b) Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus

En sculpture religieuse, la popularité d’Antoine de Padoue n’a de comparable que celle de Thérèse de Lisieux. Mais si ce saint du début du XIIIe siècle était populaire depuis longtemps, le cas de Thérèse est bien différent. Thérèse Martin, de son nom de religieuse Thérèse de l’Enfant Jésus et de la sainte Face (Alençon 1873 – Lisieux 1897) est parfaitement contemporaine de notre période d’étude. Entrée au Carmel de Lisieux à quinze ans, malade de la tuberculose et dans la nuit de la foi, elle demeura fidèle au Christ ; avec une confiance audacieuse et dans l'abandon, elle se « jette dans l'Amour », offrant ses souffrances pour le salut des pécheurs. Sa supérieure et ses sœurs, conscientes que la jeune fille vivait dans la grâce de Dieu, que lui-même lui enseignait le chemin de la sainteté, lui demandèrent d’écrire sa vie : Histoire d’une âme. Après sa mort, sa supérieure fit tout de suite paraître un récit de sa vie. Thérèse ayant aussi promis de faire tomber sur la terre « une pluie de roses » (grâces) et de « passer son ciel à faire du bien sur la terre », sa tombe devient rapidement un lieu de pèlerinage. Les grâces attribuées à son intercession abondèrent, ainsi fut-elle béatifiée en 1923 et canonisée en 1925 par Pie XI. En 1929, les pèlerins étaient si nombreux à Lisieux qu’il fallut construire une basilique. Puis elle fut proclamée patronne de France en 1944, après Jeanne d’Arc. Elle devint aussi la patronne des missionnaires, en raison de sa promesse et de son zèle pour cette cause dans la prière d’intercession. Enfin, ayant ouvert une voie nouvelle vers la sainteté, fondée sur l’amour et l’accueil confiant de la condescendance miséricordieuse de Dieu, elle fut proclamée docteur de l’Église en 1998.

Ainsi dans les églises de Lyon, l’abondance– vingt-sept526 – des statues de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus témoigne-t-elle du succès et de la vigueur de cette dévotion dans les premières années du XXe siècle. Cependant, cette jeune carmélite est probablement un des sujets les plus difficiles à figurer pour les statuaires, risquant de tomber soit dans le sentimentalisme, soit dans la fadeur.

Sur les vingt-six exemplaires actuels de Lyon, trois527 sont des œuvres largement postérieures à notre période d’études, et seulement quatre528 sont des sculptures originales. Les autres sont des versions industrielles présentant systématiquement la sainte dans une pose identique : debout, revêtue de son habit de carmélite, elle tient contre elle de ses deux bras, côté cœur, un crucifix dans des roses. Onze529 sont blanches ou patinées sur le même modèle, et six530 sont polychromées et identiques. Seule la statue de l’église Saint-Nizier (cat. 739) se différencie par sa pose et ses couleurs : toujours debout, vêtue en carmélite, Thérèse nous montre un livre ouvert sur lequel est écrit une de ses propos « Dans le cœur de l’Église, ma Mère, je serai l’Amour » ; les couleurs sont dans un camaïeux de brun et beige, rustiques.

Le stéréotype de la position est en partie explicable par le fait que ce geste était bien représentatif de la sainte d’un point de vue iconographique : renvoyant à sa passion pour le Christ, à son sacrifice d’amour, à l’image de la pluie de roses qu’elle avait elle-même employée, et à son goût pour les fleurs. Cependant d’autres artistes ont su varier avec ces mêmes attributs. Le plus grand échec demeure l’expression du visage. Le témoignage de ses sœurs ainsi que les photographies mettent en évidences un visage doux mais un regard pétillant de vie, déterminé, voire passionné, une flamme d’amour dévorant tout mais dominé par la volonté ; on peut aussi y surprendre cet étrange mélange d’audace, de douceur et de confiance. Si la statuaire blanche sut relativement bien rendre la forme de son visage, le regard est souvent complètement vide et l’expression se résume à un demi-sourire doux mais mièvre. Comme pour la statuaire industrielle de Saint Antoine de Padoue, même si les compositions sont rigoureusement identiques, quelques subtilités laissent percevoir que toutes ne proviennent pas forcément de la même fabrique. Ainsi, les expressions sont plus ou moins mièvres ; seul l’exemplaire à l’église Saint-Joseph des Brotteaux (cat. 650) – de Rouillard, statuaire à Angers – se rapproche un peu plus de certaines photographies. D'autre part, pour les cinq exemplaires polychromes, le visage de la sainte est si douceâtre et excessivement maquillé qu’il devient méconnaissable. Notons que le statuaire ayant produit celle de l’église Saint-Bruno-des-Chartreux a peint son vêtement entièrement en écru, au mépris de l’habit de carmélite, peut-être avec la volonté de rappeler la pureté.

L’œuvre à l’église Saint-Bonaventure (cat. 506) – ni signée, ni datée – varie la pose de manière simple et explicite : la sainte lève le regard et montre le ciel du bras gauche, tout en tenant une croix de la main droite contre la poitrine ; les roses sont tombées à ses pieds, sur un élément presque sphérique sur lequel elle est posée. Une citation de la sainte est inscrite en lettres manuscrites sur l’avant de la base : « Là-haut je chanterai sur la lyre des anges l’éternel aujourd’hui ». Son visage est trop levé pour qu’il soit suffisamment visible. Ses traits ne sont pas distinguables, néanmoins la forme générale de sa figure, idéalisée, est à peu près reconnaissable ; son expression semble une fois de plus se résumer à la douceur et au calme.

Le sculpteur Poli réalisa deux statues de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus pour les églises de Lyon : à Notre Dame de Bon-Secours (cat. 356) en 1922 et à Saint-Martin d’Ainay (cat. 692) en 1929. L’artiste a modulé les positions, mais le visage de Thérèse n’est plus du tout reconnaissable. Dans les deux exemplaires, la forme est très ovale, celle de Notre-Dame de Bon-Secours est une belle jeune femme, alors que curieusement, celle de Saint-Martin d’Ainay a des traits bien caractéristiques qui ne sont pas les siens. À Notre-Dame, elle tient dans sa main droite un peu levée un crucifix qu’elle regarde, et de sa main gauche, elle laisse s’échapper des roses, quelques unes sont déjà à ses pieds. Le sculpteur a soigné le traitement de l’habit : la chape choit avec une certaine élégance, le devant du scapulaire tombe assez droit sans être pour autant rigide et forme un contraste avec le bas de la robe qui constitue de plus nombreux plis. L’attitude de la statue à Saint-Martin est plus posée : la sainte se campe bien droite et, des deux mains à hauteur du ventre, elle fait glisser des roses, sans regarder. Le traitement des vêtements est peut-être moins élaboré dans la nuance des aspects, mais l’ensemble plisse largement et harmonieusement, formant une composition pyramidale réussie.

La version de la primatiale Saint-Jean (cat. 911) est due à une collaboration de Dutruc et Belloni en 1928. Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus est représentée assez simplement : Elle porte contre elle, de la main gauche, un bouquet de rose ; de la main droite, elle a pris la croix de son chapelet pendu à sa taille du même côté. Elle se tient droite, de même son regard porte droit devant. Les traits du visage sont assez ressemblants, mais l’expression trop douce ne rappelle pas exactement celle que l’on voit sur les photographies. De plus, ses traits sont exécutés comme un flou en sculpture, atténués ; et, ils se perdent dans un jeu d’ombres et de lumière. En effet, cette œuvre se caractérise par un jeu d’ombre et de lumière très prononcé et réussi. Les volumes nets et simples du vêtement forment des zones d’ombre peu nombreuses mais grandes, intenses, comme entre la chape et la robe ainsi qu’à l’intérieur des manches. Le voile suscite une ombre qui cerne et souligne son visage tout en le masquant en partie. Les roses et le chapelet ponctuent de leurs ombres très découpées la blancheur du marbre des parties lisses du vêtement. Bien que les compositions soient différentes, ces grands jeux d’ombre et de lumière sont semblables à ceux de la Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus que sculpta Louis Castex pour l’église de Charlieu en 1928531, le goût pour la simplicité et la générosité des volumes étant une caractéristique de plus en plus marquée de la sculpture au cours de la première moitié du XXe siècle.

Notes
526.

En comptant celle à l’église de Notre-Dame des Anges (cat. 391), datant de 1928 et connue grâce à : Georges Bazin, Rive gauche, "Les paroisses de la rive gauche - Notre-Dame des Anges", n°38, octobre 1971, pp. 11-13.

527.

À l’église Saint-Augustin (cat. 451), à l’église Saint-François de Sales (cat. 584) et à l’église Sainte-Croix.

528.

À la primatiale Saint-Jean (cat. 911), à l’église de Notre-Dame de Bon-Secours à Montchat (cat. 356), à l’église Saint-Martin d’Ainay (cat. 692), et à l’église Saint-Bonaventure (cat. 506).

529.

Dans les églises de : Notre-Dame Saint-Louis (cat. 411), Saint-Joseph des Brotteaux (cat. 650), Saint-Just (cat. 666), Sacré-Cœur (cat. 293), l’Hôtel-Dieu, Saint-Sacrement (cat. 330), Saint-Maurice de Monplaisir (cat. 707), Notre-Dame de l’Assomption (cat. 366), Saint-Eucher (cat. 578), Saint-Nom-de-Jésus (cat. 315), l’Immaculée-Conception (cat. 240).

530.

Dans les églises de Saint-Denis (cat. 557), de Saint-Georges (cat. 603), de la Rédemption, de Sainte-Blandine (dans un placard ; cat. 847) de Saint-Bruno-des-Chartreux, et de Saint-Nizier (cat. 739).

531.

Répliques dans les cathédrales de Paris, Tours, Blois, Casablanca. Voire aussi G. Saupique, église de Châtillon.