c) Le saint curé d’Ars Jean-Marie Vianney (et Sainte Philomène)

Jean-Marie Vianney (Dardilly 1787 – Ars-sur-Formans 1859), issu d’une famille de petits cultivateurs, peina pour accéder au sacerdoce ; il se vit confier une modeste paroisse des Dombes : Ars-sur-Formans. Il travailla à la ré-évangélisation de cette campagne difficile, avec le zèle d’un bon et simple curé, vivant dans la même pauvreté que ses paroissiens les plus démunis. Ses qualités exceptionnelles de confesseur attirèrent à Ars de nombreux visiteurs arrivant de bien au-delà du diocèse et des âmes en quête d’un véritable pasteur. Il fut béatifié en 1905 par Pie X qui le proposait en exemple aux membres du clergé paroissial, puis Pie XI le canonisa en 1925, tout en le proclamant patron de tous les curés.

Cette dévotion est donc internationale, mais elle est d’une ferveur toute particulière dans la région lyonnaise, Lyon étant à une trentaine de kilomètre d’Ars. Ainsi, les églises étudiées comptent actuellement vingt-deux532 statues du curé d’Ars, sachant qu’au moins deux exemplaires ont disparu533. Malgré la notoriété du sujet dans la région, il est surprenant de constater qu’il y a seulement deux originaux de marbre dans les églises de Lyon, les autres étant des reproductions en série – avec une incertitude pour l’exemplaire de l’église Saint-Nizier.

L’iconographie sculptée du saint le présente toujours en vêtements de chœur de la première moitié du XIXe siècle, avec l’étole et de gros souliers, les cheveux coupés au carré. Il est la plupart du temps en prière. C’est ainsi que le figura Émilien Cabuchet (Bourg-en-Bresse 1819 – 1902), auteur des premières statues du curé. Ce sculpteur le rencontra à plusieurs reprise et put réaliser une cire de son vivant, avant de le représenter deux fois dans le marbre. Un article de presse témoigne de cette rencontre exceptionnelle entre l’artiste et le saint qu’il est amené à représenter :

‘Peu de temps après [1855], il vit le saint curé d’Ars, fut frappé par son expression à la fois si vigoureuse et si émaciée, si tendre et si intimement heureuse ; il ne recula pas devant la tâche de transporter dans le marbre ce visage de séraphin. La difficulté était de faire poser le modèle. En dépit d’une lettre de recommandation de Mgr Chalandon, évêque de Belley, Cabuchet ne put l’obtenir. Il lui fallut ruser. Assis dans la foule, au moment où le saint curé faisait son catéchisme quotidien, il tenait son chapeau entre ses genoux, ses mains dans son chapeau et de la cire dans les mains. Le curé ne tarda point à remarquer la fixité de son regard observateur. Un jour il se pencha vers lui et lui demanda « s’il n’avait pas bientôt fini de donner des distractions à tout le monde ». Un autre jour encore : « Vous n’avez donc rien à faire chez vous ? » lui dit-il. L’artiste disparut, mais la maquette était achevée et il en est résulté un chef d’œuvre534. M. Vianney est représenté en surplis et en étole, à genoux ; le corps est penché en avant ; les deux bras, élargis par l’étoffe, se détachent comme deux ailes prêtes à l’emporter vers le ciel ; le front tendu, musculeux, ridé, déborde d’harmonie autant que d’ardeur ; le regard est profond, éperdu d’amour ; bref c’est un transfiguré, un saint déjà au paradis ; dans ce visage et dans l’ensemble tout rayonne, tout prie, tout s’élance dans l’extase. Ceux qui ont personnellement connu le saint curé (ils se font rares aujourd’hui) sont unanimes à rendre témoignage de la rigoureuse fidélité des traits, de l’attitude et de tout l’ensemble. Mais l’impression artistique est accessible aux jeunes gens comme aux vieillards. L’original est resté à Ars, mais la statue a été popularisée par de nombreuses reproductions. Pour moi, je parle en incompétent, mais je dis ce que j’éprouve. J’ai vu le saint curé, je le retrouve là vivant ; j’ai vu bien d’autres statues pieuses et puissantes : à Rome le Moïse de Michel-Ange et le Pie IX priant dans la Confession de saint Pierre ; à Moulins le dernier Montmorency agenouillé sur son tombeau ; à Paris Richelieu, Colbert et d’autres couchés sur les leurs : jamais je n’ai rien rencontré d’aussi saisissant que le curé d’Ars de M. Cabuchet. Une si haute inspiration, l’artiste ne la retrouve guère deux fois dans sa vie. […] En 1897, M. Cabuchet réalisa ce tour de force de traiter deux fois le même sujet et sans faiblir. Il dota l’église d’Ars d’un nouveau J.-M. Vianney, qu’il représenta debout dans l’attitude du prêtre enseignant ses ouailles. La statue nouvelle était destinée à prendre place sur les autels après la béatification du saint curé. Celle-ci paraissait prochaine ; M. Cabuchet s’en faisait une fête par anticipation. Il ne l’a point vue sur cette terre […].535

L’autre sculpteur auquel on doit le type de figuration constamment reproduit du saint est un lyonnais : André Vermare (Lyon 1869 – Île de Bréhat 1949) réalisa en 1905 la statue en pied de Jean-Marie Vianney, le curé d’Ars, à l’occasion de sa béatification. Le pape Pie X en conservait une reproduction dans son bureau de travail, ayant envoyé de chaleureuses félicitations à son auteur. Un original en marbre de cette statue, dû au ciseau d’André Vermare en 1910, se trouve dans une chapelle latérale nord de la primatiale Saint-Jean à Lyon (cat. 904). Jean-Marie figure debout en costume de prêtre, les plis du vêtement sont assez creusés, il tient ses mains jointes devant sa poitrine avec les doigts croisés. Il incline légèrement sa tête, dont les traits sont fortement marqués et les orbites profondément excavées ; cependant son faciès est illuminé par un sourire, rayonnant de sérénité.

Néanmoins, les différentes reproductions en séries ne parviennent à imiter la belle expression naturelle de cette œuvre. À Lyon, onze statues sont des copies sans variantes de l’œuvre de Vermare. Les inscriptions ou les symboles varient : huit536 arborent les initiales du saint entre deux palmes et parmi elles celle de Saint-Just (cat. 667) est aussi signée A. Vermare, d’autres ont l’inscription « approuvé par sa sainteté Pie X le 3 janvier 1905 »537, d’autres encore « FVL déposé »538. Celle de l’église de l’Hôtel-Dieu est signée A. Vermare, sans les initiales du saint, celle de Saint-Maurice de Monplaisir (cat. 706) et de Saint-Irénée (cat. 634) ne possèdent aucune marque de front mais les côtés n’ont pu être vérifiés. Malgré, les patines différentes et parce que les diverses marques se croisent sur certains exemplaires, il est très probable que ces statues proviennent de la même fabrique, celle de Vermare, peut-être à différentes époques ou avec des exigences de commande particulière, expliquant la variation des inscriptions.

Il existe une autre variante de cette œuvre, dont on trouve deux exemplaires à Lyon : à l’église Saint-Denis (cat. 551) et à l’église Saint-Martin d’Ainay (cat. 694). Elle reprend exactement la composition de Vermare, mais le traitement est si raide dans le vêtement et le visage, qu’il n’a plus grand-chose à voir avec l’original. Aussi, est-il impossible de percevoir si son rictus est une tentative de sourire ou l’expression de la sévérité et d’une souffrance ; malgré cette mimique – insondable –, il ne s’agit plus que d’une statue guindée et sans vie.

La version présente à l’église Saint-Eucher (cat. 574) semble aussi en découler, avec quelques modifications dans la forme de l’étole et du cordon et sa tête légèrement inclinée sur sa gauche. L’ensemble est nettement découpé, rigide et droit, les formes accentuées par la patine apparaissent comme celles d’un dessin très linéaire. Malgré son aspect inanimé et terne, la tournure de cette statue est moins effrayante que celles à Saint-Denis et à Saint-Martin.

À Lyon, il existe encore quatre autres spécimens du curé debout, les mains jointes en prière. Ceux des églises Saint-Paul et Sainte-Blandine (cat. 845)539 semblent fortement serrer les mains et par-dessus, le statuaire a ajouté un chapelet ; le visage et le cou du saint sont très vieillis. Les deux statues varient entre elles dans le traitement des volumes – nets et dessinés à Sainte Blandine, plus flous et hachurés à Saint-Paul – la disposition des cordons et surtout, l’expression du visage. Celui de Saint-Paul baisse un peu la tête et redresse le regard, il semble très décidé voire fâché ; alors que celui de Sainte-Blandine lève légèrement le visage et tourne les yeux vers le ciel, avec un petit air ravi.

Dans l’église Saint-Georges (cat. 618), le saint curé, les mains jointes, les coudes relevés, le regard droit dirigé vers le ciel est expressément réjoui, voire extasié. Le socle porte une inscription qui permet de le dater approximativement : "Bienheureux / Curé d'Ars. / Priez pour nous / 1789-1859 / 1917". Rappelons qu’à ce moment-là, Jean-Marie Vianney avait été béatifié et pas encore canonisé, aussi la qualification de « bienheureux » convient parfaitement à l’allure de cette statue.

À Saint-Nizier le plâtre (cat. 719)540 est daté de 1904 et signé par Louis Noël. Cette œuvre est étrange tant par la facture que par l’expression. Le vêtement, les accessoires, l’ensemble du corps, sont très raides, un peu hachés et nets ; cependant il s’en dégage un certain monumentalisme. Les traits sont plus ou moins ressemblants, sans expression particulière, mais son regard frappe. Il a un peu tourné la tête sur le côté droit et son regard est droit avec une attention très prononcée : il nous fixe. La raideur combinée à la présence singulière de cette statue rendent difficile l’appréciation de cette œuvre : cette rigidité pourrait être autant une maladresse qu’une intention délibérée visant à produire cette surprenante vie.

Jean-Marie Vianney est encore figuré dans deux autres attitudes. Deux statues industrielles – à l’église du Sacré-Cœur (cat. 296) et à Notre-Dame de l’Assomption (cat. 367) – le figurent toujours dans ce même costume, mais il tient de sa main gauche un chapelet et son cordon à hauteur de la poitrine, il lève sa main droite et semble saluer ou s’apprêter à bénir541. L’expression est vide.

Enfin, Jean Larrivé (1875-1928) sculpta un marbre pour l’église de Notre-Dame Saint-Vincent, lequel figure le saint curé (cat. 419)542 en train de donner la sainte Communion, le ciboire dans la main gauche et la sainte Eucharistie dans la main droite. Les traits de son visage sont moins marqués, il sourit discrètement, son expression est bienveillante : il offre avec bonheur le Sauveur. Surtout, il est vêtu d’un costume liturgique des années 1920, époque à laquelle fut réalisée cette œuvre.

Le thème du saint Curé d’Ars543 est parfois associé à la vive dévotion qu’il avait pour sainte Philomène. Les restes d’une jeune fille furent mis à jour en 1802 dans les catacombes romaines de Priscille, ils furent attribués à une jeune vierge, martyre, que Dioclétien aurait voulu jeter dans le Tibre avec une ancre attachée au cou mais dont des anges coupèrent la corde, puis ses percuteurs auraient cherché à la percer de flèches mais elles ricochèrent contre eux, enfin, elle fut décapitée. Son nom fut retiré du calendrier des saints en 1961.

Dans l’église Saint-Bonaventure, les statues du saint curé et de la vierge martyre se font face dans la chapelle des Saints Anges (cat. 493) ; ce le fut certainement aussi à l’église Saint-Bernard (cat. 474) dans la chapelle Sainte-Philomène où la statue du curé est maintenant posée sur l’autel – de manière provisoire – juste en dessous de celle de la jeune sainte ; à l’église Saint-Paul les deux statues semblent avoir été déplacées et séparées ; alors que le dispositif à l’église de l’Hôtel-Dieu où les statues sont dans des chapelles voisines paraît être d’origine ; la statue de Jean-Marie Vianney à l’église Saint-Nizier est aussi dans une chapelle vouée à sainte Philomène, mais la sainte y est représentée en peinture ; enfin l’église Saint-André de la Guillotière possédait une chapelle Sainte-Philomène544, dans laquelle fut certainement placée la statue du curé (cat. 440), mais celle de la sainte a disparu, les œuvres des chapelles ayant été déplacées.

Les quatre figures sont gracieuses, ressemblantes mais pas identiques. Celle de l’église de l’Hôtel-Dieu, en plâtre discrètement polychromé, porte le tampon de son fabricant : Gousset place Saint-Jean à Lyon. La sainte est vêtue d’une tunique qui la moule – un peu à la manière de la Béatrice 545 de Fabisch – avec par-dessus un manteau dont un pan remonte accroché à sa taille, sa chevelure est à demie voilée et couronnée de fleurs. À ses pieds, l’ancre s’appuie contre sur sa jambe droite, elle tient de ce côté la palme symbole des martyrs et pose sa main gauche sur la poitrine. Sa gestuelle et sa grâce un peu sensuelles en font une petite sœur de la Béatrice de Fabisch.

Il en va un peu de même pour celle de l’église Saint-Bernard ; toutefois, son bras droit se plie contre sa poitrine et garde des flèches dans sa main, et de sa gauche elle maintient le haut de l’ancre. Son visage aux traits délicats est celui d’une jeune fille, ses cheveux retombent librement en anglaises, sa couronne de fleurs tout comme la corde de l’ancre sont dorées.

Fidèlement représentée comme une jeune fille, cheveux longs et bouclés avec une couronne de fleur, l’ancre appuyée sur sa gauche, la version de l’église Saint-Bonaventure546 la fait revêtir une double tunique – l’une fine à manche longue et moulante, l’autre plus large et courte portée par-dessus à la manière d’un manteau, avec une ceinture soulignant sa finesse et accentuant sa silhouette élancée – tenue qui lui donne un petit air médiéval. Son bras gauche baissé, elle retient de la main le haut de l’ancre et le bas de la palme qui longe son buste, de son bras droit assez replié, elle maintient contre elle des flèches et le haut de la palme. Une composition similaire se retrouve pour une statue polychrome à Salmabach dans le Haut-Rhin547, il s’agit donc bien d’un modèle de composition officiel.

Celle de l’église Saint-Paul (cat. 758) varie peu, son apparence est un peu plus dépouillée. Ses cheveux sont détachés sans couronne ; de la main gauche elle retient le haut de l’ancre, de sa droite contre elle, les flèches ; elle est aussi vêtue de cette double tunique mais dont le drapé est moins ajusté et travaillé.

Ces statues de pure et belle jeune fille548, à l’image de sa légende établie au début du XIXe siècle, sont tout à fait représentatives d’une soif populaire d’idéal, de pureté, de douceur et de grandeur d’âme.

Notes
532.

Sans compter celle qui fut bénie le 32 octobre 1937 par Mgr Gerlier à l’église Sainte-Jeanne-d’Arc, non étudiée.

533.

Pour l’église Saint-Polycarpe, Jean-Baptiste Martin décrit brièvement la chapelle en 1909 : "A gauche, chapelle de la Croix avec ancien autel de marbre rouge et blanc ; contre le mur, Jésus en Croix entre la Vierge et saint Jean ; à droite, un groupe de Notre-Dame de Pitié. Tout à côté, statue du bienheureux Vianney, curé d'Ars, par Romillard d'Angers." Pour l’église à Notre-Dame des Anges (cat. 390), G. Bazin mentionne un Curé d’Ars de 1911 (Georges Bazin, Rive gauche, "Les paroisses de la rive gauche - Notre-Dame des Anges", n°38, octobre 1971, pp. 11-13).

534.

Le Curé d'Ars à genou en prière, Ars-sur-Formans, chapelle du coeur, statue commandée en 1863, présentée au Salon de 1867 ; terre cuite, Salon de 1869 ; Exposition universelle de 1878 ; réduction en argent, Salon de 1895.

535.

J.-M. Villefranche, « Nécrologie, Émilien Cabuchet », Journal de l’Ain, mercredi 26 février 1902.

536.

À Saint-André de la Guillotière (cat. 439), à Notre-Dame Saint-Louis (cat. 409), à Saint-Bernard (cat. 474), au Saint-Nom-de-Jésus (cat. 312), à Saint-Just (cat. 667), à Saint-Bruno-des-Chartreux, à Saint-Bonaventure (cat. 493) et à Saint-Augustin (cat. 455).

537.

À Notre-Dame de l’Assomption (cat. 367), à Saint-Bonaventure.

538.

À Notre-Dame Saint-Louis, à Saint-Augustin, à Saint-Bonaventure.

539.

Cette statue de Saint Jean-Marie Vianney avait été offerte au curé Faurax, pour ses vingt-cinq ans de ministère à Sainte-Blandine. Elle a été retirée, dans un placard.

540.

Lyon, Archives diocésaines, Saint Nizier : I 603 (inventaire des biens de la fabrique 1906). Il est mentionné pour la chapelle Sainte-Philomène : une statue du Curé d’Ars, en plâtre, posée sur un socle, non scellée 30 francs, acheté par le curé Besson qui possède la facture.

541.

Dans la même posture à l’église Saint-Boniface à Burnhaupt-le-Haut (68). (source : base Mémoire)

542.

Voir aussi Le Saint Curé d'Ars, maquette pour la statue de l'église d'Ecully (exp. Art religieux en 1936, n°46, Collection de Mlle Larrivé).

543.

En dehors de Lyon, voir aussi : Bas-reliefs de La Première communion et de L’Ordination de J.-M. Vianney, châsse, autels latéraux, basilique d’Ars par Louis Castex.

544.

Lyon, Archives diocésaines, Saint-André : I 1199, « Registre du matériel appartenant à l’Église de Saint-André à Lyon ; 25 mai 1881 ». Il mentionne une statue de Sainte Philomène pour 130 francs et la chapelle de Sainte Philomène pour 792 francs.

545.

Musée des Beaux-arts de Lyon.

546.

Avec l’inscription « FVL déposé ».

547.

Sainte Philomène, h. 104 cm, polychrome, provenant peut-être de l'atelier d'art chrétien Mayer de Munich, à l’église Saint-Étienne, Salmbach, Bas-Rhin (source : base Palissy).

548.

J. Dubois dit Julien, 1837, plâtre ; D. Molkenecht, marbre, salon de 1840 ; F. Pascal, plâtre, salon de 1840 ; V. Dubray, plâtre 1841 ; J. Bonnassieux, 1859, église Saint-André à Tarare (Rhône) ; Ch. Dufraine, bronze, 1884, Ars-sur-Formans, entrée du village ; P. Belouin, plâtre, salon de 1892 ; J. Baudrand, pierre, Dôle (Jura).