, mettant en avant un de ses quatre traits de caractère. Quatre autres mettent plus en avant sa dignité, avec toujours une petite touche particulière : Saint Joseph à Notre-Dame Saint-Vincent (cat. 430) est digne et viril, celui de Saint-Denis (cat. 552) est digne et bel homme, celui de Saint-Bruno-des-Chartreux est digne voire majestueux – ce qui s’explique par le fait qu’il soit représenté en tant que patron de l’Église universelle –, son jumeau, celui de Saint-Martin d’Ainay, a par contre un petit air exalté, enfin celui de Sainte-Croix (cat. 853)492 possède beaucoup de dignité, exprime le calme, la force, l’humilité, la noblesse, sur un très beau visage. Ainsi, les sculpteurs du XIXe siècle rejettent l’image d’un saint Joseph vieillard, pour celle qui fut adoptée par les théologiens dès le XVe siècle et par les artistes dès le XVIe siècle : un homme dans la force de l’âge, plus concordant à sa dignité de chaste époux de la Mère de Dieu, dont le rôle est à la fois de veiller sur Marie, de garantir sa virginité et l’origine divine de Jésus et d’assurer l’éducation de cet Enfant qui lui est confié par Dieu.

Parmi les figures de Saint Joseph solitaires, trois autres sont plus insolites. Celle en bois de l’église Saint-Joseph des Brotteaux (cat. 640) le montre en orant, la tête levée vers le ciel, les bras à moitié dépliés devant lui avec les paumes face au ciel. Il a un air exalté assez surprenant pour une représentation de ce saint. L’œuvre de Louis Castex à l’église de Notre-Dame de Bellecombe (cat. 392) le montre songeur et interrogatif : debout, le bras droit appuyé sur un outil, il s’est arrêté de travailler, songeur, le regard tourné vers le bas, il a porté sa main gauche au menton et porte l’index contre la bouche. Cette statue porte le titre de Saint Joseph méditant sur le mystère de l'Incarnation, est une image plus traditionnelle493. Enfin, la petite sculpture du XXe siècle à l’église Saint-Augustin présente un Saint Joseph (cat. 452) tout autre : appuyé sur ses outils, il se campe fièrement, levant le regard.

La représentation de Saint Joseph avec l’Enfant Jésus est un type iconographique qui s’est développé à partir du XVIe siècle, d’après la dévotion qu’en avait sainte Thérèse d’Avila. Parmi les treize exemplaires de Lyon, deux alternatives se distinguent : huit Saint Joseph à l’Enfant solennels, où il présente nettement l’Enfant, ce dernier se tournant parfois vers nous pour bénir494 ou s’offrant bras ouverts495 ; et cinq Saint Joseph à l’Enfant « de tendresse », l’Enfant sommeille avec confiance contre sa poitrine496 ou se retourne vers lui avec un geste tendre497. Tout comme pour les Saint Joseph seuls, ces statues de Saint Joseph à l’Enfant Jésus sont plus ou moins réussies. La sculpture industrielle rencontre davantage de défaillances, bien que certaines ne soient pas dépourvues d’agréments, et qu’à l’inverse quelques originaux connaissent la médiocrité.

L’exemplaire qui se retrouve à Notre-Dame Saint-Louis de la Guillotière (cat. 414) et à Saint-Nizier (cat. 718), dû à l’atelier de P. Vermare est inexpressif et insipide. La statue à l’église du Sacré-Cœur, issue de l’industrie du début du XXe siècle, est gracieuse, les expressions sont douces et gentilles mais superficielles et figées. Celle de l’église Saint-Camille qui présente l’Enfant bénissant, devant dater de la même période, manifeste davantage la dignité et le calme du saint. Ces sentiments s’adaptent plus facilement à cette statuaire industrielle qui ne semble pas pouvoir rechercher l’originalité ou l’éloquence, de peur de promptement tomber dans le vulgaire ou l’artificiel. La statue à l’église Saint-André de la Guillotière (cat. 440) qui semblerait être un original en pierre calcaire, pour laquelle le petit Enfant tend le bras vers la barbe de Joseph dans un geste plein de douceur, est un peu décevant dans l’expression des visages. Celui de Joseph, tourné vers l’Enfant, est passablement doux mais son regard est perdu dans le vide. Jésus est assez gracieux mais son attitude est artificielle et son apparence n’est pas celle d’un nourrisson. Le Saint Joseph à l’Enfant de l’église de l’Hôtel-Dieu semble être en terre cuite. Le visage conventionnel du saint manifeste quand même la douceur, la dignité, voire un peu de tristesse. L’Enfant bénit et tient le globe, n’a rien d’un nouveau-né mais son visage délicat rappelle ceux des poupons de faïence. À l’inverse, si la sculpture de marbre de l’église Saint-François-de-Sales (cat. 585) est d’une facture très soignée, les sentiments sont absents. Saint Joseph, un peu sec, à l’allure d’un patriarche romain, il ne fait que présenter l’Enfant en regardant vaguement dans sa direction, et Jésus est un garçonnet dont le visage ne semble pas correspondre à la taille du corps, et dont l’attitude très symbolique, d’accueil et d’offrande vers nous, est dépourvue de naturel. Mais, figurer saint Joseph comme offrant le Christ qui lui ne fait que nous bénir, est un choix délibéré. La sculpture de Paul-Émile Millefaut pour la crypte de la basilique de Fourvière (cat. 148)498, illustre encore plus nettement ce parti pris. Les gestes des deux protagonistes sont sans équivoque, leur allure est majestueuse et noble, toujours avec un petit air romain procuré par les vêtements et les coiffures. L’artiste a clairement travaillé les expressions des visages, pleins de dignité et de gravité, avec quelques nuances pour chacun : à celui de l’Enfant, entrain de bénir d’un geste large et posé, s’ajoute un air sérieux qui énonce le sens de la responsabilité ; sur celui de Joseph se lisent un peu plus de douceur ainsi que de la tristesse. Même si l’Enfant est totalement idéalisé et majestueusement posé, son visage un peu poupin et son corps aux proportions harmonisées et enfantines, le rendent plus agréable et plus vraisemblable que celui de Saint-François-de-Sales.

La résolution choisie pour les Saint Joseph à l’Enfant dans les églises de Saint-Bonaventure, de la Rédemption, de Saint-Pothin et de l’Immaculée Conception est à l’opposée de celle de Fourvière et de Saint-François-de-Sales. Il ne s’agit plus de présenter majestueusement l’Enfant divin, mais un Dieu qui s’est incarné par amour des hommes et fait si petit qu’Il est devenu ce nourrisson sommeillant dans les bras de Joseph. Cependant, les poses et les expressions de ces quatre exemplaires varient encore. À Saint-Bonaventure (cat. 510)499, le visage de Joseph exprime avant tout le calme, mais toute son attitude manifeste à la fois de la tendresse et une certaine préoccupation : sa joue se rapproche de la tête du joli Enfant joufflu, mais son regard est perdu au loin, il parait songeur ; il le tient sur son bras gauche sans le serrer contre lui, mais sa main droite supporte un petit pied dans un geste simple d’attention familière. Saint Joseph semble se soucier pour cet enfant particulier confié par Dieu et qu’il aime comme le sien. Le petit Christ s’est endormi en appuyant son bras sur la poitrine de Joseph, afin d’y poser sa tête ; son autre bras repose à demi plié la main ouverte, comme s’il tenait encore quelque chose dans le creux. Son attitude exprime plus que la confiance ; il semble s’être approprié Joseph et s’abandonner tranquillement à sa protection. À l’église de la Rédemption (cat. 247), saint Joseph a toujours l’air préoccupé, il est un peu plus âgé et plein de gravité voire même de tristesse. Cette fois, il regarde l’Enfant et le tient blottit contre lui avec beaucoup d’attention. Il le porte sur son bras gauche, tout en l’enveloppant un peu dans son manteau, et le retient de la main droite. L’Enfant s’est endormi complètement appuyé sur l’épaule du saint, et c’est lui qui tient la symbolique fleur de lys contre son père protecteur. Cependant, le visage du Christ n’est pas celui d’un nourrisson, ses traits sont assez fins et traduisent la sérénité, le tendre et confiant abandon d’un enfant heureux. Les versions de Saint Joseph avec l’Enfant des églises de Saint-Pothin (cat. 810) et de l’Immaculée Conception (cat. 234) sont de traitements extrêmement différents mais l’agencement est identique : l’Enfant repose sur la main gauche de Joseph qui tient de l’autre main le lys, il s’est endormi le dos appuyé contre la poitrine de son père, et penche un peu sur la gauche, les bras ballants. À l’Immaculée Conception, saint Joseph incline vaguement la tête en direction de l’Enfant, et même très stylisé, ce visage exprime la douceur, l’humilité et la gravité, tandis qu’à Saint-Pothin, il le regarde avec une attention tendre et inquiète. Toutefois, les procédés techniques diffèrent du tout au tout : la statue de l’Immaculée Conception est en bois, certainement de la première moitié du XIXe siècle, l’ensemble est assez monolithe et élancé, les drapés simples et un peu aplatis ; celle de Saint-Pothin est en plâtre (ou en pierre), les volumes sont généreux et bien découpés. L’Enfant est très potelé, les drapés nets, voire géométriques, de même le crâne dégarni de saint Joseph, les traits de son visage, sa chevelure et sa barbe offrent la même douceur et précision dans les volumes.

Il est moins aisé de distinguer le parti que voulut prendre le sculpteur du Saint Joseph à l’Enfant (cat. 747) de l’église Saint-Paul. Saint Joseph soutient l’Enfant et nous le présente, mais l’expression de son visage est peu lisible. Cependant, l’Enfant aux proportions poupines, très penché vers nous, ouvre les bras, sourit et s’agite avec un mouvement enfantin et spontané, manifestant son intérêt pour le visiteur qui passe à ses pieds. En observant de plus près le visage de saint Joseph, on remarque sa stylisation : petits yeux en amandes un peu rapprochés et rieurs, lèvres étroites, barbe aux frisures peu saillantes et creusées ainsi que la tête qui semble s’avancer. Ces éléments rappellent la sculpture gothique, sans doute le sculpteur chercha à donner à son œuvre une tonalité stylistique adaptée au retable néogothique qui l’abrite.

La Mort de saint Joseph est figurée neuf fois, le plus souvent en relief500 pour des devant d’autel501, excepté à l’église de l’Hôtel-Dieu (cat. 223) où il s’agit d’un retable composé de rondes-bosses et à l’église Notre-Dame Saint-Vincent où le bas-relief (cat. 430) décore le socle de la statue de Saint Joseph. Le schéma est presque toujours similaire, se conformant à l’iconographie la plus courante : Saint Joseph est couché avec les mains jointes dans une attitude de prière – excepté à l’église Saint-Paul (cat. 747) où ses mains sont simplement croisées sur ses cuisses, à Saint-Just (cat. 658) où la Vierge tient un de ses bras et l’autre tombe ballant, et à l’église de l’Hôtel-Dieu où il tient un lys d’une main alors que l’autre bras reste le long du corps – ; le Christ le soutient et lui montre le ciel – sauf à Notre-Dame Saint-Vincent où le Christ le supporte des deux bras, à l’église de l’Hôtel-Dieu où il le prends avec tendresse par les épaules, à l’église Saint-Paul où l’on ne sait pas si le Christ se désigne lui-même, ou s’il fait un geste de rhétorique, ou s’il désigne autre chose, à l’église Saint-Paul où il bénit ou indique le ciel –  ; la Vierge prie, le plus souvent à genoux, ou debout au centre derrière le lit à Notre-Dame Saint-Vincent – hormis à Saint-Just où elle a pris la main du mourant et surveille les battements de son cœur de l’autre, à l’église de l’Hôtel-Dieu où elle a posé une main sur celle de Joseph et tient l’autre repliée sur sa poitrine. On remarque que saint Joseph est systématiquement endormi ou inconscient, et semble déjà trépassé ; seul l’attitude du Christ et de la Vierge font comprendre que ce n’est pas le cas. Le superbe devant d’autel à l’église Saint-Bonaventure (cat. 510) se distingue : saint Joseph tient fermement ses mains jointes, redressé par des coussins et soutenu par le Christ, il bascule un peu sa tête en arrière, levant les yeux pour regarder le Sauveur avec dévotion et entière confiance. Ici, le saint vieillard, au centre de la scène, est bien conscient. Par ailleurs, c’est la seule réalisation où sont présents des disciples ou des apôtres. Habituellement, saint Joseph, la Vierge et le Christ sont seuls, ou accompagnés d’un ange à Notre-Dame Saint-Vincent : peut-être un lointain écho de la tradition selon laquelle son âme fut protégée à ce moment-là par les archanges Michel et Gabriel. À Saint-Bonaventure, l’artiste a soigné les attitudes et les visages des quatre disciples et des deux saintes femmes, mais aussi le décor, avec la couche de Joseph, et en arrière plan la lampe à huile ainsi que le lys dans un vase sur une tablette. Ce sont des éléments symboliques se retrouvant fréquemment dans cette scène. Parmi les sculptures étudiées, le lys se retrouve quatre fois502, et la lampe – symbole du souffle de vie, de l’âme et de la vigilance – deux fois503. De même, ces sculptures possèdent des décors plus ou moins recherchés : à Saint-Bonaventure, à la Rédemption (cat. 247), et à Notre-Dame Saint-Vincent, on reconnaît l’intérieur d’une maison ; pour le retable à l’église de l’Hôtel-Dieu le sculpteur Charles Dufraine fait figurer en bas-relief une ville antique au-dessus d’une tenture, en fond des rondes-bosses, un peu à la manière des retables de La Crucifixion et de L’Assomption qu’il réalisa à la basilique de Fourvière. À l’inverse, le relief du devant d’autel de l’église Saint-Paul et ceux identiques des églises de Saint-Georges (cat. 605) et Saint-André (cat. 440) sont entièrement dépouillés, ne figurant que Joseph, la Vierge et le Christ. De même les rondes-bosses à l’intérieur du tombeau du maître-autel de la crypte de la basilique de Fourvière (cat. 109) sont sans mises en scènes. Leur insertion dans ce riche autel ne permettait pas de décorum ni la multiplication des figures, toutefois la délicate expression des visages et la finesse de leur exécution suffisent à en faire un chef-d’œuvre de Paul-Émile Millefaut.

Le beau retable de la chapelle Saint-Joseph à l’église Saint-Bonaventure (cat. 510) présente Joseph dans d’autres scènes qui se rattachent, soit à la vie de la Vierge, soit à celle de l’enfance de Jésus. Cependant, nous les examinons ici – non pas avec les représentations de la Vierge ou de la sainte Famille – car ces sculptures en lien les unes avec les autres sont faites pour mettre en avant le rôle de Joseph dans le dessein salvateur de Dieu par la médiation du Christ. Sur cet ensemble figurent : Le Mariage de la Vierge et de saint Joseph, L’Ange apparaissant en songe à saint Joseph, La Fuite en Égypte, La Sainte Famille dans l’atelier de Joseph charpentier, La Mort de saint Joseph, Le Couronnement de saint Joseph 504 .

Le Mariage de la Vierge et de saint Joseph, dans une composition traditionnelle, figure aussi sur un retable à l’église de la Rédemption (voir pp. 230-231), mais consacré à la Vierge. Toutes les petites figures qui composent ce retable sont sculptées avec beaucoup d’agilité et leur style est raffiné. Il en va de même pour L’Ange apparaissant en songe à saint Joseph 505 , scène qui se déroule dans une chambre à coucher. Selon l’Évangile de Matthieu (Mt 1, 19-24), lorsque Joseph se rendit compte de la grossesse de Marie, avant qu’ils n’aient été ensembles, il pensa la répudier discrètement, mais l’Ange lui apparut en songe pour lui expliquer ce don de Dieu et lui demander de s’occuper de Marie en la prenant chez lui. Ainsi, le sculpteur représente Joseph sur sa couche, la tête dans la main : il s’est endormi en réfléchissant à ce dilemme et perdu dans ses affres. L’Ange apparut trois fois à Joseph, la seconde étant pour le prévenir des desseins meurtriers d’Hérode et lui préconiser de le fuir en allant se réfugier en Égypte (Mt 2, 13), la troisième pour lui annoncer qu’ils pouvaient retourner au pays (Mt 2, 19-20). Il est sans doute difficile de distinguer les deux premières apparitions, Joseph étant certainement soucieux dans les deux cas ; cependant l’attitude de l’Ange pourrait varier, en le pressant de partir. La Fuite en Égypte est fréquemment représentée dans la sculpture médiévale506 et moins dans la sculpture moderne507, mais à l’avantage de la peinture508. Saint Joseph, bâton en main, marche en tête et se retourne pour regarder l’Enfant et Marie. Marie est assise sur l’âne comme sur un banc, elle tient appuyé sur sa cuisse et dans ses bras, l’Enfant endormi. L’arrière-plan représente en bas-relief, un palmier, les montagnes du désert, et plus au fond encore une pyramide. Les parents regardent tous deux Jésus ; ainsi, bien qu’il soit paisiblement endormi, il est au centre de l’action. La scène est sereine malgré le dramatisme de la situation. À l’église Saint-Médard de Tremblay-en-France, Bonnassieux avait représenté ce sujet de manière bien différente, avec une composition extrêmement simple mais animée d’un élan exprimant judicieusement la fuite. Bien que le modelé de cette terre cuite soit moins fin et suave que le marbre à l’église Saint-Bonaventure, l’attitude des personnages est expressive : Joseph, qui guide la monture, se retourne pour veiller sur l’Enfant et Marie ; la Vierge, penchée en avant, les vêtements flottant en arrière, serre précieusement contre elle le petit enfant, comme pour le protéger du vent du désert. Là encore – malgré la simplicité de la composition – quelques palmiers évoquent la région où se déroule l’action509.

Saint Joseph travaillant dans son atelier accompagné du Christ enfant et de la Vierge, est tantôt représenté pour l’exemple qu’est la sainte Famille, tantôt par attirance pour le mystère de l’enfance du Christ, ou encore pour montrer le rôle de Joseph510. Ici, saint Joseph est à droite entrain de taper au marteau sur son établi, en face de lui le petit Christ le regarde et tient aussi un léger marteau pour imiter son père adoptif. Derrière lui, la Vierge debout semble tenir une quenouille. Sur le fond de la niche, pour figurer les murs de l’atelier de Joseph le sculpteur a représenté une collection d’outils pendus. La même scène est représentée sur le devant de l’autel de la chapelle de Saint-Joseph à l’église de l’Hôtel-Dieu (cat. 223), sauf que le plan de travail est vu de front dans le sens de la longueur et la sainte Famille s’organise autour : Joseph est au centre entrain de scier, Jésus au bout à gauche tape au marteau, Marie est assise à l’opposé et travaille à la quenouille, son visage est surprenant de jeunesse, elle semble être une jeune fille de quatorze ans. Le format du relief a fait rencontrer quelques difficultés au sculpteur Charles Dufraine : saint Joseph qui figure debout, n’a pas la place pour être suffisamment grand en comparaison des proportions de Jésus et de Marie, ainsi, il est plus petit que cette dernière qui par contre semble beaucoup plus jeune. Des outils sont accrochés ensemble en arrière-plan, et à chaque extrémité des bacs avec de petits palmiers complètent ce relief très symétrique.

Dans le tombeau de l’autel à Saint-Bonaventure figure La Mort de saint Joseph (voir pp. 244-246 et cat. 510) et au centre du retable, en haut, Le Couronnement de saint Joseph. Ce schéma est le même que celui de l’ensemble de la chapelle de la Vierge (pp. 224-225, 229-300) dans la même église. Ce sujet fut tardivement représenté511, sous l’influence des jésuites ; il répond à la légende selon laquelle Joseph aurait aussi été élevé au ciel. Ici, ce n’est pas l’iconographie habituelle pour saint Joseph, elle est calquée sur celle du Couronnement de la Vierge par la Trinité. De plus, saint Joseph n’est pas réellement figuré mais sous-entendu : Le Christ et la Vierge assis l’un en face de l’autre, tiennent la couronne d’une main et de l’autre leur sceptre respectif ; ils guettent l’arrivée de Joseph, dont la statue de Saint Joseph à l’Enfant, juste en dessous, sert de substitut ou d’intermédiaire. Au-dessus de la couronne, la colombe du Saint-Esprit plane, et plus haut encore Dieu le Père préside sur un trône porté par deux anges. Deux autres anges jouent de la musique de part et d’autre du Père qui tient le globe et bénit. Cette composition est très équilibrée et majestueuse, bien en accord avec la représentation des cieux ou la gloire de Dieu, mais elle correspond peu à l’image habituelle de la consécration de saint Joseph, plus humble, figurée simplement en présence du Christ, avec une couronne de fleur.

Enfin, l’église du Bon Pasteur – construite entre 1875 et 1883 – possède une œuvre plus rare présentant symboliquement saint Joseph comme le patron de l’Église universelle (cat. 265). Rappelons que ce saint fut proclamé patron de l’Église universelle en 1870 ; ce sujet est donc inédit à la seconde moitié du XIXe siècle. Dans un style particulier évoquant la sculpture romane, saint Joseph trône au centre et ouvre les bras en geste de rassemblement et de protection, tout en tenant un sceptre de la main droite. De ce geste, il semble rassembler et accueillir cinq personnages symbolisant les cinq parties du monde. C’est certainement ce patronage que J.-H. Fabisch voulu représenter pour les deux statues jumelles à l’église Saint-Martin d’Ainay en 1881 et à l’église Saint-Bruno-des-Chartreux en 1882 (voir pp. 239-240), en figurant saint Joseph droit, solennel, drapé dans une toge, tenant son bâton fleuri, et accompagné d’une tiare conique avec deux clefs, symbole de l'Église.

Notes
482.

Les églises de Notre Dame de l’Assomption, de Notre-Dame de Saint-Alban, de Saint-Maurice de Monplaisir, de Saint-Pierre de Vaise, la primatiale Saint-Jean. Nous ne comptons pas les églises de Saint-Blandine dont l’exemplaire a disparu, de Notre-Dame des Anges (qui en possédait vraisemblablement une, disparue lors réaménagement : cat. 380) et de l’Annonciation qui en possédait une lors de sa première construction au XIXe siècle.

483.

Autres Saint Joseph « lyonnais » hors de la ville : J. Bonnassieux, Saint-André, à Tarare, salon 1859. T.-J. Armand-Calliat et C. Dufraine, ostensoir, Fourvière, fonte 1873-1875. E. Cabuchet, Notre-Dame de Bourg.

Autres : H. Bourriché, séminaire d’Angers, pierre polychrome, 1864-1870 ; 1872, A. Millet, chapelle de Lourdes ; E. Delaplanche, église d’Albert (Somme) ; V. Dubray, Saint-Paterne, Orléans ; J. Falguière, Sainte-Anne-d’Auray (Morbihan) ; P. Froget, Saint-Maur, Lunéville.

484.

L’anneau de mariage en onyx conservé comme relique dans l’église de San Mustiola de Chiusi en Toscane puis à la cathédrale de Pérouse, appuya certainement cette piété.

485.

Protoévangile de Jacques, et un écrit copte du XIVe siècle intitulé Histoire de Joseph le charpentier.

486.

Ainsi, l’église de San Giuseppe dei Falegnami à Rome fut construite en 1598 par ces artisans ; à Bologne une autre lui avait précédée.

487.

A Paris : V. Feltrin, chapelle du lycée Saint-Louis, 1859 ; N. Girard, 1863, Saint-Supplice ; X. Courter, 1865, Saint-Laurent ; E. Chatrousse, Saint-Ambroise, 1866 ; J. Allasseur, 1867, Saint-Étienne-du-Mont ; Carrier-Belleuse, plâtre, 1869, Saint-Vincent-de-Paul ; H. Chapu, 1876 (salon), Saint-Augustin ; J. Gautherin, 1874, Saint-Joseph ; C. Desvergnes, 1908, chapelle de l’école de Massillon ; A. Geoffroy-Dechaume, Saint-François-Xavier.

488.

Églises de Notre-Dame Saint-Vincent (cat. 430), Saint-Martin d’Ainay (cat. 675), Saint-Bruno-des-Chartreux (cat. 516), Sainte-Blandine (cat. 838), Sainte-Croix (cat. 853), Saint-Irénée (cat. 630), Saint-Charles de Serin (cat. 529), Saint-Georges (cat. 605), Saint-Eucher (cat. 564) et du Saint-Nom-de-Jésus (cat. 311).

489.

Églises de Notre-Dame de Bellecombe (cat. 340) et de Saint-Augustin (cat. 452).

490.

Églises de Saint-Denis (cat. 552) et de Notre-Dame de Bon-Secours à Montchat (cat. 357).

491.

Églises de Saint-Joseph des Brotteaux (parmi les rares statues de bois naturel des églises de Lyon, mais dont la datation est incertaine ; cat. 640), de Sainte-Blandine (parmi les rares statues dorées des églises de Lyon, mais dont la datation est incertaine ; cat. 835), et de Saint Polycarpe (du XVIIIe siècle).

492.

Facilement attribuable à Paul-Émile Millefaut, car étant presque identique à celui de Saint-Héand – Loire) ; cependant les visages sont assez différents : celui à l’église de la Sainte-Croix est particulièrement grave, profond et solennel, celui de Saint-Héand est plus doux, agréable mais d’une expression superficielle et insipide par rapport au premier : le premier parait sculpté de la main d’un maître, le second certainement par un praticien.

493.

XIIe siècle, chapiteau, Notre-Dame du Port à Clermont-Ferrand.

494.

L’Enfant, dans les bras de Joseph, nous bénit pour les statues à : Notre-Dame de Fourvière, à Saint-Camille et à l’église de l’Hôtel-Dieu.

495.

L’Enfant se tourne vers nous en ouvrant les bras à Notre-Dame Saint-Louis (cat. 414) et Saint-Nizier (cat. 718) selon le même modèle, à Saint-Paul (cat. 747), à Saint-François-de-Sales (cat. 585), et au Sacré-Cœur (cat. 297).

496.

L’Enfant s’est endormi contre la poitrine de Joseph à Saint-Bonaventure (cat. 510), à Saint-Pothin (cat. 810), à la Rédemption, et à l’Immaculée Conception (œuvre du XXe siècle).

497.

À l’église Saint-André (cat. 440).

498.

Statue qui fut déplacé au cours du temps (C. R., "Fourvière - Saint Joseph en bonne place", La Vie à Lyon, jeudi 30 mars 1996, p. 14)

499.

Saint Joseph et l’Enfant Jésus, par Jean-André Delorme (élève de Bonnassieux), vers 1896, marbre ; cf. autre Saint Joseph, statue, pierre, h. 180 cm, vestibule de gauche de l'église Notre-Dame-des-Champs, Paris, commande de 1876, payée 2 500 francs ; modèle en plâtre exposé au Salon de 1879.

500.

Six fois en reliefs : aux églises de Saint-Paul (cat. 747), de Saint-André (cat. 440), de la Rédemption, de Saint-Just (cat. 658), de Saint-Georges (cat. 605) et de Notre-Dame Saint-Vincent.

501.

Sept fois pour des devants d’autel : aux églises de Saint-Paul, de Saint-André, de la Rédemption, de Saint-Just, de Saint-Georges, de Saint-Bonaventure (cat. 510), et de Notre-Dame de Fourvière (cat. 108-109).

502.

à la Rédemption, à Saint-Just, à Saint-Bonaventure, à l’église de l’Hôtel-Dieu.

503.

à Saint-Just et à Saint-Bonaventure.

504.

Lyon, Archives diocésaines, article du Salut Public, 20 décembre 1893, « Le Nouveau retable de Saint-Bonaventure » : réalisé sous la direction de Benoît, les six bas reliefs de la vie du saint par Fontan, la statue de Saint Joseph avec l’Enfant par Delorme, la sculpture ornementale par Visconti, dans un style « pur » XVe (article très positif).

505.

Ve siècle, Mosaïque, arc triomphal, Sainte-Marie Majeure, Rome ; VIIe siècle, fresque, Santa Maria di Castel Seprio (Lombardie) ; XIIe siècle, maître Robert, chapiteau roman, Notre-Dame du Port, Clermont ; XIVe siècle, vitrail, chapelle de la Vierge, Saint-Sulpice de Favières ; 1515, vitrail, église Saint-Gervais, Paris ; 1561, vitrail en grisaille, église Sainte-Croix de Povins ; XVIIe siècle, Simon Vouet ; Philippe de Champaigne, 1638, Le Songe de Joseph, Galerie G. Seligman, New York ; XVIIe siècle, Georges de La Tour, musée de Nantes.

506.

XIe siècle, chapiteau du porche, Saint-Benoit-sur-Loire ; 1190, médaillon de voûte, chapelle Saint-Julien au Petit-Queville, près de Rouen ; 1205, Nicolas de Verdun, Châsse de Notre-Dame, cathédrale de Tournai ; XIIe siècle, portes de bronze de San Zenone de Verone, de Pise, de Monreale ; bas-relief, fonts-baptismaux, San Giovanni in Fonti, Vérone ; frise, église de la Madeleine, Montmorillon ; façade, Saint-Trophime, Arles ; chapiteaux, cathédrale d’Autun, Saint-Andoche ; Benedetto Antelami, tympan intérieur, baptistère, Parme ; XIIIe siècle, tympan portail nord, cathédrale Notre-Dame, Paris ; XIVe siècle, bas-relief, clôture de chœur, cathédrale Notre-Dame, Paris ; Jacopo della Quercia, vers 1430, bas-relief du linteau de portail, San Petronio, Bologne.

507.

François Marchand, bas-relief de la clôture de chœur, cathédrale de Chartres ; XVIIe siècle, calvaire de Pleyben, Bretagne.

508.

Entre autre : Poussin (Liechtenstein, Cleveland) ; Rembrandt (musée de Tours) ; Murillo (Budapest, Détroit, Gênes) ; Holman Hunt (musée de Liverpool).

509.

Géraldine Lavigne, « Deux Bonnassieux à l’église Saint-Médard de Tremblay-en-France », La Tribune de l’art, 14 mai 2007.

510.

XVIe siècle, stalles, église de Montréal (Yonne) ; miséricorde des stalles, Saint-Sulpice de Favières ; XVIIe siècle, par Annibal Carrache, gravé par Pesne ; Georges de La Tour, Louvre ; Sir John Everett Millais, Tate Gallery, Londres.

511.

Au XVIIe siècle : Luca Giordano, église San Domenico Maggiore, Naples ; Jan van Cleef, musée de Gand ; Jean-Guillaume Carlier de Liège, musée de Mayence ; Zurban, 1636, musée provincial, Séville.